10 ans d’iPhone, la mobilité pour le meilleur et pour le pire

Le 9 janvier 2007, le patron d'Apple, Steve Jobs, présentait l'iPhone à San Francisco, en Californie.
Photo : Reuters / Kimberly White
Prenez note que cet article publié en 2017 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Comment l'arrivée des premiers téléphones multifonctions a-t-elle changé le monde? Voici quelques éléments de réflexion.
Un texte de Janic Tremblay, à Désautels le dimanche
C’est un moment d’anthologie pour les amateurs d’histoire des technologies. Le 9 janvier 2007, Steve Jobs annonce la mise en marché de trois produits révolutionnaires... qui n’en sont en fait qu’un seul : l’iPhone.
Il faut revoir la mine satisfaite du défunt PDG d’Apple, qui semble marcher sur les eaux en présentant les fonctions de son nouveau gadget.
Il sait que l’iPhone définit un nouveau genre. Un téléphone convivial pourvu d’un grand écran tactile qui lit les contenus multimédias et qui permet d’accéder à Internet en tout temps. C’est du jamais vu.
L’expression « changement de paradigme » est souvent galvaudée. Pas cette fois. Dix ans plus tard, l’iPhone et les autres téléphones multifonctions ont effectivement changé bien des choses.
Des êtres humains hyperconnectés
Avec l’arrivée de l’iPhone, Internet a brisé ses chaînes. Il est devenu possible de fureter facilement sur le web, partout où il y a un réseau.
Toute la richesse de la grande toile est devenue accessible en tout temps. Google est toujours disponible dans le creux de la main. Chaque question peut dorénavant trouver rapidement une réponse. Combien coûte ce manteau chez les compétiteurs? Cet appareil photo en solde est-il apprécié par ses propriétaires? Fait-il plus froid en hiver à Reykjavik ou à Stockholm? Comment effectuer la manœuvre de Heimlich en cas d’urgence?
Jamais l’humanité n’a eu accès à autant de connaissances aussi facilement et aussi vite. La vérification des faits est devenue un jeu d’enfant. Plus question de se laisser duper par les beaux parleurs.
On ne peut s’empêcher de penser à cette scène du film Annie Hall (1977), où Woody Allen rencontre un fumiste qui prétend bien connaître les théories du spécialiste des médias Marshall McLuhan, sans redouter d’être contredit par quiconque. Sauf que Marshall McLuhan est aussi dans la file…
Parions que l’avènement de l’iPhone et de l’Internet mobile aura permis à beaucoup de gens d’avoir leur « moment Marshall McLuhan ».
Même chose pour le service de cartographie de Google, qui est dorénavant offert à tous en un tournemain, grâce au positionnement par triangulation des téléphones cellulaires d’aujourd’hui.
L’exploration n’a jamais été aussi facile et rassurante. Il est toujours possible de retrouver son chemin dans les labyrinthes urbains ou les chemins isolés des campagnes. Enfin, quand il y a du réseau!
Puis, il y a aussi Facebook, Twitter et tous les autres médias sociaux numériques. Avant l’iPhone, les autres téléphones permettaient eux aussi de se connecter grâce à des applications spécialisées. Mais il était plus ardu et moins agréable d’en consulter le contenu.
Le téléphone d’Apple a changé tout cela en améliorant grandement l’expérience de l’utilisateur, ce qui en a convaincu beaucoup de se procurer de tels appareils.
Conséquence : pour bien des gens, Facebook est maintenant partout. Au cinéma. Au supermarché. Dans la file d’attente. Au travail. À côté du lit. Il est donc possible de converser avec ses amis en tout temps.
Les services de diffusion en continu comme Spotify ou Apple Music, qui ont découlé de l’apparition des téléphones multimédias, révolutionnent notre rapport à la musique et permettent aux mélomanes d’accéder à presque toutes les œuvres du monde pour une dizaine de dollars par mois.
Cela aurait été impensable avant le lancement de l’iPhone. D’ailleurs, tous les créateurs de contenu audio, notamment de baladodiffusions, profitent maintenant de cette nouvelle plateforme pour se faire connaître et raconter leurs histoires à la planète entière.
Mais, impossible de passer sous silence les travers et les côtés obscurs qui ont découlé de la commercialisation de l’iPhone et des autres téléphones multifonctions qui ont suivi.
Le reportage de Janic Tremblay est diffusé le 15 janvier à l'émission Désautels le dimanche sur ICI Radio-Canada Première.
Le règne de l’immédiat
« Personne ne veut retourner en arrière, mais il faut tout de même constater que nous vivons maintenant de plus en plus dans l’immédiateté et le temps réel », fait remarquer le sociologue des médias André Mondoux. « Les gens veulent accéder à tout ce qui les intéresse, peu importe l’endroit ou le moment. C’est ce que leur permet le téléphone intelligent! »

