Elles ont souvent plus de 80 ans, cuisinent des recettes traditionnelles devant leur téléphone, donnent des astuces culinaires aux personnes abonnées à leur compte et cumulent des millions de vues sur les réseaux sociaux. De quoi faire l'envie des jeunes influenceurs et influenceuses!
Les mains de Nana Yousif pétrissant la pâte ont fasciné ses huit petits-enfants bien avant qu’elle devienne une vedette sur les réseaux sociaux. Du pain kurde kelaneh aux baklavas turcs, la grand-mère irakienne de 86 ans prépare devant la caméra les différents plats qui ont été servis à sa table tout au long de sa vie, au grand bonheur des 730 000 personnes qui la suivent sur TikTok.
À Calgary, la cuisine de Nana Yousif a toujours été agitée : pendant qu'elle est occupée à concocter les mets favoris de sa famille, ses proches la regardent faire avec fascination, ou encore s'investissent dans des conversations qui s’éparpillent partout dans la maison, créant une cacophonie difficile à interrompre le temps de filmer des vidéos. C’est peut-être cet heureux chaos qui séduit les milliers d’internautes qui ne tarissent pas d’éloges pour le compte Nana’s Kitchen(Nouvelle fenêtre) et le bien que celui-ci leur fait.
Sur TikTok, l’une des vidéos les plus virales (Nouvelle fenêtre)de Nana est celle qui explique ses motivations à enseigner à la plus jeune génération ses recettes traditionnelles. Le segment a été vu 3,4 millions de fois et aimé par près de 880 000 personnes. En tout, elle a reçu plus de 9,5 millions de mentions j’aime. Sa chaîne YouTube compte 255 000 personnes abonnées, bien qu’elle soit plus active sur TikTok.
Certaines personnes y voient un moyen de conserver un lien avec leurs origines, d’autres admettent y retrouver la chaleur que leurs grands-parents disparus leur procuraient. C’est d’ailleurs pour assurer la transmission des traditions culinaires de sa famille que Dina Ibrahim, petite-fille de Nana, a décidé de filmer ces vidéos et de les publier d’abord sur YouTube, avant d’investir TikTok en 2021.
« Je voulais que ces recettes résistent à l’épreuve du temps. Ça explique pourquoi j’encourage les jeunes à en apprendre davantage sur leur culture gastronomique. C’est une collection de soi-même, de sa famille, de son histoire. »
Sur TikTok, les plans rapprochés des mains de Nana montrent l’étendue de son savoir pour ce qui est de la cuisine populaire du Moyen-Orient. Jeune, elle a appris à cuisiner aux côtés des personnes âgées de sa famille pour ensuite devenir elle-même la vedette des repas. Mes tantes et ma mère ont appris la cuisine en regardant Nana, note Dina Ibrahim. Maintenant, les jeunes ne passent plus autant de temps au comptoir à observer leurs grands-parents exécuter ces tâches. J’ai décidé de la filmer pour éviter qu’on oublie cet héritage.
Nana Yousif a d’abord quitté l’Irak pour trouver refuge quelques années en Iran avant d’immigrer au Canada. Depuis maintenant deux décennies, elle habite à Calgary, en Alberta, avec ses proches, et les saveurs de son pays demeurent des ancres culturelles essentielles pour égayer leur quotidien.
La viralité à tous les âges
L’ascension de Nana Yousif sur les réseaux sociaux a surpris sa famille autant qu’elle-même. Elle fait pourtant partie d’un groupe élargi de grands-parents qui enflamment les réseaux sociaux à coup de recettes et de trucs culinaires ingénieux, les #granfluenceurs.
Avec leurs expressions rigolotes et leurs caractères de feu, les Pasta Grannies(Nouvelle fenêtre) connaissent un succès retentissant sur les plateformes virtuelles. Dans leur propre cuisine, ces grands-mères italiennes livrent leur savoir-faire à la caméra en n’oubliant pas de faire entendre leurs opinions bien tranchées. Sur leur chaîne YouTube(Nouvelle fenêtre), elles comptent 905 000 personnes abonnées et leur vidéo la plus populaire, une recette de lasagne, a été vue plus de 8 millions de fois. Elles en sont maintenant à leur deuxième livre de recettes publié.
Sur Facebook, Chantale Simard partage de façon quotidienne ses recettes favorites dans de courtes séquences où elle prépare des plats de sa région, le Lac-Saint-Jean. Sa page Les recettes(Nouvelle fenêtre) de Chantale rassemble 44 000 personnes abonnées, qui réagissent à ses suggestions et lui demandent conseil.
Aux États-Unis, des grands-mères comme Lynn Yamada Davis (cookingwithlynja(Nouvelle fenêtre)) ou Barbara Costello (brunchwithbabs(Nouvelle fenêtre)) comptent des millions de personnes abonnées sur TikTok. Cette dernière a publié un segment où elle cuisine une pizza sous forme de casserole. Cette capsule a accumulé plus de 2 millions de visionnements, ce qui n’est pas rare pour la septuagénaire, qui multiplie les vidéos virales.
Dans le cas de Lynn et de Barbara, ce sont leurs enfants et petits-enfants qui les ont convaincues d'utiliser les réseaux sociaux pour dévoiler leur talent en cuisine, et surtout, partager leur humour sans limite.
Sous les publications de ces vedettes de TikTok, les internautes, un brin nostalgiques, demandent aux deux femmes de les adopter, s'ouvrent sur le deuil d'un grand-parent ou expliquent le sentiment de confort que ces vidéos leur procurent.
« Ça vient démontrer qu’on a plus de points en commun entre générations qu’on a de différences. Ça nous rapproche. »
Selon la professeure au Département de communication de l’Université d’Ottawa, la présence de personnes âgées sur les plateformes en ligne peut détruire des préjugés persistants sur le vieillissement. Toute initiative qui mise sur une diversité des âges a un effet positif autant sur les plus jeunes que les plus vieux, considère Mme Lagacé. Ça permet de connaître les personnes sous un autre jour, loin de nos idées préconçues. Plus on va avoir de lieux pour rencontrer des gens de tous les âges, mieux ce sera pour le vieillissement de manière générale.
Jamais trop vieux, jamais trop vieille
Face au phénomène des personnes âgées qui deviennent des vedettes instantanées, que se cache-t-il derrière cette formule magique?
Gabrielle Roy, stratège à Clark Influence, pense que la clé du succès de ce groupe demeure l’authenticité. Avec les personnes âgées, on sent tout de suite qu’il n’y a pas d’artifice, de besoin de reconnaissance ou d’envie de bien paraître, observe-t-elle. Ça vient d’un endroit de bienveillance et de partage.
« On les associe tout de suite à nos propres grands-parents. Leurs conseils proviennent d’expériences véritables. Non seulement il y a l’authenticité, mais aussi l’attachement lié à ces figures importantes dans une vie. »
Dina Ibrahim s’est étonnée de voir combien de personnes se sont senties liées à sa grand-mère, Nana Yousif, si rapidement. Notre famille est tellement chanceuse de l’avoir tout près, dit-elle. Tellement de gens n’ont pas de grands-parents dans leur vie, et si l'on peut ouvrir les portes de notre maison pour leur offrir ce sentiment de réconfort, on va continuer de le faire.