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La popularité de l'Ozempic pour la perte de poids ne cesse de grandir sur les réseaux sociaux.  | Photo : Radio-Canada / Ariane Pelletier

L’Ozempic, un médicament injectable pour traiter le diabète de type 2, arrive comme une déferlante sur les réseaux sociaux. Les vidéos associées au mot-clic #Ozempic ont accumulé 400 millions de visionnements sur TikTok. Ce n'est toutefois pas son efficacité à contrôler la glycémie qui attire l’attention, mais ses vertus amaigrissantes en dépit de ses nombreux effets secondaires.

La promotion de l'Ozempic pour la perte de poids demeure un terrain glissant, où diverses écoles de pensées s’affrontent. D'ailleurs, de plus en plus de spécialistes sonnent l'alarme sur son utilisation hors indication.

#Ozempic, la vague sur les réseaux sociaux

Sur Instagram et Facebook, les dispositifs d’injection d’Ozempic sont le nouvel accessoire des adeptes de la perte de poids. Des communautés se créent pour échanger des stratégies afin d’obtenir le médicament, qui n’est accessible que sur ordonnance médicale. Les questions sur la gestion des effets secondaires monopolisent aussi les discussions.

La prise du médicament se fait en escalade où les doses sont augmentées et ajustées pour s’adapter à la réponse métabolique des gens. Cette période se traduit pour plusieurs par une omniprésence de symptômes comme de la nausée, de la diarrhée, des vomissements et de la constipation. Certaines personnes décrivent aussi une aversion pour certaines catégories d’aliments.

« C’est assez violent comme effets secondaires, au point où certaines personnes vont arrêter le traitement. »

— Une citation de  Anis Ouyahia, pharmacien

Les études démontrent également que l’interruption de la prise du médicament provoque un regain du poids perdu, dit-il. Les chiffres sont clairs : on a une courbe qui chute de façon prononcée et une hausse tout aussi importante lorsque l’Ozempic est arrêté.

Des influenceurs sur TikTok vantent son efficacité sur la perte de poids en tentant de savoir si la soudaine minceur de vedettes hollywoodiennes s'explique par la prise d’Ozempic. Sur Twitter, Elon Musk(Nouvelle fenêtre) a attribué sa récente perte de poids à l’utilisation de Wegovy (de la même classe de médicaments).

Face au phénomène, des médecins naviguent sur cette vague de popularité en essayant de déboulonner la désinformation autour de ce médicament et de viser les personnes correspondant aux critères requis pour l’administrer.

Car les gens qui en ont réellement besoin pour leur santé se retrouvent parfois pénalisés. L’Ozempic Challenge(Nouvelle fenêtre) (le défi Ozempic, en français) sur TikTok serait responsable d’une pénurie du médicament en Australie, laissant les personnes diabétiques au dépourvu pendant plusieurs mois, selon l’agence de réglementation des médicaments du pays (Therapeutics Goods Agency).

L’utilisation de cette classe de médicaments, les agonistes des récepteurs GLP-1, dont l’Ozempic fait partie, ne date pas d’hier. La nouvelle génération offre toutefois des résultats inégalés. Le pharmacien Anis Ouyahia indique que ce n’est que la pointe de l’iceberg. Les réseaux sociaux ne s’enflamment que depuis quelques mois à la mention de ce médicament.

« Pour moi, l’Ozempic est le sujet de 2023. »

— Une citation de  Anis Ouyahia, pharmacien

C’est une ancienne histoire de proposer des méthodes miracles pour perdre du poids qui font croire aux gens qu’en poursuivant un objectif de minceur, ils seront plus heureux, juge le psychiatre Sylvain Iceta. Ils vont précipiter des risques de trouble du comportement alimentaire. Nos célébrités comme Elon Musk n’arrangent pas les choses.

La science derrière l’Ozempic

Approuvé par Santé Canada en 2018, le médicament conçu par la pharmaceutique danoise Novo Nordisk vise à traiter le diabète de type 2 et peut entraîner une perte de poids lorsque combiné avec de l’exercice physique et un régime alimentaire adéquat.

Au Québec, la Régie de l’assurance maladie (RAMQ) rembourse uniquement les ordonnances d’Ozempic pour le traitement du diabète de type 2. Les données de la RAMQ obtenues par Radio-Canada mentionnent que le nombre de personnes ayant une prescription d’Ozempic au régime public est passé de 74, en 2019, à 34 373, en novembre 2022.

