Les pâtisseries et autres gâteaux érotiques ont longtemps été confectionnés derrière des portes closes, à la demande d’une clientèle qui décrivait en chuchotant les attributs sexuels à reproduire en pâte sucrée. Nombre de commerces assument aujourd'hui pleinement leur côté coquin. Une façon de se démarquer de la concurrence, mais aussi de faire la promotion d’une sexualité plus inclusive.
Cette tradition ludique ne date pas d’hier. Dans la ville riveraine d’Amarante, au nord du Portugal, la population religieuse célèbre depuis des centaines d’années au mois de juin son saint patron, São Gonçalo, avec des pâtisseries phalliques arrosées d’un glaçage blanc et fourrées de crème. Offerts aux femmes célibataires en guise de porte-bonheur afin qu’elles puissent trouver l’âme sœur et procréer, ces desserts font la renommée de la région conservatrice.
Salées ou sucrées, en gâteaux, en biscuits ou en gaufres, les créations coquines font sourire encore aujourd’hui. Véritables sensations sur Instagram, elles semblent avoir été créées seulement pour amuser la clientèle. Et ça fonctionne. Le concept fait des petits un peu partout au pays.
À Toronto, Members Only Waffle House souligne ce mois-ci les festivités de la Fierté avec l’ajout d’une vulve à la grande famille des gaufres phalliques à son menu. De leur côté, les Zizi Pop montréalais attirent depuis l’été dernier les curieux et les curieuses qui font la file pour goûter à leurs fameuses gaufres en forme de pénis.
La copropriétaire et fondatrice de Members Only, Kirsty Fan, a découvert cette formule grâce aux gaufreries coquines européennes. Elle a d’abord créé un comptoir éphémère à Toronto l’été dernier. Devant son succès quasi instantané, elle s’est lancée dans l’ouverture d’un espace permanent au décor inspiré de la ville américaine de Palm Springs.
« L’énergie était palpable. Les gens riaient et s’amusaient à notre kiosque éphémère. Quand j’ai vu la réaction si positive que ça suscitait en plein milieu de la pandémie, je me suis dit qu’on avait besoin, à Toronto, de ce genre d’espaces où l’on peut rire et manger de délicieuses gaufres. »
Le goût des gâteaux érotiques
À Vancouver, Punk Rock Pastries n’est pas une pâtisserie comme les autres. Envie d’un biscuit? Vous trouverez des gâteries en forme de poitrine généreuse. Un gâteau? Un torse au membre en érection glacé à la vanille. Tout ça sans oublier les multiples représentations de vulves aux couleurs de peau variées.
La chef du Punk Rock Pastries, Hollie Deville, a grandi sous les tables de travail de la pâtisserie de son père, à jouer avec les sacs de farine empilés les uns sur les autres. C’est d’ailleurs lui qui l’a encouragée à ouvrir un commerce fidèle à ses valeurs.
« J’écoute beaucoup de musique punk. La philosophie de ce style est d’être authentique, donc je m’en suis inspirée pour ma pâtisserie. Être punk, c’est une attitude et une façon de vivre. »
Si le commerce, ouvert en 2019, ressemble à la chambre d’une adolescente ayant grandi dans les années 90, ce n’est pas une coïncidence. Hollie Deville voulait rendre hommage à son sanctuaire de jeunesse, tapissé d’affiches de musique et d’artistes. C’est peut-être aussi en réaction aux complexes qu’elle avait à cette période que l’adepte de punk a misé sur l’inclusivité dans sa représentation des organes sexuels.
J’ai grandi à une époque où l’acceptation du corps n’était pas à l’avant-plan. J’étais très consciente de mon physique jusqu’à ce que je réalise que personne n’avait la même morphologie et la même taille.