André Mondoux, professeur à l'École des médias de l'UQAM
Photo : Radio-Canada / Laurent Boursier
Selon André Mondoux, le téléphone met en place une dynamique qui mise sur les formats courts et facilement consommables.
« Sur un ordinateur, je peux être en mode réflexif et lire de longs textes. C’est très difficile sur un iPhone. On mise donc sur des informations succinctes. C’est un peu le règne des 140 caractères », explique le sociologue.
Il donne l’exemple du discours du président élu des États-Unis, Donald Trump, structuré en blocs d’idées simples : « Il faut que le message passe rapidement en misant sur l’impulsion et l’émotion ».
Nous sommes plusieurs chercheurs dans le monde à trouver que les espaces de réflexion sont problématiques sur ces plateformes.
Pour André Mondoux, les technologies mobiles sont un terreau de choix pour la propagation de fausses nouvelles.
Exactement comme celles dont on dit qu’elles ont pu contribuer à l’élection de Donald Trump. Il rappelle, un peu comme le faisait le président Barack Obama dans son dernier discours, que les médias sociaux accessibles en tout temps sur son téléphone peuvent constituer des silos de pensée et des chambres d’échos qui ne répercutent qu’un seul point de vue au détriment du pluralisme.
Il y a aussi tous les aspects liés à la géolocalisation. « Il peut y avoir des avantages, comme des bons de réduction ponctuels chez des commerçants à proximité. Mais beaucoup d’inconvénients aussi. Pensez aux manifestants pro-européens qui s’étaient réunis à Kiev en janvier 2014 et qui ont reçu un SMS sur leur téléphone les avisant que leur activité était illégale. »
André Mondoux se pose aussi des questions sur l’utilisation des métadonnées et sur leur conservation.
Il explique être en train d’éplucher les contrats d’utilisation de plus d’une centaine d’applications. La grande majorité d’entre elles se réservent le droit d’utiliser ces données et même de les revendre à un tiers parti sans aucun droit de regard quant à l’utilisation qui en sera faite. « C’est un peu sauvage comme marché. Il faudrait réglementer! »

En France, les salariés des entreprises de plus de 50 employés ont désormais le droit d'ignorer les appels, les textos ou les courriels envoyés en dehors des heures régulières de travail.
Photo : Radio-Canada / ICI Radio-Canada
De nouvelles dépendances
La psychologue Marie-Anne Sergerie rappelle que la cyberdépendance existait avant l’arrivée de l’iPhone.
Mais le téléphone d’Apple et les autres appareils du même genre peuvent exacerber le problème pour certains individus, car il devient possible d’être joint partout en tout temps.
Pour certains individus plus anxieux, ça peut devenir envahissant, car ils ont peur de manquer une occasion sociale intéressante ou des informations importantes. Ils n’arrivent plus à décrocher.
On appelle cela le FOMO (Fear Of Missing Out ou la peur de manquer quelque chose). Les gens qui souffrent de cette forme d’anxiété sociale n’arrivent pas à « s’engager pleinement dans le présent et auprès de leur entourage ».
La psychologue constate aussi que cette stimulation perpétuelle prend beaucoup de temps et a une autre conséquence de taille : une certaine difficulté à gérer l’ennui. « Dès qu’il y a un instant de libre, les gens essaient de le combler afin de se distraire. Ce sont des habitudes qui s’installent sournoisement. Cette propension à chercher de la stimulation peut elle aussi compromettre l’engagement. »
Marie-Anne Sergerie ne retournerait pas en arrière pour autant. Elle invite cependant les mobinautes et les parents d’adolescents à sérieusement se questionner quant à la place et l’usage que prennent les téléphones, quitte à mettre des balises.