Kinky Boots : trouver botte à son pied

Une scène du spectacle « Kinky Boots »
Photo : Matthew Murphy
Prenez note que cet article publié en 2017 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Qu'ont en commun une manufacture de souliers en faillite du nord de l'Angleterre et le monde des travestis? De prime abord, rien du tout. Mais à Hollywood, une telle association mène à un film et puis à une comédie musicale présentée à Broadway.
Reposant sur un livret de Harvey Fierstein et des chansons de Cyndi Lauper, Kinky Boots s’amène pour une première fois à Montréal auréolée de six trophées Tony, dont celui de la meilleure comédie musicale en 2013. Divertissante et coquine, la production est convaincante au plan musical, et finalement plus touchante que drôle.
Quand votre produit n’est plus en vogue, innovez. N’importe quel spécialiste de marketing vous le dira. C’est la situation à laquelle fait face Charlie Price (Curt Hansen, solide) quand il hérite de la manufacture à chaussures de son paternel, qui vient de mourir. Mais l’étincelle ne serait probablement jamais survenue s’il n’avait pas croisé Lola (excellent J. Harrison Ghee), un travesti à la carrure de boxeur en quête de bottes à talons hauts nettement plus solides que les siennes.
D’entrée de jeu, Charlie et son amoureuse, Nicola (Katerina Papacostas, carriériste à souhait), devaient s’établir à Londres, mais la nouvelle orientation de la manufacture ne se fait pas sans heurts, et bouleverse leur vie et celle des ouvriers de Northampton.
Inspirée du film réalisé par Julian Arnold en 2006, Kinky Boots met en opposition deux univers que tout sépare : le monde, plutôt beige, du milieu ouvrier conservateur et celui, non conformiste et éclatant de couleurs, des travestis. Tout l’intérêt réside là-dedans. C’est ce qui explique le quart d’heure un peu fade qui précède l’arrivée de Lola et de ses anges, l’emblématique troupe de travestis. Cette mise en bouche se déroule au rythme pépère d’une chaîne de montage d’un autre âge.
La comédie musicale prend tout son élan quand les contrepoints sont à leur paroxysme. Voir Lola expliquer à George (Jim J. Bullock), le directeur d’usine porté sur les traditions, que le sexe n’est pas supposé être confortable dans un débat sur la confection des bottes (Sex Is in the Heel), c’est du bonbon.
Dynamisé par la présence de Lola (Simon, sans son déguisement), qui vole toutes les scènes du premier acte dans lesquelles il/elle prend part, la première portion est un crescendo qui culmine avec un numéro spectaculaire (Everybody Say Yeah) où chanteurs et danseurs s’éclatent sur les tapis roulants dont la configuration change sans cesse.
Conscience sociale
Si elle ne mise pas sur des situations qui provoquent obligatoirement des éclats de rire en cascades comme le fait la comédie musicale The Book of Mormon, Kinky Boots a une conscience qui met en opposition les luttes et les classes sociales.
Le débat ville-banlieue est personnalisé par Nicola, la copine de Charlie, qui veut absolument vivre à Londres, comme si une ville régionale était indigne de sa présence. La lutte de classes est personnifiée par Charlie. Désireux de voir ses nouvelles bottes se débarquer à Milan, il oublie que ses employés sont des ouvriers de condition modeste fidèles à son père qui n’ont rien à faire d’un jeune patron soudainement obnubilé par l’une des capitales les plus snobs du monde de la mode.
Don (Aaron Walpole), le gros ouvrier teigneux, prend en grippe Simon/Lola, pour des raisons évidentes d’homophobie. Le combat de boxe entre les deux (In This Corner) est un bijou de mise en scène. Son dénouement est une ode à l’acception de soi et des autres.
Et, bien sûr, la relation entre Charlie et Lola/Simon ainsi que leur transformation sont les éléments qui mènent aux chansons les plus poignantes interprétées par les deux comédiens : la différence assumée (Not My Father’s Son), le désir d’être aimé (Hold Me in Your Heart) et la grandeur de l’âme (Soul of a Man) font mouche. Les niveaux de lecture sont nombreux.
Kinky Boots n’a pas sous la main le répertoire légendaire d’Abba (Mamma Mia) ou des Four Seasons (Jersey Boys), mais Cyndi Lauper a su concocter des chansons qui ont du souffle ou de la tendresse, selon les besoins. Seul bémol, il manque peut-être un hymne musical fédérateur, ce truc indéfinissable que l’on repère dès une première écoute. Quelque chose comme Girls Just Want to Have Fun, tiens.
N’empêche, l’ensemble se révèle de fort bonne tenue, les chanteurs ont aussi une bonne présence de scène et tout le monde rentre à la maison avec le sourire aux lèvres après la finale multicolore de Raise You Up/Just Be, où tous les membres de la production – hommes, femmes, travestis, ouvriers – portent de longues bottes de couleurs vives lors du défilé présenté à Milan.
Une façon de boucler la fusion de ces deux univers aux antipodes, même s’il faut admettre que le port de bottes de fantaisie sied mieux à certaines personnes qu’à d’autres.
Kinky Boots, de Harvest Fierstien et Cyndi Lauper, du 4 au 8 janvier à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts. Matinées le samedi et le dimanche. Représentations uniquement en anglais.