- Hollie Deville
La pâtisserie comme outil d’éducation sexuelle
Bien que ses gâteaux amusent sa clientèle, ils servent aussi d’outils d’apprentissage dans les cours d’éducation sexuelle. On vend beaucoup de biscuits pour les écoles et les bureaux de gynécologie. Ce n’est pas que pour faire rire!
Lors de l’ouverture, une enseignante a approché Hollie Deville pour mettre au menu des desserts aux formes variées dans le but d’offrir un éventail de représentations aux élèves et éviter la stigmatisation des organes génitaux.
« Les équipes préfèrent mes confections à des bananes ou des concombres. C’est une représentation plus mature pour les élèves. En bonus, la classe mange une sucrerie à la fin du cours! »
À l’entrée de la pâtisserie, une enseigne signale à la clientèle le caractère plutôt coquin des friandises tout en suggérant aux enfants de moins de 16 ans d’être accompagnés par des adultes. Cette précaution n’a pas empêché une plainte d’être formulée en mars dernier à la mairie, ce qui a obligé Hollie Deville à rappeler à sa communauté en ligne le contenu explicite de ses créations. La mauvaise presse n’existe peut-être pas pour Punk Rock Pastries. La propriétaire a observé un bond de l’achalandage après l’affaire.
Pour célébrer la sexualité arc-en-ciel
La pâtissière Lauren McGowan écrit souvent des messages sexy en lettres de glaçage sur les gâteaux qu’elle confectionne. Sa fidèle clientèle lui confie parfois des commandes plus osées : des pénis, des vulves... Quelle a été sa requête favorite? Des fesses attrapées par un suspensoir (jockstrap, en anglais). La pâtissière du Violet Bakehouse ne donne pas seulement dans les desserts sensuels, elle prend un malin plaisir à les réaliser.
Lauren McGowan s’éloigne du regard masculin dans son approche. Passionnée par l’histoire de la pâtisserie, elle note que les gâteaux érotiques populaires dans les années 1990 représentaient davantage des attributs féminins considérés comme appropriés à l'époque, par exemple, des seins ou la forme abstraite d’un corps féminin.
Aujourd’hui, les petits gâteaux ornés d’un glaçage dessinant une vulve et un clitoris sont monnaie courante. Sa communauté, principalement composée de femmes et de personnes non-binaires, lui permet de créer des desserts aux connotations queers.
« C’est beaucoup plus amusant pour moi de faire des gâteaux inclusifs pour la communauté LGBTQ+ et les femmes que de seulement créer des desserts ancrés dans le regard masculin. »
Les liens étroits entre desserts et sexualité
Le magazine américain Cake Zine
consacre sa première édition, publiée ce printemps, aux liens étroits entre les desserts et la sexualité. Les éditrices, Tanya Bush et Aliza Abarbanel, s’intéressent au rôle de la nourriture sucrée dans la séduction et aux stéréotypes genrés qui y sont associés. Les textes explorent notamment les idées persistantes qui ont promu une vision sexiste des femmes comme des desserts à déguster pour séduire.
Dans l’essai de Lexi Smith intitulé La fausse hypothèse phallique
(The Phallus Fallacy, en anglais), la pâtissière explique comment les gâteaux ont historiquement rimé avec féminité. Dans les années 1940, le psychologue et expert en marketing Ernest Dichter a avancé une théorie selon laquelle les aliments sont genrés et se doivent d’être annoncés ainsi au public.
M. Dichter s’est aventuré plus loin en comparant les femmes aux gâteaux en raison de leur désir d’être fraîches et séduisantes.
Le gâteau de mariage était, à son avis, la représentation ultime de l’organe féminin.
L’autrice de l’essai s’interroge sur la popularité des sucreries phalliques qui, selon elle, sont dénuées d’érotisme en raison de leur caractère plutôt ludique. Est-ce qu’une chose peut-être érotique si elle ne cache aucun secret?
, demande-t-elle.
Comme Molière le disait si bien : Couvrez ce sein que je ne saurais voir. Par de pareils objets, les âmes sont blessées.
