Les vignerons québécois poussent un soupir de soulagement cette semaine, alors que se terminent les vendanges un peu partout dans la province. Cette saison, qui a très mal commencé et qui a été difficile jusqu’au bout, s’est soldée, à la surprise générale, par une récolte de très belle qualité. Récit d’une cuvée mémorable marquée par les extrêmes climatiques.
J’étais sûr qu’on avait tout perdu
, raconte Yvan Quirion, propriétaire du Domaine Saint-Jacques, à Saint-Jacques-le-Mineur, en Montérégie. Ce vigneron d’expérience avait rarement vu un gel de printemps aussi violent.
Dans la nuit du 17 au 18 mai, le mercure a chuté jusqu’à un brutal -5 °C. Les pommiers du Québec, notamment, ont été gravement endommagés. Mais la catastrophe a été évitée dans les vignobles : même les cépages européens, réputés moins rustiques, ont survécu à l’épisode de gel. C’est un miracle
, confirme M. Quirion.
Même son de cloche du côté du Domaine du Nival, au nord de Saint-Hyacinthe : le gel a eu très peu de conséquences sur la production. On a travaillé fort cette nuit-là, mais on s’en est très très bien sorti, avec une perte de 5 % dans le gamaret
, souligne le vigneron Matthieu Beauchemin.
Au Coteau Rougemont non plus, le gel n’a pas eu les effets dévastateurs qu’on attendait : On a perdu une petite partie, 5 % environ, explique Louis Dugas, directeur des ventes du vignoble. Ce sont des plantations qui sont moins importantes, plus jeunes. Donc, pas de gros impacts.
Survivre quand la météo s’acharne
Mais les problèmes ne faisaient que commencer. Après le gel, c'est une forte pluie qui est tombée sur les vignobles. Le 26 juin, on a reçu 92 mm de pluie en trois heures
, raconte Matthieu Beauchemin. Et il a plu tout l’été, au grand dam du monde agricole québécois, pour qui l’été 2023 est un été à oublier(Nouvelle fenêtre).
Une grosse partie du travail dans un vignoble, c’est de protéger les vignes des maladies. Pour ça, on utilise des produits – bio ou non –, on enlève une partie des feuilles pour exposer les grappes, et on désherbe les rangs.
Mais lorsque la terre devient de la boue, et qu’elle ne sèche pas, il est impossible d’y entrer avec de la machinerie agricole.
« De la fin juin à la mi-août, on a reçu presque trois fois plus de pluie que la normale. Je n’ai jamais vu ça : le sol qui ne séchait jamais, on ne pouvait même plus rentrer dans le champ avec le tracteur. Il y a eu des moments où on s’est dit : "Il faut que les vignes s’organisent elles-mêmes." »
Yvan Quirion parle avec une grande admiration de son personnel agricole : Les employés, de leur propre chef, partaient le matin avec des sacs à vidange et ils coupaient les pousses qui avaient du mildiou [une maladie fongique]. Ils ont sauvé le vignoble.
Un mois pour sauver le millésime
Après toute la pluie et l’absence de soleil durant l’été, les pronostics n’étaient pas très optimistes. Tout s’est joué durant le mois de septembre, qui s’est avéré exceptionnel. On n’aurait pas le même sourire aujourd’hui, sans ça
, juge Louis Dugas.
On est passé de ne pas savoir si ça va être mûr à de très très belles maturités, dignes de nos très beaux millésimes, sur tous les cépages. On rentre des taux de sucre parfaits, des acidités plutôt basses
, se réjouit Matthieu Beauchemin.
« J’ai sûrement un peu plus de cheveux blancs, mais ce qui compte c’est qu’on a un beau résultat maintenant. »
Un mois de septembre aussi parfait, des températures pas trop hautes, pas trop chaudes la nuit… Pour bâtir des arômes, on ne pouvait pas demander mieux
, renchérit Yvan Quirion.
On surveille donc les vins québécois de 2023, qui promettent de grandes qualités aromatiques, de la fraîcheur et du fruit. Ça va être un grand millésime pour le pinot gris et le chardonnay
, prévoit Louis Dugas. On cite aussi le vidal et le riesling comme des cépages ayant très bien profité des chaleurs tardives.
Il faudra s’adapter aux changements climatiques
Pour les agriculteurs, qui sont les premiers témoins des changements climatiques, la saison 2023 démontre que les dérèglements sont désormais une nouvelle normale. Ça a changé vite, s’alarme le vigneron-propriétaire Yvan Quirion. Quand j’ai commencé en 2005, je vivais une nuit de gel aux deux ans, maintenant c’est 10-11 nuits de gel par année.
Ça nous donne un avant-goût de ce que ça va avoir l’air avec les changements climatiques. Donc, il faut bâtir de la résilience dans les systèmes agricoles
, ajoute Matthieu Beauchemin, citant notamment l’utilisation de plantes entre les vignes pour freiner l’érosion dans les champs.
Pour M. Quirion, cette saison éprouvante est la preuve que la viticulture québécoise, née de l’adversité, est capable de s’adapter. On est des survivants, lance-t-il. On ne va pas mourir. Malgré les malgré, on est optimistes.
Comme à l’habitude, les vins 2023 seront disponibles à partir de la fin du printemps prochain pour les blancs. Les rouges sont parfois mis en marché plus d’un an, voire un an et demi après leur mise en bouteille.
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