Vous naviguez sur le site Mordu

Des choses en apparence simple, mais qui changent tout, comme les commandes de la cuisinière tout près du comptoir.  | Photo : Radio-Canada / Alexis Boulianne

Carole réussit à cuisiner et à y prendre plaisir, même si elle se déplace en fauteuil roulant et que son bras gauche est paralysé. C'est son amour pour la bonne bouffe ainsi que le design adapté, et quasi unique, de son appartement qui lui facilitent un peu cette tâche réconfortante.

Ma mère, je l’ai vu cuisiner. Acheter du [prêt-à-manger] de l’épicerie, c’était un péché mortel, raconte Carole en riant. Mais je cuisine surtout pour le goût.

Le jour de notre rencontre chez elle, Carole prépare des fajitas au poulet pour le dîner. Elle sort les poivrons et le poulet du réfrigérateur, puis dépose une poêle sur la cuisinière. Il faut que je place mes choses, que je sorte tous mes aliments du frigo avant de commencer, afin d’éviter les allers-retours, explique-t-elle.

Des solutions ingénieuses

Une foule d’objets ont été pensés pour l’aider. La planche à découper qu’elle pose sur le comptoir est transpercée par une vis de quelques centimètres. Ingénieuse solution, la vis retient le légume pendant que Carole utilise sa main droite pour le tailler en morceaux. Je l’ai appris en réadaptation. Tu achètes la planche, les vis… Une chance que j’ai mon beau-frère pour me faire mes planches! s’exclame-t-elle.

Tenir un poivron en place pour le couper relève de l'impossibilité lorsqu'un de nos bras n'est pas fonctionnel. La solution : une simple vis!
Tenir un poivron en place pour le couper relève de l'impossibilité lorsqu'un de nos bras n'est pas fonctionnel. La solution : une simple vis! | Photo : Radio-Canada / Alexis Boulianne

Cette idée, anodine en apparence, représente la longue suite de détails qui améliorent l’autonomie des personnes avec des incapacités physiques. Par exemple, lorsqu’arrive le temps d’ouvrir le pot de salsa, Carole utilise un morceau de sous-tapis antidérapant pour avoir une meilleure poigne sur le couvercle.

Carole utilise des petits trucs simples et économiques pour se faciliter la vie, comme celui du sous-tapis antidérapant pour ouvrir les pots récalcitrants.
Carole utilise des petits trucs simples et économiques pour se faciliter la vie, comme celui du sous-tapis antidérapant pour ouvrir les pots récalcitrants. | Photo : Radio-Canada / Alexis Boulianne

Pour le poulet, elle utilise des ciseaux pour couper grossièrement les morceaux, puis un couteau pour détailler la chair après la cuisson. En utilisant ces petites stratégies, Carole, qui habite seule, peut continuer à accomplir cette activité qu’elle apprécie tant.

J'aime cuisiner mes affaires, dit-elle. Je suis exigeante sur certaines choses, mais j’aime aussi utiliser des légumes précoupés. Si je fais ma sauce à spaghetti, c’est sûr que j’achète ça.

Pendant les longs mois d’hospitalisation qui ont suivi son accident vasculaire cérébral, Carole s’est ennuyée des petits plats maison. J’étais écœurée. Je mangeais de la ratatouille presque trois fois par semaine. Je n'en ai jamais fait, pis je n’en ferai jamais non plus! lance-t-elle en éclatant de rire.

« J’ai recommencé à cuisiner dès que je suis sortie. »

— Une citation de  Carole
Une tâche comme couper des poivrons peut s'avérer difficile, mais Carole a trouvé le moyen d'être autonome en cuisine.
Une tâche comme couper des poivrons peut s'avérer difficile, mais Carole a trouvé le moyen d'être autonome en cuisine. | Photo : Radio-Canada / Alexis Boulianne

Un design pas comme les autres

C’est aussi l’organisation de l’espace qui permet à la soixantenaire de cuisiner par elle-même. Son appartement est, en quelque sorte, la démonstration d’un design dit universel, le fruit du travail de la Société logique, une entreprise d’architecture spécialisée dans l’adaptation de domiciles pour les personnes vivant avec un handicap.

