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Pourquoi est-ce stressant, cuisiner?

Pourquoi est-ce stressant, cuisiner? | Photo : Radio-Canada / Ariane Pelletier

Quand je suis dans un chalet avec des proches, mon activité relaxante par excellence, c’est de cuisiner. (OK, à égalité avec la petite saucette dans le spa qui suit la balade en forêt.) Le bruit du couteau sur la planche de bois et la sensation de la spatule qui racle parfaitement le fond d’un bol m’apaisent. Pourquoi perdons-nous cette légèreté et pourquoi la cuisine sonne-t-elle comme une corvée dans d’autres contextes?

La recette du stress

La scène est familière à beaucoup de gens, au retour du travail : on a faim, il y a du bruit, tout le monde est un peu irritable, on essaie une nouvelle recette, la cuisson du riz brun semble interminable, le chaudron antiadhésif est tout, sauf antiadhésif, et les légumes oubliés sous le grill déclenchent l’alarme du détecteur de fumée.

J’haïs ça, cuisiner, qu’on a le goût de siffler entre les dents. Le manque de temps et la pression de faire quelque chose de bon dans des conditions loin d’être idéales : est-ce ça, la recette du stress?

La pression de performance dans un contexte ou un environnement qui y fait obstacle contribue à augmenter le stress entourant la cuisine.
La pression de performance dans un contexte ou un environnement qui y fait obstacle contribue à augmenter le stress entourant la cuisine.  | Photo : iStock / Frantysek

La chercheuse en neuroscience Sonia Lupien ainsi que son équipe du Centre d’études sur le stress humain ont défini au fil de leurs recherches quelle était la recette du stress, avec quatre facteurs formant l’acronyme CINE(Nouvelle fenêtre) : une impression de contrôle faible, de l’imprévisibilité, de la nouveauté et un ego menacé (quand la situation pourrait nous faire mal paraître). Un, deux, trois ou quatre de ces éléments peuvent être présents dans une situation et causer du stress.

En cuisine, ça peut ressembler à ça :

C : La recette demandait du tofu, mais il restait juste du tempeh à mon épicerie. Pas le choix d’utiliser ça, car je n’ai pas le temps de faire un détour.

I : Je viens d’apprendre que le tempeh est assez long à cuire et qu’il faut même le faire bouillir avant pour qu’il soit meilleur. Est-ce que ça va marcher quand même, si je l’ai fait griller directement?

N : Je n’ai jamais cuisiné du tempeh : est-ce que c’est normal, les p’tites taches grises? Vais-je mourir?

É : Je vais avoir l’air vraiment poche si ce n’est pas bon, du tempeh. Déjà que le tofu, c’est limite. Argh.

Mes excuses au tempeh, avec qui j’entretiens une relation complexe, mais que j’aime quand même beaucoup, sous certaines conditions.

Le stress en cuisine, il se présente quand on perçoit la pression de performance dans un contexte ou un environnement qui y fait obstacle ou encore quand la barre est trop haute.

On peut ressentir cette pression de performance dans nos choix d’aliments, que l’on veut le plus nutritifs, écologiques et éthiques possible, et qui doivent aussi accessoirement plaire à tout le monde.

On peut la ressentir au moment de cuisiner, quand le manque de temps, d’énergie et de concentration se pointe, ou tout simplement quand on a faim tout de suite.

Et l'on peut la ressentir jusqu’au moment du repas, pendant qu’on se demande si l'on ne devrait pas manger plus lentement même si l’on manque de temps, et en moins grande quantité même si l’on a encore faim. Elle peut même se faire sentir jusqu’au moment de la vaisselle. La mautadite vaisselle.

La création d'une ambiance réconfortante peut contribuer à réduire l'anxiété de performance liée à la cuisine.
La création d'une ambiance réconfortante peut contribuer à réduire l'anxiété de performance liée à la cuisine.  | Photo : iStock / Prostock-Studio

Devant une situation stressante, si l’on se sent d’attaque, on se met en mode solutions. Les défis peuvent alors être carrément stimulants et excitants, comme quand on a hâte d’essayer une nouvelle recette un samedi après-midi, un verre de pet nat à la main. Mais si l’on sent qu’on a épuisé nos ressources, on choisira peut-être l’évitement, sous forme ou non de procrastination, avec le sentiment de culpabilité qui peut venir avec. C’est là que la pizza surgelée a un goût amer.

Ce qui se passe au chalet

S’il n’est pas possible de reproduire les conditions d’une vie de chalet un petit mardi soir à la maison, on peut tout de même s’en inspirer et tenter de rendre l’activité de cuisine un peu plus agréable – si l'on aime ça –, et un peu moins pénible – si l'on voit ça comme une éternelle corvée.

