« Ramenez-nous la COVID, au moins on sait la gérer! Mais tout sauf la guerre et ses obstacles désespérants! » C’est le cri du cœur que lancent ces jours-ci plusieurs vignerons et vigneronnes de Moldavie, pays voisin de l’Ukraine. Et pour cause : les exportations de vin sont carrément paralysées par le conflit qui se prolonge. On fait le point avec Liudmila Terzi, importatrice de vins moldaves au Québec, qui ne lâche pas le morceau malgré cet immense défi.
L'adversité grandit ceux qu'elle n'abat point, dit le proverbe, ce qui décrit bien l’état d’esprit qui anime Liudmila Terzi. En 2018, elle a fondé l’agence Les Filles du Vigneron, spécialisée dans l’importation de vins moldaves au Canada.
L’adversité, la mère de famille la connaît trop bien. En 2009, à 26 ans à peine, elle émigre de la Moldavie vers le Québec dans l’espoir d’une vie meilleure. Quelques semaines après son arrivée au Canada, son conjoint la quitte sans laisser d’adresse. Elle se retrouve avec la garde à temps plein d’un bambin de trois ans.
Travaillante et débrouillarde, mais surtout pressée de gagner sa vie, elle abandonne son ancienne carrière en génie pour le domaine de l’immobilier. Cinq ans après son arrivée au Canada, Liudmila Terzi fait de nouveau table rase et mise toutes ses économies dans la folle aventure de l’importation de vins moldaves au Québec.
Le Québec est un marché qui fait preuve d’une grande curiosité pour le vin international. J’ai flairé un grand potentiel ici pour les vins moldaves de facture artisanale, réalisés en petits lots à partir de cépages qui sortent de l’ordinaire
Elle fonde en 2018 l’agence d’importation Les Filles du Vigneron. Un vin à la fois, je fais tranquillement ma place dans le cœur des gens. Sauf que là, c’est plus difficile que jamais depuis le début de la guerre en Ukraine
La liste des mauvaises nouvelles ne fait que s’allonger à mesure que le conflit s’enlise : On a un conteneur de vins destinés au Québec qui est bloqué au port d’Odessa, en Ukraine. Sans compter qu’il est pratiquement impossible de faire entrer et sortir des camions de marchandises de la Moldavie, pays désormais considéré comme zone à risque de guerre. Et ce n’est pas tout : l’Ukraine fournit depuis toujours le carton qui sert à fabriquer les caisses de vin, évidemment essentielles pour transporter les bouteilles de verre. Avec la guerre, on a une pénurie de carton dans la région.
Si plusieurs personnes seraient tentées de baisser les bras devant ces défis imprévisibles, ce n’est pas le cas de l’ancienne ingénieure reconvertie en femmes d’affaires. L’enthousiasme que j’ai pour les vins moldaves, c’est un peu dur à battre, et avec le temps, je vais trouver une façon de faire rentrer les vins ici. Mes partenaires moldaves comptent sur moi. Ce n’est pas le temps de les lâcher!
Des vins de Moldavie de calibre international
Bon an mal an depuis 2018, Liudmila Terzi importe au Québec près d’une vingtaine de milliers de bouteilles de vin de la Moldavie. L’ancienne république soviétique, un petit bout de terre entre l’Ukraine et la Roumanie, produit des vins de classe mondiale qui, selon Mme Terzi, jouent facilement dans la cour des grands vins du vieux monde.
Le hic, c’est que ces vins sont encore plutôt méconnus du grand public québécois. Or ils ne pourraient compter sur une ambassadrice plus déterminée, infatigable et charismatique.
« Les vins de Moldavie goûtent l’automne, ils sont pour moi comme un voyage dans le jardin de mes parents. Ce qui me séduit plus que tout, c’est leur nez intense. Dans nos rouges, on perçoit tout de suite la griotte, la cerise et la prune. Tandis que nos vins blancs sont éclatants d’arômes floraux comme le jasmin et le muguet. »
Malgré son enthousiasme au zénith pour l’industrie vinicole moldave, l’avenir de l’entreprise Les Filles du Vigneron est actuellement compromis par les aléas du conflit ukrainien. J’écoule tranquillement mes derniers stocks rentrés au Québec par bateau avant le début de la guerre, explique l’entrepreneure. Mais rapidement, je vais avoir besoin de ravitaillement pour continuer. Et puisque le vin n’est pas considéré comme un bien prioritaire, rien ne bouge pour nous à Odessa, et tous les ports voisins sont débordés par la demande.
Des vignerons et vigneronnes moldaves épuisés par le conflit ukrainien
Toujours en mode solution, Liudmila Terzi remue ciel et terre avec ses contacts sur le terrain pour trouver une voie de sortie des vins moldaves par la Roumanie.
À cause de la proximité culturelle entre la Moldavie et la Roumanie – nous parlons notamment la même langue – plusieurs vins moldaves dorment présentement dans des entrepôts roumains. Ça serait si simple si mes vins pouvaient simplement sortir de l’Europe par la Roumanie vers le Québec! Mais j’avoue qu’il reste beaucoup de fils à attacher avant de crier victoire!
Autre défi de taille : Liudmila Terzi se doit d’être rassurante pour ses producteurs et productrices moldaves à bout de souffle. On se parle tous les jours et je leur répète que je suis confiante de trouver une façon de vaincre les difficultés.
« Il faut savoir que l’exportation est un besoin vital pour notre industrie vinicole, car la Moldavie n’a pas de marché intérieur pour le vin. À deux mois de la prochaine récolte, les enjeux de transport liés à la guerre représentent un immense poids financier pour des entreprises viticoles à échelle humaine. »
L’espoir, malgré les embûches
Mais où donc Liudmila Terzi puise-t-elle son inébranlable optimisme? Je dois beaucoup à mes proches qui me soutiennent dans toutes mes décisions.
À commencer par son conjoint québécois qui lui apporte un soutien moral indéfectible. Il est lui aussi en affaires et il sait trop bien que le succès demande du temps et des efforts.
Il y a aussi ses parents, toujours en Moldavie, qui l’encouragent à persévérer. De savoir que je ne suis pas seule me donne l’espoir d’un dénouement heureux pour mon entreprise
, raconte Mme Terzi.
Mon vrai grand défi, au-delà de la guerre en Ukraine, demeure de convaincre les gens du Québec de goûter les vins de Moldavie. Et je vous jure que du moment qu’ils les ont dégustés, la plupart restent des clients fidèles à mon agence. Il faut percer la barrière et c’est ça mon obsession numéro un!
Que souhaiter pour l’avenir à cette entrepreneure qui fait preuve d’une résilience désarmante? Facile de répondre à cette question! J’espère que d’ici cinq ans, les Québécois et les Québécoises vont comprendre que c’est en Moldavie qu’on fait les meilleurs vins au monde!