Par exemple, les comptoirs sont plus bas que ceux d'une cuisine normale, les tiroirs offrent du rangement accessible, et certaines parties peuvent être carrément retirées pour permettre au fauteuil roulant d’être plus près de la surface de travail. Le four, qui se trouve à la même hauteur que les comptoirs, s’ouvre sur le côté et comporte une tablette en dessous, qui peut être tirée pour déposer un plat chaud.

Un tiroir sert de surface où déposer les plats chauds qui sortent du four. Ce dernier s'ouvre latéralement et se trouve à la hauteur des comptoirs.
Un tiroir sert de surface où déposer les plats chauds qui sortent du four. Ce dernier s'ouvre latéralement et se trouve à la hauteur des comptoirs. | Photo : Gracieuseté : Société Logique

Quand tu sors quelque chose du four, c’est très intéressant d’avoir un endroit où le déposer au lieu de te promener en chaise roulante avec un plat brûlant, précise Carole.

Les commandes de la cuisinière sont sur le bord du comptoir, bien accessibles; idem pour l’interrupteur de la hotte de cuisine.

Carole se déplace adroitement entre les comptoirs de sa cuisine. Sans être immenses, les espaces pour y circuler sont assez larges pour le fauteuil. En théorie, son logement, de l’entrée à la salle de bain en passant par la chambre et la cuisine, est adapté à n’importe quelle incapacité physique.

Il y a plusieurs années, un incendie mineur dans l’unité a donné au groupe l’occasion de démontrer que le design universel est possible et souhaitable. Ce projet a permis de montrer aux gens qu’on peut faire du beau en faisant de l’accessible. Il faut que ça donne envie aux concepteurs, comme aux familles, de dire : "Je peux habiter dans un logement adapté", explique Clémentine Le Meur, architecte à Société logique.

La rareté des logements adaptés est un autre défi pour les personnes ayant des déficiences physiques et cela les oblige parfois à faire des sacrifices. C’était compliqué de trouver un endroit où rester, alors la cuisine n’était pas la plus grande priorité. [L'important], c’était avant tout l’accessibilité à l’appartement et au bloc, raconte Carole.

L’Enquête québécoise sur les limitations d’activités, les maladies chroniques et le vieillissement de 2010-2011 souligne que le tiers de la population québécoise de 15 ans et plus vit avec une incapacité de longue durée. Parmi ce groupe, 30 % des gens ne vivent pas dans un logement où tous leurs besoins sont comblés. Selon Statistique Canada, environ 3,8 millions de Canadiennes et Canadiens adultes ont déclaré être limités dans leurs activités quotidiennes à cause d’une incapacité en 2012, soit près de 14 % de la population.

Pour tout le monde

Le design universel prend tout son sens lorsqu’on comprend que les personnes qui se déplacent en fauteuil roulant ne sont pas les seules qui en bénéficient. On part des personnes qui ont les plus forts besoins, et à partir du moment où l'on répond aux besoins de ces personnes, ça va forcément être bénéfique pour les autres, explique Clémentine Le Meur.

La cuisine de l'appartement a des espaces assez larges pour permettre le passage du fauteuil roulant.
La cuisine de l'appartement a des espaces assez larges pour permettre le passage du fauteuil roulant. | Photo : Radio-Canada / Alexis Boulianne

Par exemple, les besoins d’une personne avec une déficience visuelle sont parfois similaires à ceux d’une personne qui se déplace en textant sur son téléphone. Les besoins d’une personne qui arrive dans un pays où elle ne connaît pas la langue ressemblent à ceux d’une personne avec une déficience intellectuelle : les deux doivent pouvoir se repérer facilement dans l’espace. Tu peux aussi te casser une jambe! En fait, ça correspond à tout le monde, avance l’architecte.

Le but avoué des architectes comme Clémentine est de voir le concept des logements adaptables devenir commun. On essaie de tout normaliser, mais personne ne correspond à ce standard. Le fait d’avoir un logement adaptable te permet de le modifier selon tes besoins, souligne-t-elle. On est tous des êtres qui ont besoin de s’approprier leur logement.

Des choses en apparence simple, mais qui changent tout, comme les commandes de la cuisinière tout près du comptoir.  | Photo : Radio-Canada / Alexis Boulianne