Les pistes? On s’inspire de la recette du stress en essayant de reprendre un peu plus de contrôle, en rendant les choses plus prévisibles, en misant sur les repères connus quand on essaie quelque chose de nouveau et en essayant d’adopter une attitude plus ludique et moins axée sur la performance.

En gros, on veut en faire un juste défi, ni trop difficile ni trop ennuyant. Concrètement, ce qu’on peut faire :

Prévoir des collations

On n’est pas nécessairement la meilleure version de soi-même quand on a faim, et c’est aussi valable au moment de cuisiner. Une collation prise au bon moment peut nous permettre de cuisiner avec le sourire plutôt qu’avec les sourcils froncés.

Bâtonnets de melon d’eau aux flocons de sel et au poivre noir

Une recette de bâtonnets de melon d’eau aux flocons de sel et au poivre noir - Loounie
Préparation
7 min

Bon, je sais, c’est presque gênant d’appeler ça une recette, mais c’est tellement bon que ça mérite sa place.

Rendre la cuisine un peu plus fonctionnelle

C’est le temps de faire le ménage de nos armoires en ne gardant que les spatules qui nous procurent de la joie et les épices qui sentent encore les épices. Investir dans certains équipements de cuisine, par exemple un bon couteau et une poêle antiadhésive réellement antiadhésive, peut faire une énorme différence sur le niveau de plaisir et de satisfaction en cuisine.

Minimiser les distractions

Parce que cuisiner mobilise beaucoup les fonctions exécutives, notamment la mémoire de travail, la planification et l’organisation, il est important de donner une chance à notre cerveau en réduisant le plus possible les distractions, en prenant le temps de bien lire une recette d’avance et de réviser les étapes avant de commencer, ou encore en choisissant quelque chose de plus simple en fonction de nos capacités du moment.

Repenser le concept du repas

Est-ce nécessaire d’avoir une cohésion dans le choix des ingrédients, ou est-ce qu’un simple assemblage de différentes choses est possible? Pensons aux pique-niques, ou aux lunchs d’été en vacances : des légumes coupés, un bout de pain, du tofu mariné, du végé-pâté, quelques noix, un peu de houmous. On peut même s’inspirer des repas que l’on sert aux jeunes enfants, à qui l’on présente généralement une variété dans l’assiette, à manger à leur guise.

Préparer des ingrédients

Sans nécessairement consacrer le dimanche à la préparation de tous les repas de la semaine, une courte période (même 10 ou 30 minutes!) consacrée au lavage des légumes et à la cuisson à l'avance de grains et de légumineuses peut faire toute une différence dans le sentiment de contrôle durant la semaine.

Pois chiches magiques

Une recette de pois chiches magiques - Loounie
Préparation
5 min
Cuisson
12 min

Il n’y a plus de tofu à votre épicerie, et vous avez une solide envie de tofu magique. Aux grands maux, les grands moyens!

Miser sur les raccourcis

Autant du côté des ingrédients (ex. : des sauces du commerce, des grains qui cuisent rapidement) que du côté des outils (papier parchemin qui facilitera le nettoyage, et qui va au compost!, micro-ondes, robot culinaire), les raccourcis permettent d’adapter la tâche en fonction des ressources dont on dispose. C’est important d’être réaliste.

Se permettre les répétitions

Si la variété est importante dans l’assiette, on doit tout de même éviter de se mettre la pression et de vouloir cuisiner des repas toujours différents. Pourquoi changer une formule gagnante?

Savoir en rire

Le tempeh ne nous a pas plu? Le gâteau n’a pas levé? Même si l’on veut limiter le gaspillage parce que les aliments coûtent cher et par souci pour l’environnement, apprendre à rire de nos échecs en cuisine quand ils se présentent est un beau cadeau à se faire.

Faire ça en gang

Connecter avec les autres et sentir qu’on n’est pas à part, c’est un des meilleurs antidotes au stress : ça s’explique même par la présence d’une petite hormone appelée ocytocine qui a le pouvoir de nous protéger des effets du stress. Ça peut prendre la forme de partage de tâches en famille, de dimanches popote en groupe, d’apéros à distance par visioconférence en préparant le souper (j’adore ça!) et même de cuisines collectives.

Parce que la vie n’en est pas une de chalet pour la majorité d’entre nous, faire la cuisine et tout ce que ça implique reste une activité qui vient avec une grande charge mentale. Les enjeux liés à tout ça sont complexes, notamment systémiques, et il n’existe pas de solution simple pour y remédier.

Par contre, de petits changements peuvent faire une grande différence dans le niveau de stress que l’on ressentira en cuisine. Et si l’on peut se le permettre, commander du resto ou décongeler une pizza restera toujours une option valable (sans le petit accompagnement de culpabilité).

Pourquoi est-ce stressant, cuisiner? | Photo : Radio-Canada / Ariane Pelletier