Dans l’arsenal thérapeutique pour le diabète de type 2, l’Ozempic est devenu le premier médicament injectable, loin devant l’insuline, explique le Dr Rémi Rabasa-Lhoret, endocrinologue. Ça fait baisser le taux de sucre avec des bénéfices associés qui sont que chez les personnes qui ont des maladies du cœur, ce médicament réduit les risques de faire un accident cardiaque.

Une injection d'Ozempic
Une injection d'Ozempic | Photo : Getty Images / imyskin

L’ingrédient actif inclus dans l’Ozempic, la sémaglutide, mime une hormone intestinale déjà présente dans l’organisme qui provoque la sécrétion d’insuline tout en régulant les signaux de satiété. Le cerveau envoie une alerte à l’appareil digestif pour lui signifier que la faim est satisfaite. Cette dernière propriété en fait un outil thérapeutique de taille pour le corps médical, mais qui l’éloigne aussi de sa fonction première qui est le traitement du diabète de type 2.

C’est pourquoi l’entreprise Novo Nordisk a mis sur le marché le Wegovy, qui contient une dose plus élevée de sémaglutide que l’Ozempic et qui se destine uniquement à être utilisé pour la perte de poids. Le médicament a été homologué par Santé Canada en 2021. Le moment de sa commercialisation au pays reste toutefois incertain en raison de la forte demande aux États-Unis.

C’est un médicament [sémaglutide] très efficace, estime le pharmacien Anis Ouyahia. On a ce signal du cerveau qui dit au système gastro-intestinal d’arrêter de manger. Avec une diète, on retombe facilement dans des fringales, et le poids se reprend. Alors qu’ici, la sémaglutide réussit à contrôler ça. Mais c’est l’équivalent d’une diète, à mon avis, si l’on n’est pas sur le médicament à vie.

Selon une étude publiée(Nouvelle fenêtre) en 2021 dans le New England Journal of Medicine, une perte de poids de 14,9 % a été observée après 68 semaines d’utilisation hebdomadaire de l’Ozempic chez des personnes en surpoids ou obèses lorsque la prise du médicament est combinée à un encadrement du mode de vie.

Quand les médecins prescrivent hors indication

Le délai de commercialisation du Wegovy au Canada pousse des médecins à prescrire l’Ozempic, destiné au traitement du diabète de type 2, hors indication. Anis Ouyahia s’interroge sur les effets du médicament lorsque prescrit à une classe de la population qui n’a pas été incluse dans les recherches scientifiques.

Le pharmacien connaît des patients et patientes qui ont eu accès à la sémaglutide sans être diabétiques et sans correspondre aux critères de l’indice de masse corporelle de plus de 30 énoncés dans les recherches sur la perte de poids et l’Ozempic. L’homologation de l’indication par Santé Canada ne change pas grand-chose sinon qu’elle officialise la venue de sa prescription régulière au pays.

La Revue canadienne des technologies de la santé(Nouvelle fenêtre) a dévoilé que l’utilisation croissante d’Ozempic est en partie attribuable à des demandes de remboursement pour différentes affections ou états que le diabète de type 2. Ainsi, dans certaines provinces, de 36 à 74 % des personnes qui réclament un remboursement auprès de régimes publics fédéraux ou d’assureurs privés le font alors qu’elles ne souffrent pas de diabète.

L'engouement autour de l'Ozempic, un médicament pour traiter le diabète de type 2, inquiète les spécialistes.
L'engouement autour de l'Ozempic, un médicament pour traiter le diabète de type 2, inquiète les spécialistes.  | Photo : iStock / imyskin

La menace d’une pénurie d’Ozempic comme aux États-Unis ou en Australie n’inquiète pas le Dr Rabasa-Lhoret, président du Conseil professionnel de Diabète Québec. Je comprends toutefois que dans certaines pharmacies, il existe des tensions en lien avec l’approvisionnement, observe-t-il. Elles détiennent peu d’inventaires du médicament et sont presque renouvelées à l’unité.

Le ministère de la Santé de la Colombie-Britannique constate que près de 10 % de la population recevant une prescription d’Ozempic dans la province est de citoyenneté américaine. Le gouvernement attribue ces chiffres aux difficultés d’approvisionnement aux États-Unis, ce qui motive certaines personnes à traverser la frontière pour l’obtenir.

Les angles morts et la culture des diètes

L’utilisation de médicaments dans la lutte contre l’obésité divise les médecins. Le chercheur à l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec Benoît Arsenault se préoccupe de cet intérêt massif envers la sémaglutide pour la perte de poids.

