Villes : s’étaler ou non, là est la question

Prenez note que cet article publié en 2017 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Comme la plupart des villes de l'Ouest canadien, Winnipeg fait face depuis quelques années à un beau défi : une croissance démographique. Chaque année, la population de la capitale manitobaine croît de 10 000 âmes. Il faut donc répondre à la demande en construisant de nouvelles résidences, ce qui soulève l'épineuse question de l'étalement urbain.
Un texte de Rémi Authier
À Winnipeg, la majorité des constructions résidentielles sont dans de nouveaux quartiers, de plus en plus éloignés du centre-ville et des infrastructures existantes. C'est une solution qui permet à la Ville d'obtenir rapidement de l'argent, mais qui entraîne des défis bien réels et des conséquences à long terme.
1er de la série Croissance démographique de l'Ouest : des villes sous pression
Faire face au déficit
La Ville de Winnipeg est aux prises avec un déficit en infrastructures de 7 milliards de dollars après avoir négligé d'entretenir les routes, les égouts et les infrastructures municipales depuis des décennies.

L'urbaniste et professeur de l'Université du Manitoba Jean Trottier affirme que le coût de développement de nouveaux quartiers n'est pas complètement payé par les constructeurs.
Photo : Radio-Canada
Confronté à ce déficit, les élus municipaux sont à la recherche de revenus et le développement immobilier permet d'obtenir rapidement l'argent payé par les promoteurs.
Mais selon Jean Trottier, urbaniste et professeur en architecture du paysage à l'Université du Manitoba, la capitale manitobaine fait face à deux problèmes. D'une part, le montant chargé aux promoteurs immobiliers est insuffisant pour payer l'ensemble des dépenses générées par la construction de ces nouveaux quartiers.
Un deuxième problème c'est qu'on sait que les taxes foncières qui sont récupérées par le développement ne sont pas suffisantes pour les coûts d'entretien.
C'est toutefois un point de vue qui n'est pas partagé par l'Association des constructeurs immobiliers du Manitoba. Selon son président, Mike Moore, les constructeurs paient déjà l'ensemble des coûts reliés à la création de ces nouveaux quartiers.
Les réseaux électriques, les routes, les parcs, les écoles et tout le reste. Tous les coûts de développement sont payés au début et il n'est pas nécessaire d'ajouter des redevances de développement.

Le président de l'Association des constructeurs immobiliers du Manitoba, Mike Moore, considère qu'il n'y a pas de problème d'étalement urbain à Winnipeg.
Photo : Radio-Canada
L’Association s’oppose particulièrement à l’instauration d’une redevance de développement de 500 $ pour chaque 100 pieds carré de constructions résidentielles à compter du 1er mai. Celle-ci s’appliquera à certains quartiers, particulièrement ceux en périphérie, avant de s’étendre à l’ensemble du territoire de Winnipeg dans quelques années.
Densité, un mot peu apprécié
L’architecte Brent Bellamy le dit clairement : de nombreux Winnipégois n’aiment pas le mot densité. C’est pourquoi, selon lui, on voit une opposition à certains projets immobiliers dans les plus vieux quartiers de la capitale et cela encourage le développement en périphérie.
En Europe et dans les villes de l’est du Canada, les gens comprennent qu’une ville vibre et est vivante lorsqu’il y a de la densité. Ici nous combattons fortement cela.

Aperçu de la densité de population de grandes villes de l'Ouest canadien.
Photo : Radio-Canada
L’architecte winnipégois souligne que les nouveaux quartiers sont majoritairement construits en fonction de l’automobile et que les centres communautaires, les écoles et les autres services sont souvent plus éloignés que dans les quartiers établis comme Saint-Boniface. Cette distance requiert ainsi la construction et l'entretien d'un plus grand nombre de routes et d'autres infrastructures.

L'architecte Brent Bellamy voudrait que la Ville de Winnipeg établisse une limite à son étalement.
Photo : Radio-Canada
Les quartiers plus anciens ont par ailleurs vu une diminution de leur densité au cours des dernières décennies, la ville de Winnipeg ayant vu sa population augmenter de 30 % et sa superficie augmenter de 70 % depuis 1970. Cette plus faible densité entraîne des coûts plus élevés.
Il y a tellement moins de densité. Si on y pense, il y avait auparavant 10 maisons qui payaient pour la route et les égouts. Maintenant, il n’y a en moyenne que 7 maisons. Soit chaque maison paie plus d’impôt foncier ou on n'entretient pas les routes.

Le conseiller municipal de Saint-Boniface, Mathieu Allard, dit faire face à une certaine opposition pour certains projets de construction.
Photo : Radio-Canada
Le conseiller municipal de Saint-Boniface, Mathieu Allard, sait bien qu’il est parfois difficile d’obtenir le soutien de la population pour des projets immobiliers plus denses et plus grands que ce qui était construit par le passé. Il note du même souffle qu’il est bien plus facile pour les élus d’approuver le développement de quartiers en périphérie étant donné l’absence d’opposition.
Comment limiter l’étalement?
Comme plusieurs villes des Prairies, Winnipeg n’est pas confronté à des obstacles géographiques comme des rivières, des lacs ou des montagnes qui limiteraient son étalement. Il faut donc, selon l’architecte Brent Bellamy, établir des limites artificielles autour de la ville pour délimiter le périmètre à l’intérieur duquel il est possible de construire. Il cite en exemple Ottawa qui a établi une ceinture verte à cet effet.

Richard Mahé, urbaniste pour le district Riel de Winnipeg, souligne que les quartiers plus anciens ont perdu 88 000 personnes depuis les années 1970.
Photo : Radio-Canada
Il serait toutefois difficile d’implanter une telle mesure, selon l’urbaniste du district Riel de la Ville de Winnipeg, Richard Mahé. Il affirme que la croissance d’autres communautés autour de la capitale manitobaine empêche d’établir une limite à son développement. Il prône plutôt la collaboration avec les communautés avoisinantes.
Selon les experts rencontrés, on peut aussi limiter l’étalement urbain en établissant un coût plus élevé pour développer certaines zones plus éloignées du centre-ville, comme ce sera bientôt le cas avec la redevance de développement. Ils critiquent toutefois le fait que la redevance s’appliquera à l’ensemble de la ville d’ici quelques années, annulant du même coup l’incitatif à densifier les quartiers déjà développés.
À cela s'ajoute une contestation judiciaire de la redevance de développement par l'Association des constructeurs immobiliers du Manitoba qui pourrait avoir une grande influence sur les pouvoirs de la Ville dans ce dossier. Avec une population qui devrait atteindre un million de personnes dans moins de vingt ans, le phénomène de l'étalement urbain n'est pas près de disparaître dans la capitale manitobaine.