Une lettre ironique de Romeo Saganash au premier ministre Justin Trudeau

Romeo Saganash
Photo : La Presse canadienne
Prenez note que cet article publié en 2017 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Le député du NPD Romeo Saganash (Abitibi-Baie-James-Nunavik-Eeyou) fait un usage abondant d'ironie à la suite d'une déclaration du premier ministre, Justin Trudeau, pour qui les jeunes Autochtones « veulent un endroit où ils peuvent ranger leurs canots et pagaies pour rétablir un lien avec leur terre et un endroit avec l'accès à Internet pour faire leurs devoirs ». Espaces autochtones publie in extenso la lettre du député.
Le 6 février 2017
Le très honorable Justin Trudeau, premier ministre du Canada,
Chambre des communes
Ottawa (Ontario) K1A 0A6
Objet : Programme national sur les canots et les pagaies
Monsieur le Premier Ministre,
Votre gouvernement n’a pas encore investi les sommes requises par la loi pour mettre fin à la discrimination raciale touchant les jeunes des Premières Nations. Cependant, en tant qu’Autochtone, je comprends qu’il n’y ait peut-être pas assez d’argent disponible pour que le gouvernement fédéral remplisse ses obligations légales et morales envers nos enfants.
Vous pouvez me croire lorsque je dis que je comprends parfaitement pourquoi le gouvernement du Canada pourrait être incapable de respecter nos droits. Tout au long de l’histoire du Canada, les enfants des Premières Nations ont reçu plus que leur juste part, alors il est probablement temps qu’ils attendent leur tour.
Voilà pourquoi, si vous devez faire un choix pour le budget qui vient, je vous écris aujourd’hui pour vous faire part de mon désir de voir la création d’un programme national sur les canots et les pagaies.
En tant que Cri, non seulement je suis né près d’un lac, mais j’ai aussi passé une bonne partie de ma vie à naviguer sur l’eau. Néanmoins, je veux que vous sachiez que c’est seulement lorsque j’ai entendu vos récents commentaires que j’ai pleinement saisi toute l’importance de disposer d’espaces de rangement pour nos canots et nos pagaies.
En fait, j’ai honte que mon peuple n’ait pas écouté la jeunesse aussi bien que vous ne l’avez fait. Mais cela m’a rempli de gratitude de voir que le premier ministre de ce merveilleux pays continue d’éclairer nos peuples en faisant des déclarations telles que celle-ci :
« J’ai parlé avec plusieurs chefs qui me disent : “Vous savez, nous avons besoin d’un centre jeunesse, avec des télévisions, des salons et des divans pour qu’ils puissent fréquenter l’endroit.” Lorsqu’un chef me dit ça, je sais qu’il n’a pas consulté les jeunes, parce que la plupart des jeunes à qui j’ai parlé veulent un endroit où ils peuvent ranger leurs canots et pagaies pour rétablir un lien avec leur terre et un endroit avec l’accès à Internet pour faire leurs devoirs. »
– Le premier ministre Trudeau, 2017
C’est tout un honneur que, pour la première fois dans l’histoire du Canada, nous ayons un premier ministre qui, en tant que ministre de la Jeunesse, soit aussi à l’écoute de nos jeunes.
En tant que premier ministre, vous avez écrit à chaque membre de votre Cabinet pour affirmer que votre relation avec les peuples autochtones était la plus importante, alors qui suis-je pour être en désaccord avec vos récents commentaires selon lesquels vous savez ce qu’il y a de mieux pour la jeunesse autochtone, qui est aux prises avec tant d’enjeux critiques, y compris une épidémie de suicides?
Voilà pourquoi je crois qu’il est crucial pour la jeunesse autochtone de mettre en place un programme national sur les canots et les pagaies. Je crois aussi que c’est pour cela que la Commission de vérité et de réconciliation a fait de ce programme son 95e appel à l’action secret.
Par ailleurs, je suis réconforté et encouragé de voir que votre gouvernement souscrit véritablement à l’esprit de la Déclaration des Nations unies, surtout son article 25, qui stipule que :
« Les peuples autochtones ont le droit de conserver et de renforcer leurs liens spirituels particuliers avec les terres, territoires, eaux et zones maritimes côtières et autres ressources qu’ils possèdent ou occupent et utilisent traditionnellement, et d’assumer leurs responsabilités en la matière à l’égard des générations futures. »
Il est grand temps que le gouvernement fédéral aide les Premières Nations à maintenir leurs liens spirituels déterminants avec les eaux. Il y a un parallèle à faire avec ce que préconise votre gouvernement en approuvant des projets tels que celui du Site C, de Kinder Morgan et du barrage de Muskrat Falls.
Une fois que le système d’entreposage de canots et de pagaies sera en place, je pagaierai moi-même d’un bout à l’autre du pays pour dire aux Premières Nations qui s’inquiètent des répercussions de ces projets de ne pas s’en faire, puisque grâce à cet investissement budgétaire pressant dans nos entrepôts de canots, nos liens avec les terres et les eaux sont maintenus.
Bien que je ne sois pas moi-même le premier ministre qui a déclaré que la relation la plus importante à ses yeux était celle qu’il entretenait avec les peuples autochtones, je voudrais vous informer que j’ai fondé le Cree Nation Youth Council en 1985. Je crois que cela devrait vous donner l’assurance, même minime, que je parle d’expérience et avec expertise lorsque je vous dis que l’enjeu le plus important auquel font face les jeunes Autochtones depuis les 150 dernières années a été le manque de hangars pour entreposer leurs canots.
J’ai moi-même souvent déploré le manque d’espace sur la colline du Parlement pour ranger mon canot et ma pagaie.
Je salue votre vision, Monsieur le Premier Ministre, et j’ai hâte de voir votre gouvernement régler cette crise urgente dans le prochain budget.
Cordialement,
Romeo Saganash