Budget fédéral : les Autochtones veulent des changements plus rapides

Perry Bellegarde, chef national de l'Assemblée des Premières Nations.
Photo : Reuters / Chris Wattie
Prenez note que cet article publié en 2017 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Même s'ils accueillent le budget Morneau avec satisfaction et optimisme, les Autochtones déplorent la lenteur de la redistribution des fonds dans leurs communautés.
Un texte de Karoline Benoit, d'Espaces autochtones
Le chef de l’Assemblée des Premières Nations (APN), Perry Bellegarde, l’a martelé : il faut que le financement de 3,4 milliards de dollars sur cinq ans alloué aux Autochtones dans le budget 2017 de Bill Morneau se traduise par des changements rapides dans les réserves.
Il dit toutefois être satisfait du montant accordé, qui « aidera à refermer l’écart socioéconomique » entre les Premières Nations et les autres Canadiens.
Nous avons demandé pour la santé, et il y a eu du mouvement dans ce dossier. C’est un signe que le gouvernement est à l’écoute.
« Nous sommes reconnaissants envers Ottawa », qui tente de « rattraper » le manque flagrant de financement sous le gouvernement Harper, dit le chef de la Fédération des nations autochtones souveraines (FSIN) et responsable du dossier de l’éducation à l’APN, Bobby Cameron.
Celui-ci estime que les montants alloués sont convenables, même si des fonds supplémentaires seraient les bienvenus, notamment en employabilité.
Le chef Cameron dénonce toutefois lui aussi la lenteur du processus et rappelle que certaines communautés n’ont toujours pas reçu le financement lié au budget de 2016.
Le gouvernement Trudeau avait alors voulu « tourner la page et entamer un nouveau chapitre dans la relation entre le Canada et les peuples autochtones » avec un budget « historique » de 8,4 milliards de dollars sur cinq ans.
« Ottawa devra vraiment réduire le nombre de bureaucrates qui dépensent les fonds alloués aux Premières Nations », dénonce le chef Bobby Cameron.
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Une relation de nation à nation
Le gouvernement a par ailleurs prévu 222 millions de dollars sur cinq ans pour améliorer « la relation de nation à nation » avec les divers groupes autochtones du pays.
Ainsi, un mécanisme permanent sera mis en place, au coût de 14 millions de dollars, pour renouveler entre autres la relation avec les Inuits et « promouvoir leur prospérité », ce qui est en accord avec l’entente de partenariat signée en février par Ottawa et l’organisme national Inuit Tapiriit Kanatami.
Une nouvelle collaboration avec les Métis est également en branle avec l’injection de 85 millions de dollars sur cinq ans pour « renforcer la capacité de gouvernance du Ralliement national des Métis et de ses cinq membres dirigeants provinciaux ».
Le président du Ralliement national des Métis, Clem Chartier, croit que ce financement est un « important pas en avant » vers l’autodétermination des Métis.
Il déplore toutefois qu’aucun autre financement n’ait été prévu pour procurer des services essentiels aux Métis.
C’est bon pour notre gouvernement, mais pas encore pour les gens de nos communautés.
Clem Chartier raconte avoir eu de grandes attentes quant au budget Morneau, car son organisme avait été invité à assister à son dévoilement aux Communes. Il croyait que cette invitation était un signal d’investissements importants, notamment en santé.
« Les fonds pour la santé sont seulement pour les Premières Nations et les Inuits », déplore-t-il, faisant allusion au 828 millions de dollars supplémentaires que prévoit le budget pour la santé et la santé mentale. « On espérait qu’avec le jugement Daniels [Ottawa] ne pourrait pas se défiler, mais nous sommes toujours exclus », ajoute-t-il.
Pourtant, des communautés métisses comme La Loche, en Saskatchewan, ont des besoins criants en santé mentale, notamment en toxicomanie et en prévention du suicide.
Clem Chartier a quand même bon espoir que, avec la nouvelle relation établie avec le gouvernement, il sera maintenant possible d’aller de l’avant et de faire avancer les dossiers prioritaires.
