L'épopée des Mayes, pionniers noirs dans l'Ouest

Trois générations de la famille Mayes, des pionniers noirs en Saskatchewan au début du 20e siècle, devant leur église.
Photo : Fournie par la famille Mayes
Prenez note que cet article publié en 2017 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Il y a plus de 110 ans, les plaines canadiennes accueillaient les premiers Noirs. Des centaines d'Afro-Américains en quête d'un meilleur avenir se sont installés, notamment en Saskatchewan.
Un texte d'Omayra Issa
Murray Mayes, sa fille Crystal Mayes et sa petite-fille Sascha Martynes vivent toujours à Saskatoon et à Elrose, à 150 km plus loin au sud-ouest, plus de 100 ans après l'arrivée de leurs ancêtres dans le district d’Eldon.
L’histoire de la famille Mayes a été marquée par l’esclavage, la ségrégation raciale, la guerre civile et le désir de s’émanciper en accédant à des terres bon marché au Canada.
« Je pense que lorsqu’ils sont arrivés, il y avait des cerises partout. Mais leur premier hiver a dû être très difficile, car ils n’étaient pas habitués au froid », raconte, d'un ton serein, le doyen Murray Mayes, 85 ans.

Mattie Mayes était réputée pour ses talents de sage-femme dans les environs d'Eldon.
Photo : Archives provinciales de la Saskatchewan/R-A10362
L'épopée de visionnaires
Les Mayes étaient des fermiers en Oklahoma, aux États-Unis. La matriarche Mattie Mayes, qui est née esclave en 1849, a été affranchie au début du 20e siècle, avant que l'Oklahoma ne devienne un État américain. Après avoir vécu dans l'esclavage puis avoir connu l'affranchissement, Mattie Mayes a été confrontée à la ségrégation quand l'État s'est joint aux États-Unis en 1907.
Les lois Jim Crow qui régnaient dans cet État empêchaient les Noirs de monter dans l'échelle sociale et économique. Ils n'avaient plus le droit de vote et la ségrégation raciale sévissait.
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Coup de chance : ce chapitre coïncidait avec la campagne de recrutement de fermiers pour l'Ouest canadien. À l'époque, les gens pouvaient acheter quelque 49 hectares pour 10 $.
Une grande fratrie s’est rassemblée et les gens ont décidé de prendre le chemin du nord. Ils sont venus par train.
Les 40 membres de la famille Mayes qui ont pris le chemin de l’exode n’étaient pas seuls.
« Ils étaient environ un millier à décider de recommencer leur vie ailleurs. Ils se sont installés dans les régions de North Battleford, Lloydminster, Maidstone et Eldon », explique Bill Waiser, professeur distingué émérite en histoire de l'Université de la Saskatchewan.
Mattie Mayes était une sage-femme très reconnue et respectée dans les environs d'Eldon.

Esclave affranchie, Mattie Mayes s'est installée dans le district d'Eldon en 1910 avec 40 membres de sa famille.
Photo : Archives provinciales de la Saskatchewan/R-A7691
Des débuts difficiles
Murray Mayes souligne que la vie des pionniers noirs n’était pas de tout repos. « C’était très difficile. Notre terre était rocheuse et il fallait la travailler sans cesse […] Beaucoup de gens étaient pauvres, tant les Noirs que les Blancs », se rappelle M. Mayes, petit-fils de Mattie Mayes.
Nous étions neuf à nous entasser dans une seule pièce.
Les pionniers noirs ont également été confrontés au racisme en Saskatchewan.
Ironie du sort, ces gens-là, qui fuyaient les préjudices du Sud, ont fait face à de la discrimination en sol canadien, précise Bill Waiser. Les pionniers blancs refusaient entre autres que les enfants des pionniers noirs aillent dans la même école que les leurs.
Le gouvernement canadien de l'époque a tenté d'arrêter l’immigration noire dans les Prairies.
Ils [Les Noirs] n’étaient pas bienvenus, car la Saskatchewan était considérée comme province anglo-canadienne. Il s’agissait d’un pays de Blancs [...] On estimait qu’ils ne pouvaient pas s’assimiler.

Murray Mayes, 85 ans, et sa petite-fille, 17 ans, regardent des photos des membres de leur famille.
Photo : Radio-Canada / Omayra Issa
Persévérance et fortitude
Malgré les préjudices et les défis de la vie pionnière, les Afro-Américains ont persévéré et contribué à bâtir la Saskatchewan. Ils ont construit une école et un cimetière entièrement consacrés aux Noirs et ils ont construit l'église baptiste Shiloh, qui a été restaurée depuis.
Les combats de la vie nous apprennent à persévérer. On n’abandonne pas et on triomphe.
Propriétaire d'un atelier de carrosserie pendant 30 ans à North Battleford, Murray Mayes a enseigné la mécanique à une quarantaine de personnes.
Son fils Rueben est le plus célèbre de la lignée. Footballeur réputé, Rueben Mayes a été nommé recrue de l'année dans la National Football League (NFL) en 1986 alors qu'il s'alignait avec les Saints de La Nouvelle-Orléans. Sa soeur, Charlotte Williams, est la première présidente noire de l'association des vétérinaires de la Saskatchewan.

Crystal Mayes.
Photo : Radio-Canada
Un pan méconnu de l’histoire saskatchewanaise, selon la famille
L’histoire des Canadiens noirs qui ont élu domicile dans la province depuis plus de 110 ans est méconnue, selon Crystal Mayes, la cadette des enfants de Murray.
« Quand on pense à l'immigration en Saskatchewan, au tournant du 20e siècle, on pense souvent aux gens originaires d'Europe, mais pas aux Noirs venus ici », dit-elle.
Elle mène depuis deux ans une croisade pour instruire les gens sur l'histoire des cowboys noirs. Chaque année, à l'occasion du Mois de l'histoire des Noirs, elle fait des présentations sur l’empreinte noire en Saskatchewan.
Les Mayes de toutes les générations sont très fiers de leurs origines et du chemin qu’ils ont parcouru.
« [Je suis] complètement canadienne. Je me sens comme tout le monde », s’exclame Sascha Martynes, la petite-fille de Murray Mayes et arrière-arrière-petite-fille de Mattie Mayes.
Le désir de ses ancêtres, partis à la recherche d'une terre promise 110 ans plus tôt, semble bien réalisé.

Les ancêtres de Sascha Martynes se sont installés en Saskatchewan en 1910.
Photo : Radio-Canada