Dans quels pays la maternité tue-t-elle le plus de femmes? La réponse en carte
Le décret anti-avortement de Donald Trump veut dire moins d'argent pour les ONG qui favorisent la planification familiale dans les pays pauvres. Une aide pourtant essentielle alors qu'on compte des centaines de milliers de décès maternels chaque année dans le monde. État des lieux.
Environ 830 femmes meurent chaque jour des complications liées à la grossesse ou à l’accouchement, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Et 99 % des décès maternels surviennent dans les pays en développement. L’Afrique est particulièrement touchée par ces morts évitables, comme le montre la carte ci-dessous.
La version originale de ce document a été modifiée. Pour des raisons techniques, la version interactive de la carte n'est plus disponible.
« Pour moi, c’est la plus grande inégalité, en matière de santé mondiale. C'est-à-dire les écarts entre les ratios de mortalité maternelle actuels dans des pays comme le Mali ou ailleurs en Afrique subsaharienne et ce qu’on voit ici », explique François Couturier, professeur au Département de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke.
« On a les moyens, les technologies, on a les ressources pour éviter tous ces décès. »
Au Mali, par exemple, on compte 587 décès maternels pour 100 000 naissances vivantes. Il s’agit du même taux de mortalité qu’au Québec dans les années 30, explique François Couturier.
« On avait des chiffres épouvantables au Québec dans la première moitié du 20e siècle. C’était pour les mêmes raisons qu’au Mali : le manque d’accès à des soins de santé de qualité, pas d’assurance maladie, pas d’accès aux médicaments, pas de pénicilline, pas de transfusions, pas de césariennes », observe François Couturier.
« Ce qui a fait baisser les taux de mortalité ici, c’est l’accès à des soins de qualité, l’assurance maladie, la révolution féministe, l’accès à des médicaments; les antibiotiques dans les années 40, l’ocytocine dans les années 50. »
M. Couturier a bon espoir que la situation s’améliore dans le monde en raison des progrès des dernières années. Selon l’OMS, la mortalité maternelle a diminué de 44 % de 1990 à 2015.
Mady Biaye, représentant résident du Fonds des Nations unies pour la population (FNUP) en Guinée équatoriale, se dit extrêmement optimiste. Il estime qu’il est possible d’atteindre en Afrique d’ici 2030 l’objectif de développement durable de l’ONU, soit de faire passer le taux mondial de mortalité maternelle au-dessous de 70 pour 100 000 naissances vivantes.
« D’ici 15 ans, si on travaille bien dans les pays. Parce que ce sont d’abord les pays, les dirigeants, qui doivent se prendre en charge, avec un engagement fort et qui se concrétise par des actions sur le terrain. »
Pourquoi l’Afrique?
L’Afrique souffre de sa fécondité. « En général, les pays qui ont les forts taux de fécondité sont aussi les pays où la mortalité maternelle est élevée. Il y a une corrélation », explique Mady Biaye, qui est aussi démographe et statisticien. De là, l’importance de promouvoir la contraception dans ces pays, ajoute-t-il. Sinon, les femmes ont un enfant après l’autre.
François Couturier, qui a beaucoup travaillé en santé maternelle en Afrique, donne l’exemple du Mali, où les femmes ont de 6 à 8 enfants. « Ces femmes ne sont déjà pas en bonne santé. Donc, la moindre hémorragie peut devenir mortelle. Des choses qui seraient banales ici peuvent devenir mortelles. […] Les femmes n’ont pas le temps de récupérer d’une grossesse à l’autre, elles font leur première grossesse trop tôt ou leur dernière grossesse trop tard, passé l’âge de 40 ans, et elles se retrouvent vraiment en danger. »
« Ces décès maternels auraient pu être facilement évités. Et les femmes meurent parce qu’il n’y a pas les ressources, ni les moyens. »
Selon l’OMS, les risques de complications et de décès dus à la grossesse sont plus élevés chez les adolescentes. Or, dans plusieurs pays d’Afrique, les femmes se marient très jeunes, à 11, 12 ou 13 ans.
« Avec le mariage précoce, les filles qui ne sont pas mûres sur le plan reproductif. Ça expose beaucoup plus à une forte mortalité maternelle dans ces pays. »
L’autre problème de l’Afrique, c’est l’accès aux services de santé. L’OMS a constaté que la mortalité maternelle est plus élevée en milieu rural. Les cliniques et le personnel qualifié manquent cruellement dans les campagnes.
