Quels pays reconnaissent la Cour pénale internationale? La réponse en carte
Prenez note que cet article publié en 2016 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Trois pays africains ont porté un coup dur à la Cour pénale internationale (CPI) ces dernières semaines. Le Burundi, l'Afrique du Sud et la Gambie ont annoncé, l'un à la suite de l'autre, leur décision de quitter la CPI. Le rêve de justice pénale universelle est-il menacé?
Cent vingt-quatre États, soit près des deux tiers des États du monde, ont ratifié le Statut de Rome, qui a donné naissance à la CPI en 2002. Ses membres sont surtout des pays africains, mais aussi latino-américains et européens.
Trente-deux autres États ont signé le Statut, mais ne l’ont jamais ratifié, dont les États-Unis, Israël et la Russie. D’autres enfin, comme l’Arabie saoudite, Cuba, la Turquie et l’Indonésie, ne l’ont même pas signé.
États parties au Statut de Rome

En rouge, les États ayant ratifié le Statut de Rome, en gris, ceux qui l'ont signé, mais pas ratifié.
Photo : Radio-Canada
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Qu'est-ce que la CPI?
La Cour pénale internationale est un tribunal international permanent chargé de juger les individus responsables de génocide, de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité. Elle a compétence sur des crimes commis par les ressortissants de pays ayant ratifié le traité ou sur les territoires de gouvernements qui l'ont ratifié.
Trois États ont annoncé le mois dernier leur intention de se retirer de la Cour. Ils invoquent tous les trois le fait qu'elle serait partiale, contre les Africains. Sur 10 affaires actuellement en cours, 9 concernent des États africains.
« Il y a un sentiment de deux poids, deux mesures », résume Frédéric Mégret, professeur à la Faculté de droit de l’Université McGill, à Montréal.
Il y a cette idée que la CPI ne s’attaque qu’à des Africains, ce qui est perçu comme une insulte pour l’Afrique et ne reflétant pas la réalité et la diversité des endroits où sont commis des crimes de droit international.
Cependant, si trois pays ont épousé ce discours, c’est plutôt « par démagogie », croit Érick Sullivan, directeur adjoint de la Clinique de droit international pénal et humanitaire de l’Université Laval et coordonnateur du Partenariat canadien pour la justice internationale. « Le problème n’est pas vraiment sur le fond », ajoute-t-il.
Chacun d’entre eux avait des raisons qui lui étaient propres pour souhaiter prendre ses distances de la Cour.
Des raisons spécifiques

Une femme montre la photo d'un homme qui aurait été tué dans une rue de Bujumbura, au Burundi, le 22 juillet 2015.
Photo : Getty Images / Carl de Souza
Le Burundi l’a fait en réaction à la décision de la CPI d’entreprendre un examen préliminaire sur des meurtres, des emprisonnements, de la torture, des violences sexuelles et des cas de disparitions forcées survenus depuis avril 2015, soit lorsque le président Pierre Nkurunziza a annoncé qu’il se présenterait pour un troisième mandat.
En Gambie, le gouvernement du président Yahya Jammeh, au pouvoir depuis 22 ans, accuse la CPI de passer sous le silence « les crimes de guerre » des pays occidentaux pour ne poursuivre que les pays africains. La Gambie a tenté en vain de convaincre la Cour d’enquêter sur la responsabilité de l’Union européenne dans la mort de milliers de migrants africains en Méditerranée. La procureure de la Cour, Fatou Bensouda, est elle-même de nationalité gambienne.
Enfin, le cas de l’Afrique du Sud est plus problématique. Le pays a toujours appuyé la CPI par le passé. Mais l’année dernière, le gouvernement de Jacob Zuma a laissé filer le président soudanais Omar El-Béchir, recherché par la CPI pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, alors qu’il était de passage en Afrique du Sud.
Pour justifier leur retrait, les autorités sud-africaines soutiennent que leurs obligations à l’égard de la CPI sont incompatibles avec une loi interne garantissant l’immunité diplomatique aux chefs d’État.
Même si un pays retire sa signature du traité, ce retrait ne prendra effet qu’un an plus tard. Entre-temps, les enquêtes peuvent poursuivre leur cours.
La Russie a annoncé qu’elle retirait, elle aussi, sa signature du Statut de Rome, mais ce n’est que symbolique, puisque, de toute façon, elle n’a jamais ratifié le traité.
« C’est plus un geste politique qu’autre chose », pense Frédéric Mégret. Le ministre des Affaires étrangères de la Russie reproche au tribunal de ne pas être à la hauteur des espoirs placés en lui et de ne pas être « véritablement indépendant ».
Le président philippin Rodrigo Duterte a annoncé qu’il envisageait, lui aussi, de se retirer du CPI pour protester contre les critiques occidentales de sa lutte répressive contre les trafiquants de drogue, mais il n’en a encore rien fait.
Faut-il craindre des départs en chaîne?

