I Am Not Your Negro, un documentaire cru sur le racisme aux États-Unis

Une scène du film « I Am Not Your Negro »
Photo : Magnolia Pictures
Prenez note que cet article publié en 2017 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Un documentaire, un de plus? Parce qu'il faut le reconnaître, il en pleut, des documentaires, depuis un moment, alors que, pendant des années, le genre avait plutôt été mis sur les tablettes.
Je me suis donc assis devant I Am Not Your Negro sans trop savoir à quoi m’attendre pour me relever, 95 minutes plus tard, sonné par cette autopsie raciale de l’Amérique.
Oh! Ce n’est pas tellement qu’on y apprend des choses sur le racisme dans un pays qui se veut trop blanc, trop propre, trop lisse, mais il est impressionnant de refaire, sur le ton poétique d’un auteur black, le chemin parcouru au cours de la deuxième moitié du 20e siècle.
J’ignorais qui était Raoul Peck. Je n’ai jamais rien lu de James Baldwin. Je connaissais bien entendu Malcolm X, Medgar Evers et Martin Luther King, ces hommes qui ont écrit l’histoire avec leur sang. Je savais aussi que le film était en nomination aux Oscars. Bref, voilà ce que j’en savais.
Un tour d’horizon rapide? Raoul Peck est un scénariste et réalisateur haïtien au parcours assez cahoteux, rebondissant au cours de sa vie du journalisme à la politique au cinéma. James Baldwin, lui, est un écrivain noir américain né à Harlem, qui a vécu en France, qui est revenu aux États-Unis et qui a été, jusqu’à sa mort en 1987, une figure très active du mouvement pour les droits civiques.

Le cinéaste Raoul Peck
Photo : Invision / Chris Pizzello
I Am Not Your Negro s’appuie sur un manuscrit non terminé de Baldwin qui dresse le portrait des activistes Malcolm X, Medgar Evers et Martin Luther King dans une Amérique chaotique et carrément raciste.
Le film n’a bien sûr rien d’objectif. Il est même plutôt solidement campé du côté black d’un pays qui continue aujourd'hui à nier son âme ségrégationniste. Samuel L. Jackson, de sa voix grave, assure la narration et endosse la parole de Baldwin. Ainsi, le documentaire fait la démonstration que, si les choses ont évolué, il reste encore beaucoup de chemin à faire. Les archives servent, ici, de cailloux pour remonter un chemin sombre et grave creusé dans la violence, l’exclusion et le sang.

James Baldwin, au centre, dans le film « I Am Not Your Negro »
Photo : Magnolia Pictures via AP/Dan Budnik
Résistance ou pacifisme?
À la fin des années 1950 et pendant la décennie qui a suivi, des hommes se sont levés, ont pris la parole, certains prônant la résistance, d’autres le pacifisme, pour sortir de l’enfer dans lequel on les confinait depuis des siècles; pour que les jeunes Noirs puissent aller à l’école sans subir l’intimidation infligée par les Blancs, pour que les citoyens, quelle que soit leur couleur, puissent aller et venir comme bon leur semble et faire valoir leurs droits.
Ceux qui ont parlé le plus fort, qui ont levé le bras le plus haut, qui ont marché sans craindre matraques et boucliers, ceux-là sont tombés. Des images en témoignent : l’impact des balles qui traversent les fenêtres, Rodney King tabassé par des flics égarés, les funérailles de Martin Luther King, un chagrin que même les larmes de tout un peuple n'ont pas réussi à laver...
Des voix résonnent dans ce document. Peck raconte Malcolm X, Evers et King, mais aussi Baldwin, qui a incarné à sa façon le grand espoir noir. On y voit également l’écrivaine Lorraine Hansberry, morte à 34 ans. On assiste à leurs discours, à leurs conférences. On entend leurs plaidoyers déchirants, prononcés dans des talk-shows.
Raoul Peck ne donne pas dans la dentelle. Des scènes d’émeutes, celles d’hier comme celles d’aujourd’hui, à Jackson comme à Ferguson, des constats affolants qui s’appuient sur les écrits de Baldwin, l’écho de phrases lourdes de sens qui retentissent : « Ce pays ne sait que faire de sa population noire et rêve à la solution finale. » Ça fait peur. Ça fait mal.
À travers des extraits de longs métrages hollywoodiens, on étale le paradoxe de l’Amérique, son double discours, son hypocrisie et, comme la nomme clairement l’écrivain, « sa pauvreté émotionnelle abyssale ».
Le constat est dur : « L’homme blanc tire sa haine de la terreur qu’il focalise sur le Noir. »

Une scène du documentaire « I Am Not Your Negro »
Photo : Magnolia Pictures
Quand on voit sur un même plateau Harry Belafonte, Marlon Brando, John Baldwin, Charlton Heston, Joseph Mankiewicz, on réalise que le métissage social est inévitable, qu’il est l’avenir.
Deux histoires américaines
Raoul Peck ne prend pas de gants blancs. Il dénonce. Il dénonce la condescendance, celle d’un Robert Kennedy qui affirmait que « Plus rien n’empêcherait de voir dans les décennies à venir un Noir à la présidence » ou celle d’un succès cinématographique comme Devine qui vient dîner?
En fait, une des choses frappantes que révèlent ce documentaire, c’est que la lecture de l’histoire, des évènements, des films, des discours n’a jamais été la même pour l’Afro-Américain que pour l’Américain blanc du nord ou du sud. Malcolm X l’illustrait fort bien en affirmant que « la ségrégation était à son paroxysme le dimanche à midi ». Il suffisait d’aller dans une église blanche et dans une autre noire pour constater le clash.
« Ce n’est pas le pays des hommes libres ni celui des hommes braves… On ne peut changer tout ce qu’on affronte, mais nous ne pouvons rien changer si nous ne l’affrontons pas… » On entend les phrases sur lesquelles sont posées des images.
En reprenant la réflexion de l’écrivain, Peck fait le constat désolant de l’échec du mode de vie américain; un bonheur jamais atteint.
« L’histoire des Noirs en Amérique, c’est l’histoire de l’Amérique, et ce n’est pas une belle histoire », a écrit un jour Baldwin...
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