Vie de parent : comment survivre au suicide de son enfant?

Gérard Delisle.
Photo : Radio-Canada / Radio-Canada/Lévy Marquis
Prenez note que cet article publié en 2017 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Ces idées noires qui menacent de vous entraîner vers l'abîme, Gérard Delisle ne les connaît que trop bien. Il les côtoie intimement depuis plusieurs années à cause de ses épisodes de dépression, mais, surtout, elles lui ont enlevé son enfant, sa fille aînée, sa Catherine, un matin d'août 2015.
Un texte d'André Dalencour pour Les Malins
« À 7 h 12, j’ai reçu un appel de Pauline [son ex-femme], de Timmins. Je n’avais pas répondu. J’étais dans un épisode de dépression », raconte-t-il la gorge nouée.
En écoutant le message que cette dernière lui a laissé, il comprend qu’elle est à l’hôpital avec leur fille de 31 ans et que c’est très sérieux. Alors il la rappelle.
« Elle m’a raconté que Catherine avait mis fin à ses jours. Elle n’était pas décédée encore, mais voilà… Ce n’est pas facile de recevoir ce genre d’appel là et ce n’est pas facile pour l’autre conjoint d’avoir à faire ce genre d’appel là », souligne M. Delisle.
Catherine a été débranchée peu après des appareils qui la maintenaient en vie.
Cela a pris du temps pour que son ancienne femme et lui reparlent de cet épisode. Aujourd’hui, il dit que cette dernière s’estime chanceuse d’avoir pu accompagner leur enfant de la sorte.
« Un cul-de-sac »
Première d’une fratrie de trois enfants, Catherine est née à Sudbury en novembre 1983. Petite fille, elle était curieuse et très intéressée par ce qui se passait autour d’elle, selon son père.
Comme pour beaucoup, le passage à l’âge adulte n'a pas été facile. À 16 ans, elle a décidé de quitter les siens et de ne plus aller à l’école. Les défis se sont enchaînés : toxicomanie, épisode de dépression et problème de violence conjugale.
« [Elle] a été, à un moment donné, exposée à la violence des hommes à l’égard des femmes. Une relation de couple. Ça a été assez rock and roll », souffle M. Delisle. « Ça a été particulièrement difficile pour nous, sa maman, Pauline, et moi, parce que comme citoyens et dans le cadre de notre travail […], c’est un dossier dans lequel on était très impliqués. »
Que notre fille soit victime de violence, ça nous a touchés particulièrement.
Gérard Delisle et son ancienne conjointe n’ont jamais fermé la porte à leur fille et ils l’ont accompagnée dans ce que les experts appellent « le cycle de violence » : la victime de violence quitte son bourreau dans un moment de lucidité, puis retourne dans ses bras par amour, avec l'espoir de le changer.
« Mais à un moment donné, c’est devenu un cul-de-sac pour elle », explique M. Delisle.

À gauche un avis de décès en mémoire de Catherine Poulin-Delisle, à droite une photo de quand elle était petite fille.
Photo : Courtoisie
Une question de résilience
Gérard Delisle a le sentiment que ce n’est pas tant le désir de mort qui a emporté sa fille, que la mort de son désir de s’accrocher.
« Les raisons exactes pour lesquelles Catherine a décidé de mettre fin à ses jours… Les raisons exactes, on ne les saura jamais. Ce n’est pas qu’elle n’avait pas le goût de vivre, mais cela faisait trop mal », avance-t-il.
Avant de s’en aller, Catherine a tout de même laissé des notes où elle expliquait à ses parents qu’elle savait que son suicide ne serait pas être facile pour eux, mais qu'elle était persuadée qu’ils dépasseraient leur douleur.
« Elle avait raison. Elle a été capable de nous décoder. Ça ne veut pas dire que c’est facile, mais Pauline et moi, même si on est divorcés depuis plusieurs années, on s’appuie de façon non codépendante, de façon respectueuse », explique-t-il.
Pour ne pas sombrer, il s’est agrippé aux différents témoignages - sur les réseaux sociaux et le jour des funérailles - qui montraient à quel point sa fille était très appréciée.
« C’est ce qui nous nourrit… C’est de mettre l’accent sur toutes les bonnes choses que l’on a vécues avec elle et il y en a eu beaucoup », fait-il remarquer.
Ne pas oublier, ne pas se taire

Gérard Delisle en train de discuter avec Jhade Monpetit.
Photo : Radio-Canada / Lévy Marquis
Pour s’aider à faire son deuil, il a en outre participé à des sessions avec un groupe d’entraide établi à Ottawa, pour les personnes qui ont perdu un être cher.
« En parler, c’est très important. Il ne faut pas se culpabiliser », insiste M. Delisle.
Au sein de ce cercle, il raconte avoir fait la connaissance d’un homme dont le fils s’est suicidé. Celui-ci lui a confié avoir pleuré une seule fois, seul dans son auto, après la mort de son enfant. Il n’avait pas pu ou su comment parler de ça avec sa femme.
« Il l’a fait avec moi. Pourquoi? Parce que je lui ai ouvert la porte. Moi, j’ai parlé du départ de Catherine. C’est ça qui arrive. Ça fait boule de neige », observe M. Delisle.
Que ce soit la question de la violence des hommes vis-à-vis des femmes, la question de la santé mentale ou de la toxicomanie, ce sont des défis, des problématiques qui nous appartiennent à tous.
Selon lui, le deuil ne se termine jamais et chacun le vit à sa façon. Lui, il le surmonte en prenant soin de sa santé et en faisant « des clins d’œil » à sa fille, comme l’entrevue qu’il nous a accordée.
« Je ne veux pas qu’on l’oublie », a-t-il répété à plusieurs reprises. « Si le fait de faire ça fait en sorte qu’il n’y a pas une deuxième Catherine quelque part, je vais être le gars le plus heureux au monde. »
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