La complicité entre les quatre cuisinières du Ratafia est palpable. Elles terminent les phrases les unes des autres, se comprennent sans dire un mot et reconnaissent le style de chacune au premier coup d'œil. Charlotte Maurin, Héra Schneider, Magie Marier et Mia Robert forment ce qu’elles appellent la « sweet team » derrière le bar à vin et à dessert. La structure égalitaire de leur équipe fait qu’elles ne voudraient pas travailler autrement.
Dans une équipe d’hommes, j’ai tellement eu à [faire mes preuves], mais à un tel point! s’exclame Mia Robert, la plus jeune du quatuor. Une femme, pour prouver qu’elle est égale à un homme, doit prouver en fait qu’elle est meilleure. Encore plus quand tu es jeune.
Une expérience partagée par ses collègues.
Au Ratafia, c’est une pour toutes, toutes pour une. Ici, le leadership s’accorde au féminin, et le rôle de chef ne repose pas sur les épaules d’une seule personne. Cette structure réjouit les propriétaires, Sandra Forcier et Jared Tuck, qui ne connaissent pas de problème de main-d’œuvre, notamment grâce à leur vision égalitaire de la restauration.
« Cette façon de travailler a fait ses preuves. J’espère qu’elle va faire des petits. »
L’égalité par hasard
Le restaurant de la Petite-Italie, à Montréal, a ouvert ses portes à l’été 2019 avec l’ambition de repousser les limites de l’univers des desserts. Un chef pâtissier a tenu seul les rênes de la cuisine avant de quitter le bateau, quatre mois plus tard. Son départ aurait pu signer l’effondrement du concept, puis de l’établissement. C’est toutefois l’inverse qui s’est produit.
On avait une structure classique de chef et sous-chef, mais là, tout le monde a dû prendre un peu de création, puisqu'on avait une immense carte de desserts, et ça ne se pouvait pas qu'une seule personne gère tout ça, explique Sandra Forcier. Ça s’est fait de force, et c’est finalement resté.
Avant même que l’équipe souffle ses premières bougies, la pandémie a frappé, obligeant la fermeture du lieu pour un temps indéfini. De ces longs mois d’incertitude est née la formule cake-out permettant à la clientèle de savourer les créations sucrées du Ratafia à la maison, dont leur fameux Medovik, un gâteau au miel à étages d’origine russe.
La réouverture des terrasses pendant la saison estivale et le mouvement de personnel au sein du restaurant ont permis aux propriétaires de réaliser leur objectif, soit de concevoir une offre salée tout aussi raffinée que son pendant sucré, déjà bien établi.
Au lieu d’afficher qu’on cherchait un chef, un sous-chef, etc., on a écrit qu’on voulait trouver une équipe, se souvient Sandra Forcier. Certains nous demandaient d’expliquer le rôle qu’ils allaient jouer, puis on leur disait que ça allait se placer naturellement.
L’idée de n’engager que des femmes n’était pas dans les cartes. Le choix à l’embauche s’est fait en se basant sur leurs compétences et leur ouverture à travailler dans un modèle différent où les responsabilités seraient partagées horizontalement.
« La structure est plus importante que le genre. »
La question du genre revient, parfois, dans des remarques de la clientèle, qui demande : Qui est le chef?
À quoi le personnel qui s’occupe du service répond fièrement : Ce sont quatre cuisinières en cuisine.
Charlotte Maurin et Héra Schneider considèrent que la situation au Québec est aux antipodes de celle dans leur pays d’origine, la France. En France, c’est très cliché, mais c’est très vrai, pense Charlotte Maurin. Dans la majorité des restaurants, ce sont des hommes qui sont chefs.
Héra Schneider ne quittera plus sa terre d’accueil pour la simple raison que des environnements de travail respectueux et bienveillants en restauration existent ici. Vivre de sa passion, c’est une chose. Mais vivre de sa passion et être bien, ça fait toute la différence
, estime-t-elle.
Quatre filles et leurs desserts
La structure du Ratafia permet aux quatre cuisinières de s’entraider dans la création des plats et des desserts tout en aiguisant les forces de chacune. Elles touchent donc à tout, bien qu’elles détiennent des compétences et des expériences diverses.
La propriétaire considère que cette méthode de travail a l’avantage d’agrandir le champ des possibles pour ses employées et de favoriser l’apprentissage à une vitesse fulgurante.
Pour Héra Schneider, la création aurait pu être un monstre qu’elle lui aurait fait le même effet. Celle qui n’avait auparavant travaillé que pour représenter des chefs a dû dompter sa peur. Les filles m’ont laissé ma place, et j’y suis allée petit à petit
, note-t-elle.
« Le cadre m’a mise à l’aise. [Il faut] aussi se faire confiance et se dire qu’on a notre part à apporter, qu’elle vaut quelque chose. »
Magie Marier estime que c’est cette liberté de création et d’expression qui fait qu’elle apprécie autant sa position au sein de cette équipe.
Les cuisinières s’inspirent des saisons ou d’ingrédients en particulier, puis passent en phase d’exploration. Elles goûtent ensemble leurs essais tout en s’échangeant leurs impressions et leurs conseils avant de les présenter aux propriétaires.
C’est très cool comme méthode de développement, parce qu’un chef qui fait un test pour lui, et que ça apparaît sur la carte et que, finalement, ce n’est pas tant bon… Ici, si c’est sur la carte, c’est que c’est passé par beaucoup de personnes. Et on connaît notre clientèle
, explique Sandra Forcier.
Si les cuisinières du Ratafia peinent à imaginer leur avenir ailleurs, elles savent cependant qu’elles auront toujours le courage de réaliser les choses différemment pour offrir un espace aussi respectueux, égalitaire et rigoureux que ce qu’elles ont connu dans cette cuisine.