Ce médicament va améliorer la vie et la santé de plusieurs personnes, note-t-il. C’est un consensus. Là où des angles morts persistent, c’est que ça renforce les stéréotypes de la culture des diètes selon lesquelles la minceur est gage de santé.

Le chercheur refuse d’associer l’obésité à la maladie. Le simple fait d’avoir un poids élevé ne le justifie pas, croit-il. On ne peut pas dire du jour au lendemain à deux millions de personnes au Québec qu’elles sont atteintes d’une maladie à cause d’un chiffre sur la balance.

L’IMC demeure la métrique utilisée pour expliquer la prise de sémaglutide pour la perte de poids. Or, cet outil est contesté depuis quelques années notamment parce qu’il constitue seulement l’un des nombreux indicateurs pour mesurer l’état de santé et qu’il présente des limites.

Plus de recherches sont nécessaires pour savoir quel type de patients va tirer profit de ce médicament à l’égard de la capacité de l’État, pense Benoît Arsenault. On n’a pas de données de l’impact sur la qualité de vie, sur l’estime de soi et sur les personnes avec des troubles du comportement alimentaire.

Stéphanie Léonard, psychologue spécialisée dans le traitement des troubles de l’alimentation et des comportements alimentaires, a reçu quelques personnes en consultation qui avaient eu des conversations avec leur médecin concernant la possibilité d’utiliser la sémaglutide pour contrôler leur poids. En discutant avec moi, elles ont toutes décidé de ne pas prendre cette avenue parce que ça allait à l’encontre du travail qu’elles faisaient sur leur rapport avec la nourriture.

Un médicament comme ça qui interfère avec l’appétit, qui rend le goût de certaines nourritures aversif ou qui provoque une satiété rapide, ça peut exacerber des troubles du comportement alimentaire une fois qu’on arrête sa consommation, croit Stéphanie Léonard. A-t-on vraiment travaillé sur notre relation avec l’alimentation? Ça ne règle rien.

Le régime public québécois devrait-il rembourser l’achat d’Ozempic?

Les médicaments contre l’obésité font l’objet d’une exclusion réglementaire au régime général d’assurance médicaments, la RAMQ, depuis 1997, et il n’y a pas d’exception, pas même pour les gens en attente de greffe(Nouvelle fenêtre).

L’obésité est associée à un problème esthétique aux yeux des autorités, déplore le Dr Rabasa-Lhoret. Je n’ai jamais eu personne qui a été remboursé par le régime public pour ça. Si j’écrivais, "Madame a besoin de sémaglutide pour atteindre un poids réglementaire pour une greffe déterminante" ou "Madame a besoin de sémaglutide pour perdre 10 livres pour son mariage", la réponse de la RAMQ serait la même. C’est déplorable.

Les yeux sont rivés sur l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS), qui conseille le gouvernement en lien avec les indications médicales pour lesquelles un médicament d’exception est remboursé. Quelles seront les recommandations de l’INESSS sur l’utilisation de la sémaglutide dans une optique de perte de poids? Le corps médical attend avec impatience les conclusions de l’organisme.

Selon le pharmacien Anis Ouyahia, seule une partie de la population devrait bénéficier d’une exemption. Le premier critère serait un patient adulte obèse, avec un IMC supérieur à 30, ou le deuxième serait un patient adulte en surpoids, avec un IMC supérieur à 27, qui a un facteur de risque cardiovasculaire, de cholestérol trop élevé, d’hypertension, d’apnée du sommeil ou d’autres maladies cardiovasculaires.

Le pharmacien s’interroge également sur la capacité de payer de l’État à long terme puisque l’interruption du médicament provoque un regain de poids. À son avis, la question que le ministère de la Santé devrait poser à l’INESSS devrait porter sur la durée de la couverture recommandée.

Pour l’endocrinologue Rémi Rabasa-Lhoret, l’obésité est une maladie chronique qui doit être traitée par le gouvernement et le corps médical. Au Québec, on n’a pas de remboursements du gouvernement à moins d’un suivi en établissements hospitaliers pour des soins liés au mode de vie comme les services en nutrition, en psychologie ou en kinésiologie, note-t-il. Le médicament devrait arriver en 2e ou 3e ligne accompagné de soutien spécialisé. La priorité dans le système public actuel serait une couverture de ces services suivie du remboursement, dans certains cas bien déterminés, du médicament.

La popularité de l'Ozempic pour la perte de poids ne cesse de grandir sur les réseaux sociaux.  | Photo : Radio-Canada / Ariane Pelletier