Selon François Couturier, les fausses couches ou les avortements faits dans des conditions insalubres sont une cause importante de mortalité maternelle, surtout dans les pays où l’avortement est interdit.
Les droits des femmes
François Couturier constate que « la place des femmes dans la société va beaucoup déterminer aussi les ratios de mortalité ». Il note que, si les femmes n’ont pas accès à la contraception, si elles n’ont pas de pouvoir décisionnel sur leur sexualité ou le mariage, les taux de mortalité maternelle sont plus élevés.
Même son de cloche du côté de Christabelle Sethna, professeure agrégée à l’Institut d’études féministes et de genre de l’Université d’Ottawa.
« Dans les pays développés, il y a des options pour les femmes en matière de santé sexuelle et reproductive. Dans les pays sous-développés qui sont déjà pauvres, qui ont déjà des lois restrictives contre l’avortement, il n’y a pas de choix, pas d’options pour les femmes. »
Avec le décret de Trump, encore plus d’avortements et de décès
Le 23 janvier, quelques jours après son assermentation, le président américain a signé un décret interdisant le financement d’organisations internationales qui pratiquent ou soutiennent l’avortement.
Cette décision touche les ONG étrangères qui reçoivent des fonds de l’agence américaine pour le développement international (USAID). Si elles veulent continuer à recevoir l’aide des États-Unis, elles doivent s’engager à cesser toute activité liée à l’avortement.
Pour Christabelle Sethna, professeure à l’Université d’Ottawa, ce décret n’est qu’une façon pour l’administration Trump de plaire à sa base électorale, qui est viscéralement contre l’avortement. Cela lui rappelle une politique semblable, adoptée par le premier ministre Harper en 2010.
« Pour moi, c’est clair que c’est un jeu pour la base domestique, mais les victimes de ce jeu sont les femmes à l’extérieur, les femmes qui sont déjà très pauvres. […] Je pense franchement que ce jeu est dégoûtant. »
Mme Sethna craint que ce ne soit que le début. « C’est un signal pour la base domestique, mais aussi un signal pour les femmes américaines. […] Ça veut dire que notre gouvernement est contre l’avortement, contre le contrôle des femmes sur leur corps. Et on peut instaurer cette politique soit à l’extérieur du pays, soit à l’intérieur. »
Le décret de Trump n’a rien de neuf aux États-Unis. En 1984, le président Reagan avait instauré la Global Gag Rule (« règle du bâillon mondial »), aussi connue sous le nom de politique de Mexico. S’en est suivi un jeu de ping-pong entre les démocrates et les républicains. Cette mesure a ensuite été levée par le président démocrate Bill Clinton en 1993. Elle a été rétablie par le républicain George W. Bush en 2001, puis encore suspendue par le démocrate Barack Obama en 2009.
En 2016, les États-Unis ont dépensé 607 millions de dollars pour la santé reproductive et planification familiale dans le monde, selon l’Institut Guttmacher.
L’organisation Marie Stopes International a déjà annoncé qu’elle allait refuser les conditions imposées par l’administration Trump. Du coup, elle perd un précieux financement. L’organisme estime que la perte des subventions américaines pourrait avoir les conséquences suivantes durant le mandat du président Trump, de 2017 à 2020 :
- 6,5 millions de grossesses non désirées
- 2,2 millions d’avortements
- 2,1 millions d’avortements à risque
- 21 700 décès maternels
De nombreux experts estiment que le décret de Trump est tout à fait contre-productif. Une étude de l’Université Stanford, réalisée en 2011, démontre que les avortements ont augmenté considérablement lors de la mise en vigueur de la politique de Mexico sous le mandat du président Bush.
En coupant les vivres aux ONG, les États-Unis nuisent aux efforts de planification familiale. « C’est toute la contraception qui est mise de côté, et ça donne un sous-financement de toutes les initiatives pour les femmes », explique le professeur François Couturier.
« L’accès à l’avortement, à une contraception complète, du condom jusqu’à l’interruption de grossesse, c’est probablement la chose qui fait le plus diminuer la mortalité maternelle et la mortalité infantile aussi. »
L’initiative des Pays-Bas
Peu après le décret antiavortement, le gouvernement néerlandais a annoncé la création d’un fonds international pour remplacer les subventions américaines. Une initiative qui enchante l’IPPF (International Planned Parenthood Federation), un réseau de 151 associations.
L’IPPF refuse elle aussi les conditions de la politique de Mexico. « Nous travaillons avec les gouvernements et les donateurs pour combler les manques créés par la Global Gag Rule », explique Tewodros Melesse, directeur général de l’organisation.
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