Il dit que la ministre de la Santé, Jane Philpott, lui a téléphoné après le dépôt du budget pour l’assurer « qu’ils regarderont dans le budget pour voir si certains secteurs pourraient concerner la nation métisse ».
Un budget trop vague
Plusieurs organismes autochtones ont justement déploré le manque de clarté du budget Morneau.
Le président inuit Natan Obed soutient que le « langage nécessaire pour comprendre comment l’Arctique sera touché » est absent du budget. Il dit que son organisme devra continuer d’éplucher ce budget de 322 pages pour comprendre « ce qu’il signifie vraiment pour les Inuits ».
Ainsi, 300 millions de dollars doivent être injectés sur une période de 11 ans pour améliorer les logements dans les trois territoires du pays. Mais le budget n’indique pas clairement quel sera le financement « qui sera donné directement aux Inuits pour construire les maisons dont ils ont besoin ».
Natan Obed dit toutefois espérer qu’à travers le nouveau partenariat son organisme obtiendra les explications nécessaires afin de pouvoir « maximiser le plein potentiel des Inuits » dans tous les secteurs dont il est question dans le budget.
Les femmes déçues, mais optimistes
L’Association des femmes autochtones du Canada (AFAC) tente aussi de démystifier le budget Morneau et de voir comment elle pourra continuer de défendre les intérêts des femmes. L’AFAC souhaitait voir son financement augmenter de façon « importante », ce qui ne lui a pas été accordé.
« Mais notre exclusion de ce budget ne veut pas dire qu’aucune ressource ne sera allouée pour les besoins des femmes autochtones », explique l’association par voie de communiqué. « Nous croyons que la réconciliation est possible. »
L’AFAC explique aussi ne pas avoir trouvé dans le budget « comment les femmes pourront avoir accès à des refuges ou à des logements pour femmes monoparentales ».
Mais l’organisme se dit « extrêmement reconnaissant de voir des actions concrètes en ce qui a trait à la sécurité des femmes », en raison des fonds alloués pour aider les Canadiennes victimes de violence conjugale.
L’AFAC espère par ailleurs que les femmes autochtones seront consultées au moment de l’implantation des services améliorés en santé et en santé mentale. « On espère que les traumatismes intergénérationnels, les pratiques traditionnelles et une approche holistique seront pris en considération », dit l'Association.
Les services à l’enfance
Bien que le budget plaide vouloir « renouveler sa relation avec les Autochtones », aucun financement supplémentaire n’est prévu pour le Programme des services à l'enfance et à la famille des Premières Nations.
Le budget de l’an dernier avait prévu 635 millions de dollars sur cinq ans pour ce programme.
Toutefois, l’Assemblée des Premières Nations estime que 155 millions de dollars supplémentaires sont nécessaires cette année afin que le Canada puisse se conformer au jugement du Tribunal canadien des droits de la personne.
Celui-ci a statué l’an dernier que le gouvernement fédéral s'est rendu coupable de discrimination à l’endroit des enfants autochtones en ne parvenant pas à leur offrir le même niveau de services sociaux que celui offert aux autres enfants canadiens.
La discrimination continue.
La directrice générale de la Société de soutien à l'enfance et à la famille des Premières Nations, Cindy Blackstock, dit être très déçue que « le gouvernement n’ait pas choisi d’accélérer le financement pour la protection des enfants autochtones ».

Cindy Blackstock, directrice générale de la Société de soutien à l'enfance et à la famille des Premières Nations, devant Perry Bellegarde, chef national de l'Assemblée des Premières Nations.
Photo : La Presse canadienne / Adrian Wyld
Le chef national de l’APN, Perry Bellegarde, soutient que le jugement du Tribunal est « une décision exécutoire » et que l’absence de financement à ce sujet dans le budget devra être revue avec le gouvernement.
Le ministre des Finances, Bill Morneau, soutient pour sa part qu’il faudra du temps pour régler ce problème épineux.
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