De jeunes accros à Internet cherchent à revenir à la réalité
Le centre Le Grand Chemin de Saint-Célestin accueille ces jours-ci ses deux premiers jeunes avec un problème spécifique de cyberdépendance.
Photo : Radio-Canada / Josée Ducharme
Nicolas, 16 ans, n'a pas eu le choix d'aller en thérapie. Ça se réglait ainsi ou devant les tribunaux. Sa mère lui a lancé un ultimatum après qu'il eut cloné ses cartes de crédit et lui eut soutiré des milliers de dollars. Rien ne laissait présager un tel dérapage pour l'étudiant en sport-études, profil baseball. C'est le tout premier jeune traité en cyberdépendance par Le Grand Chemin de Saint-Célestin. La demande pour ce service montre qu'il ne sera pas le dernier. D'ailleurs, à peine quelques jours plus tard, un deuxième jeune, Félix, 17 ans, y faisait son entrée. Il nous raconte son histoire, son sauvetage.
Un texte de Marie-Ève Trudel
« Quand t'es pas bien dans le monde réel et que tu vois les jeux vidéo un peu comme ta seule échappatoire, je dirais que c'est à ce moment-là que ça devient vraiment une dépendance », explique Félix Bergeron, en thérapie depuis sept semaines.
Le passage au cégep a été dévastateur pour Félix, qui a vu ses notes dégringoler sous la barre des 20 %. « Ce trop-plein de liberté, j'en ai abusé », admet-il. À cela s'ajoute le mensonge, qui était devenu « une seconde nature ».
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Félix peut toujours compter sur le soutien indéfectible de sa famille, même s'il lui en a fait voir de toutes les couleurs.
« Il commençait à me tenir tête parce qu'il voulait tout de suite retourner à ses jeux vidéo. C'était dur, se rappelle sa mère, Karina Bergeron. C'est vraiment sournois comme dépendance. »
La tension familiale augmentait. Le problème était devenu ingérable, à tel point que les besoins de manger, de dormir et de se laver étaient relégués au second plan.
Karina Bergeron a subi une opération dernièrement. Félix n'a pas été présent pendant son hospitalisation. Aujourd'hui, il n'en est pas fier. « Je ne suis pas allé la voir parce que je venais de m'acheter un nouveau jeu. Il fallait que je consomme, c'était plus fort que moi. »
Rompre avec la dépression
La thérapie, qui dure généralement deux mois au centre Le Grand Chemin, a eu un effet salvateur sur Félix, qui avait des traits dépressifs.
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Un problème de santé publique
La cyberdépendance s'apparente en plusieurs points aux dépendances aux drogues ou à l'alcool, mais elle est traitée différemment par les autorités publiques, faute de consensus scientifique.
« Il n'y a pas de reconnaissance officielle au niveau de l'offre de services, ce qui veut dire qu'il n'y a pas de financement spécifique », explique Miguel Therriault, le coordonnateur des services professionnels au centre Le Grand Chemin.
Qui sont les jeunes cyberdépendants?
C’est le point de départ d’une toute première étude québécoise visant à dresser le portrait clinique des jeunes qui se présentent dans les centres de réadaptation en dépendance pour des problèmes de cyberdépendance. L'étude Virtuado est pilotée par la chercheuse Magali Dufour, de l'Université de Sherbrooke, et financée par le ministère de la Santé et des Services sociaux. Les résultats préliminaires montrent que le problème est bien réel. « Ce n'est pas une invention des journalistes », tranche la chercheuse Magali Dufour. Elle explique également que le problème touche majoritairement des garçons, chez qui on observe des changements de comportements et qui passent en moyenne 56 heures par semaine sur Internet, en plus de leurs heures d'école. Les résultats de l'étude Virtuado doivent être publiés au cours des prochains mois.
Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) travaille à la production d'un nouveau plan d'action en dépendance. À l'heure actuelle, impossible de savoir si ce plan comprendra ou non la cyberdépendance.
Alors, à quand une reconnaissance officielle du problème? « Actuellement, dans nos orientations ministérielles, on considère la cyberdépendance comme un phénomène en émergence et on est à documenter ce phénomène », explique Lynne Dugay, qui est à la tête de la Direction des dépendances et de l'itinérance du MSSS.
Déceler le problème et le traiter
Les intervenants s'entendent sur un point : la ligne est mince entre une saine utilisation des technologies et un usage problématique, d'où la nécessité d'être à l'affût de signes avant-coureurs. « [Fait que le jeune] ne dort plus la nuit, et ne vient plus à table pour manger, mauvaise alimentation, conflits, agressivité... », énumère Miguel Therriault.
Le contrôle parental est sain, selon Miguel Therriault, qui recommande de s'intéresser à l'utilisation que font les enfants de l'informatique. « Des trucs simples comme s'assurer que les ordinateurs et les outils sont dans des lieux communs », dit-il.
Le mot d'ordre pour reprendre les commandes : aider le jeune à diversifier ses activités relationnelles et ses passions. Le conseil vaut aussi pour Félix qui amorcera bientôt le retour dans son environnement.
« J'ai peur parce que, dans le fond, la technologie, c'est omniprésent. Je vais devoir être confronté à ça tous les jours de ma vie, mais malgré tout, avoir le contrôle », explique Félix, déterminé à retrouver l'équilibre lui permettant de poursuivre des études en microbiologie.
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« Pendant que je jouais, c'était pour vivre au travers d'autres vies parce que ces autres vies-là étaient plus passionnantes et m'apportaient plus, mais quelque part, ce que je me souhaite, c'est d'être capable de vivre ma vie et de la vivre avec passion », conclut le jeune, pour qui la thérapie aura été une réelle bouée de sauvetage.