La procureure en chef de la Cour pénale internationale, Fatou Bensouda, à La Haye, le 27 septembre 2016, lors de la sentence d’Ahmad Al Faqi Al Mahdi.
Photo : Getty Images / Bas Czerwinski
Pas vraiment, croient les experts. « Ce n’est pas le début de la fin de la Cour », estime Érick Sullivan. « C’est un revers, mais dans deux cas sur trois [Burundi et Gambie], il s’agit de mauvais joueurs de la Cour. Ce n’est pas surprenant que, dit-il, quand on commence à s’intéresser de plus près à leur cas, ils décident de partir. »
Leur principale critique est une thèse qu’on entend depuis longtemps, à savoir que les Africains sont injustement ciblés.
Ce n’est qu’une fausse excuse, croit pourtant Érick Sullivan, puisque, dans la plupart des cas, ce sont eux-mêmes qui ont déféré ces situations à la Cour. « Toutes les situations africaines à l’exception du Kenya viennent, soit du Conseil de sécurité, soit des États eux-mêmes », ajoute-t-il.
De dire que la Cour vise l’Afrique, c’est complètement faux. Elle s’intéresse à l’Afrique parce qu’elle a été sollicitée davantage à la fois par les gouvernements et par la société civile.
Pour que la Cour soit saisie d’une affaire, il faut que la demande vienne de l’État lui-même ou du Conseil de sécurité. Le procureur peut aussi décider de l’aller de l’avant dans certains cas avec l'approbation de la Chambre préliminaire.
Ce qui les a surtout dérangés, c’est l’ouverture d’enquêtes contre des présidents en exercice, au Soudan et au Kenya, croit Aaron Matta, chercheur à l’Institut de La Haye pour la justice mondiale. « Depuis ce moment-là, il y a eu un effort énorme de relations publiques de la part des pays africains pour aller contre la Cour », soutient-il.
Une cour coloniale?
Pourtant, les Africains n’ont pas complètement tort quand ils parlent de biais, pense Frédéric Mégret, dans la mesure où la Cour pourrait en faire plus pour changer cette perception.
« Le lancement d’un procès contre n’importe qui en dehors d’Afrique enverrait un signal positif », souligne-t-il.
Tout signe qui irait dans le sens d’un recadrage géographique de la compétence de la Cour serait le bienvenu.
La CPI a ouvert une enquête sur des crimes commis en Géorgie et envisage de le faire pour la Colombie, l’Ukraine, les Territoires palestiniens ainsi que sur de possibles exactions des soldats américains en Afghanistan et de ressortissants britanniques en Irak.

Des Casques blancs sortent un enfant des décombres d'un bâtiment détruit par une explosion, à Neirab, en Syrie, le 24 novembre 2016.
Photo : Getty Images / Ameer Alhalbi
Érick Sullivan, qui revient de la rencontre des États parties qui avait lieu à La Haye la semaine dernière, croit que la Cour est très sensible à la question. « C’est important pour elle au niveau de la légitimité de se montrer ouverte à la discussion et voir quelles suggestions apportent les pays africains », affirme-t-il.
Revoir les attentes à la baisse
Et surtout, il ne faut pas oublier que la CPI est une créature des États membres de l'ONU qui sont signataires du Statut de Rome, rappelle Aaron Matta. Le cas de la Syrie en est le meilleur exemple. Même si plusieurs souhaiteraient que la CPI enquête sur de possibles crimes de guerre, elle ne peut le faire puisque la Syrie n’est pas partie du Statut de Rome et que le Conseil de sécurité, où siègent la Russie et la Chine, n’est pas près de s’entendre pour soumettre son cas. « Il y a des problèmes qui viennent de l’extérieur de la Cour et elle ne peut rien faire », souligne M. Matta.
La déception vient peut-être des attentes parfois irréalistes des uns et des autres. « Est-ce que la CPI a vraiment vocation d’être un système de justice globale qui s’applique à tous ou est-ce juste un système de coopération régionale entre certains États qui veulent renforcer leur capacité à répondre à des crimes de masse? » s’interroge Frédéric Mégret.
On pourrait ainsi la voir comme une sorte « d’entraide judiciaire » entre certains pays du sud et l’Union européenne.
« La Côte d’Ivoire aujourd’hui n’est pas mécontente qu’il y ait une CPI pour juger Laurent Gbagbo », pense M. Mégret. « Ça renforce l’assise du régime. »
Il ne faut pas penser que c’est un jeu à somme nulle où les pauvres États africains sont victimes et la justice pénale internationale est juge.