Si l'on peut se délecter d’un steak de bœuf vieilli, pourquoi ne ferait-on pas la même chose avec un morceau de thon? C’est la question que s’est posée Constant Mentzas, le chef du restaurant montréalais Ikanos. Antigaspillage, délicieux, unique : voilà les qualificatifs qui décrivent ce pari osé.
Les convives qui reprennent finalement leur place dans la salle à manger du restaurant Ikanos découvriront sur le nouveau menu de l'établissement d’inspiration grecque des poissons ayant vieilli jusqu’à trois semaines. C'est l'un des seuls à endroits à Montréal où l'on trouve cette proposition.
Le chef ouvre la porte vitrée d’une sorte de frigo. L’appareil hautement technologique permet de garder une température et une humidité parfaitement contrôlées. À l’intérieur, un flétan, des loups de mer, des steaks de thon et des saumons en sont à diverses étapes du processus de vieillissement.
Aujourd’hui confiant en sa technique, Constant Mentzas raconte qu’il s’agissait au départ d’un projet de pandémie. Avec les fermetures impromptues, beaucoup de poissons frais de son inventaire ont terminé à la poubelle. La première raison, c’est pour éviter le gaspillage
, dit-il.
La lutte contre les microorganismes qui finissent invariablement par défraîchir le poisson passe par un élément particulier : l’eau. Il faut bien sûr que le poisson soit au froid, mais c’est l’eau, provenant de la glace ou de l’humidité du réfrigérateur, qui finit par faire pourrir la précieuse chair.
Or, quand on accroche le poisson à l’air sec, un processus différent se produit : tout d’abord, la couche extérieure durcit, ce qui protège le reste de la viande. Ensuite, une réaction enzymatique produit du glutamate, la molécule responsable du goût umami, celui qui rend la sauce soya, le parmesan, les tomates rôties et les champignons grillés si délicieux.
Le collagène est quant à lui dégradé, ce qui attendrit la viande; la chair est paradoxalement plus ferme à cause de son moins grand taux d’humidité, et la peau du poisson se dessèche et devient merveilleusement croustillante à la cuisson.
Et donc, en plus de permettre de garder un poisson plus longtemps, la technique de l’affinage permet de développer des saveurs et des textures uniques.
« C’est comme si je réapprenais à travailler le poisson après avoir fait ça pendant 14 ans. »
Bien conscient de l’effet de surprise que peut produire chez la clientèle l’idée de laisser un poisson vieillir à sec pendant trois semaines, le chef se fait rassurant et explique que la technique a fait l’objet de tests en laboratoires pour s’assurer de sa salubrité. On est prêts à le montrer
, dit-il.
Mais quand on faisait nos tests, c’était dans le garage, raconte Constant Mentzas, accoudé au bar de son restaurant du Vieux-Montréal. Mettons que ce n’était pas vendeur de demander aux clients s’ils veulent du poisson vieilli dans le garage!
Le réfrigérateur à vieillissement trône désormais fièrement dans le restaurant, tout près de la planche de découpe à sashimis, qui donne sur le bar.
Je ne ferai pas vieillir tous les poissons, mais tous les sashimis seront vieillis, ajoute M. Mentzas. Ça me permet d’offrir une plus grande variété, les résultats sont intéressants et la gestion de l’inventaire est juste extraordinaire.