La vérité sous Trump

Photo : Reuters / Carlo Allegri
Prenez note que cet article publié en 2016 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Un « nuage de poussière d'absurdité ». C'est l'image trouvée par le président Barack Obama pour dénoncer la grande part qu'occupent la désinformation et les demi-vérités dans la vie politique américaine.
« Si nous ne pouvons plus faire la distinction entre des arguments sérieux et de la propagande, poursuivait Barack Obama, nous avons un problème. » Le problème est peut-être plus grand qu’il ne le craint.
La campagne qui vient de se terminer a vu sa part de manchettes ahurissantes : des manifestants payés pour causer des problèmes, l’appui du pape François à Donald Trump, des gens pouvant connaître des secrets d’Hillary Clinton retrouvés morts. Tout cela n'était que faussetés. Mais des faussetés habilement déguisées pour ressembler à des vérités sur les médias sociaux.
Ce ne sont pas que des anecdotes dénichées dans un coin sombre de la blogosphère. Croyez-en les chiffres calculés par BuzzFeed. Le journaliste Craig Silverman y a comparé les 20 fausses nouvelles les plus populaires sur Facebook aux 20 textes légitimes les plus partagés dans les deux derniers mois de la campagne. Conclusion : les fausses nouvelles ont atteint bien plus de gens que les vraies. Un million et demi de partages et de commentaires de plus.
Ces textes sont parfois écrits de l’étranger, pour le profit. Des manchettes-chocs, destinées à générer le plus de clics et de partages possible. Des manchettes qui rapportent beaucoup d’argent en revenus publicitaires, pour leur auteur, mais aussi pour Facebook et Google.
Il y a également la désinformation qui semble calculée. En fin de campagne, par exemple, Fox News a lancé une manchette percutante : des accusations étaient sur le point d’être déposées contre Hillary Clinton. L’information, fondée sur des sources anonymes au sein du FBI, s’est répandue comme une traînée de poudre. Deux jours plus tard, le réseau a parlé d’erreur.
Je ne dis pas que Fox a fait exprès. On a peut-être volontairement menti au journaliste. L’information est tombée en fin de campagne, alors qu’on remettait encore une fois en doute la crédibilité d’Hillary Clinton.
Demi-vérités à droite et à gauche
Il y a aussi quantité de demi-vérités qui circulent sur les médias sociaux. Des manchettes alarmistes qui servent à renforcer des croyances qui sont peu souvent fondées dans la réalité. Le site Breitbart.com, associé à la droite nationaliste, utilise beaucoup cette technique.
Ses manchettes, les nouvelles qui y sont mises en vedette, peignent un portrait bien sombre des nouveaux arrivants, légaux ou sans papiers. « Les immigrants musulmans détestent les chrétiens en secret », pouvait-on lire cette semaine. Un texte qui ne s’appuie que sur des sources anonymes.
Bien sûr, on trouve également des exagérations et des mensonges venant de la gauche. Comme cette image qui circule avec une citation faussement attribuée à Donald Trump : « Si je suis candidat, je serai candidat républicain. C’est le groupe d’électeurs le plus idiot du pays. Ils croient tout ce qui passe à Fox News. » Il y a aussi cette photo qui montre Michelle Obama faisant la moue en tenant une affiche sur laquelle il est écrit « une immigrante me vole mon emploi ».
Des faux. De la satire, diront certains. Reste que les fausses nouvelles visant l’électorat de droite semblent mieux porter. Les responsables de sites de fausses nouvelles ont expliqué faire plus d’argent (donc générer plus de réactions) en utilisant des messages pro-Trump et anti-Clinton.
D’ailleurs, ce n’est pas pour rien que Donald Trump prenait un malin plaisir à dénoncer les journalistes qui suivaient ses rassemblements de campagne. Il s’adressait à des Américains qui se méfient des médias de masse. Des gens qui soutiennent que ces médias déforment la vérité au profit d’une élite libérale et bien-pensante.
Ils sont nombreux, ces Américains qui ne font plus confiance à CNN, au New York Times ou à NPR. Même Fox News semble en souffrir. Dans un local du Parti républicain en Ohio, une dame m’avait parlé de sa méfiance envers ce réseau, qui a pourtant longtemps été la référence des conservateurs américains.
Appel à la méfiance et à la haine
Beaucoup d’Américains comptent maintenant sur Facebook pour s’informer. Une plateforme exploitée avec succès par ces sites de nouvelles déformées (ou fausses). Une plateforme qui multiplie leurs revenus et leur visibilité. Et les mauvais sentiments. La profonde haine de bien des Américains envers Hillary Clinton a été nourrie par ces sites. La méfiance envers les réfugiés aussi.
Aux États-Unis, la recherche « sharia law in my city » dans Google vous mènera assurément à des faussetés qu’on m’a souvent répétées en campagne. Comme cette idée que Dearborn, au Michigan, est la première ville américaine à vivre sous la charia, la loi islamique.
Ces fausses informations alimentent aussi la méfiance des Américains envers eux-mêmes. Quelques jours après l’élection, une photo a causé beaucoup d’indignation. On y voyait une foule de manifestants devant l’hôtel Trump à Washington. L’un d’eux tenait une pancarte encourageant à « violer Melania », l’épouse de Donald Trump. La manifestation a bel et bien eu lieu. L’image semble fausse.
Sa présence renforce les préjugés d’un camp envers l’autre. Et rend plus difficile l’atteinte d’une éventuelle réconciliation entre Américains. Constat obligé : les Américains sont divisés par leur penchant politique et par les médias qui les informent.
Fausses informations provenant de la Maison-Blanche?
L’une des craintes, c’est que ces informations déformées, inventées, finissent par faire leur chemin à la Maison-Blanche. Donald Trump n’a rassuré personne en nommant Steve Bannon comme stratège en chef. C’est lui qui est grandement responsable de la montée en influence de Breitbart News.
Un récent tweet du président désigné illustre justement bien cette étrange relation entre le réel et la fiction. Donald Trump se vante d’avoir aidé à prévenir la fermeture d’une usine de camionnettes au Kentucky. Or, il n’a jamais été question de la fermer ou de supprimer des emplois. Ford comptait plutôt changer le type de véhicules fabriqués dans cette usine américaine… Erreur de bonne foi ou manipulation à des fins partisanes?
Ironiquement, le prochain président pourrait aussi être victime d’un des outils qui ont fait son succès électoral. Déjà, certains sites parlent de « l’effet Trump » pour faire mousser de fausses nouvelles. Comme celle dans laquelle on raconte que le manufacturier Ford rapatrierait du Mexique vers l’Ohio la production d’un modèle de camions.
C’est le genre de nouvelle sur laquelle les partisans de Donald Trump comptent vraiment. Les commentaires sous l’article témoignent de leur espoir de revoir des emplois dans les régions industrielles du pays. Que diront ces Américains lorsqu’ils réaliseront que c’est faux? Que le président ne peut pas remplir toutes ses promesses?
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