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La piquette est une boisson faible en alcool issue de la refermentation des marcs de raisin. | Photo : iStock / Irina Shpiller

Une nouveauté fort attendue sur le marché des prêts-à-boire ce printemps arrive sur les tablettes : les premières piquettes québécoises! Après avoir reçu l’aval de Québec en 2021, plusieurs vignerons et vigneronnes de la province n’ont pas hésité une seconde à se lancer dans l’aventure de la fabrication de piquette, dont ils et elles vantent la rentabilité, ainsi que le caractère désaltérant et écologique. Entretien avec des pionniers et pionnières de la piquette québécoise.

Piquette, comme pour parler d’un vin de piètre qualité? Absolument pas! Il s’agit d’une boisson légèrement alcoolisée faite à partir des peaux de raisin sur lesquelles on ajoute de l’eau ou du moût de pomme avant la fermentation.

Ni du vin ni du cidre, mais bien une boisson à part entière, la piquette est servie aux travailleurs et travailleuses des champs lors des vendanges, comme le veut la coutume en Europe.

Actuellement, plusieurs pays, dont la France, interdisent toujours sa commercialisation. De notre côté de l’Atlantique, la piquette est produite tout à fait légalement en Ontario, en Nouvelle-Écosse et en Colombie-Britannique. Au Québec, le gouvernement provincial en a officiellement autorisé la mise en marché à l’automne dernier, une occasion en or pour les producteurs et productrices de maximiser, toute une année durant, le fruit cultivé.

La parcelle de La Bauge : l’économie circulaire au cœur de la démarche

Pour le trio vigneron formé de Véronique Lemieux, Steve Beauséjour et Simond Naud, la piquette s’inscrit parfaitement au cœur d’une philosophie prônant une viticulture durable et régénératrice.

La piquette de La Bauge sera tranquille, d'un beau rouge rubis.
La piquette de La Bauge sera tranquille, d'un beau rouge rubis. | Photo : Gracieuseté : Véronique Lemieux

En parallèle des activités du vignoble certifié biologique La Bauge à Brigham, les trois camarades travaillent depuis quelques mois déjà sur un audacieux projet nommé La parcelle de La Bauge. Ce nom désigne un lopin de terre sur lequel se côtoieront d’ici quelques années des vignes de cépages hybrides québécois, des arbres fruitiers nordiques et des animaux de la ferme qui procéderont naturellement au désherbage et à la fertilisation des sols. Et quelle place pour la piquette dans tout ça?

Puisque les futures vignes de cette parcelle sont plantées ce printemps, il faudra plusieurs années de patience avant de pouvoir en vinifier les fruits. En attendant, le propriétaire du domaine, Simon Naud, a consenti à offrir dès maintenant des raisins de culture expérimentale de la récolte 2021 du Vignoble La Bauge.

Il sera donc possible de déguster sous peu les premières cuvées expérimentales de La parcelle de La Bauge, dont une première piquette qui sera dévoilée en juin et qui rassemble les marcs de tous les raisins issus de ces vinifications.

Une vraie piquette « touski », comme se plaisent à la décrire Véronique Lemieux et Steve Beauséjour, réalisée sur des peaux de raisin crimson pearl, TP11-12, swenson white et la Crescent.

« On a utilisé un pressoir à crinque à l’ancienne et nos baies avaient encore plein de jus dedans. On n’a ajouté que de l’eau, aucun sucre ni levure, et c’est aussitôt parti en fermentation naturelle. Résultat : un jus rouge cerise noire à 6,6 % d’alcool. Pas de bulles, extrêmement aérien, rafraîchissant, très digeste et désaltérant. »

— Une citation de  Steve Beauséjour, cofondateur, La parcelle de La Bauge

Après une première mouture de piquette jugée fort concluante, Steve Beauséjour et sa complice, Véronique Lemieux, comptent pousser l’audace plus loin encore en plaçant la piquette au cœur de leur modèle d’affaires.

Pour Véronique Lemieux, la piquette, c’est l’incarnation même de l’économie circulaire, parce qu’on donne une deuxième vie à des déchets organiques. En misant sur sa production à plus grande échelle, cela lui donne la possibilité de réaliser sans compromis son idéal en matière d’agriculture régénératrice, qui mise sur un écosystème qui agit en synergie.

« Tout est lié sur cette parcelle du futur, notamment les arbres fruitiers nordiques qu’on souhaite implanter, comme le camérisier et le framboisier, qui non seulement ont le potentiel d'augmenter la biodiversité de notre parcelle, mais [dont on pourra également utiliser les fruits] pour aromatiser nos piquettes. En gros, la piquette nous donne les moyens de rentabiliser nos ambitions. »

— Une citation de  Véronique Lemieux, cofondatrice, La parcelle de La Bauge

Lieux Communs : la piquette comme véhicule de création

Lieux Communs est un ovni sur la scène du vin québécois. Depuis plusieurs années, la bande à l’origine de sa fondation se présente comme une maison de négoce de vin qui achète des raisins de vignobles québécois avant de les vinifier et de les commercialiser sous sa bannière.

Les piquettes de Lieux intègrent des macérations de plantes aromatiques.
Les piquettes de Lieux intègrent des macérations de plantes aromatiques. | Photo : Gracieuseté : Lieux Communs

Lieux Communs a bâti sa marque en misant sur la production de vins natures ayant subi de longs élevages en barrique, soit des vins prisés et de haute réputation qu’on trouve sur la carte des plus grands restaurants de la métropole montréalaise.

En 2021, Lieux Communs a pris du gallon en s’offrant une parcelle de vignes en location à Oka et un chai urbain en plein cœur de Montréal. Pour le cofondateur de Lieux Communs Guillaume Laliberté, il n’est pas question de faire de compromis sur la qualité des vins. Si plusieurs vignobles québécois arrivent à lancer leurs vins dès le printemps suivant la récolte, Lieux Communs est contraint d’attendre ses vins, qui reposent plus longtemps en barrique. Comment hâter le retour sur investissement pour les jeunes vignerons? La légalisation de la piquette arrive à point nommé.

« Ce qui nous inspire avec la production de la piquette, c’est qu’on fait le lien avec la culture des rassemblements printaniers et estivaux dans les parcs de Montréal. La piquette nous permet d’être présents et de faire partie de ces moments festifs et heureux. Pendant ce temps-là, nos vins prennent le temps nécessaire pour se faire. Comme entreprise en démarrage, la piquette nous permet de créer, d’exister, de payer nos factures, sans prendre de raccourci. »

— Une citation de  Guillaume Laliberté, cofondateur, Lieux Communs

Les deux piquettes en canette que le quatuor s’apprête à dévoiler en juin sont un mélange de marcs de raisin et de moût de pomme du Québec, des compositions auxquelles on ajoute des fleurs pour rehausser les saveurs.

Le public pourra ainsi mettre la main sur la « piquette pâle », un assemblage des cépages blancs aromatisés au basilic, ainsi que sur la « piquette foncée », mettant pour sa part en valeur les peaux de raisin rouge agrémentés d’une touche d'hibiscus. Pour Guillaume Laliberté, cet ajout d’aromates, ce n’est rien pour miner la transparence, qui est une valeur fondamentale de Lieux Communs.

« Je suis très à l’aise avec l’idée que la piquette, c’est une recette que je construis. Comme c’est le cas pour les vins, les fermentations sont naturelles, les ingrédients sont frais, et oui, il y a eu un poil de soufre pour aider à la conservation en cuve, mais les piquettes sont fabriquées dans le même esprit que celui avec lequel on fait nos vins, c'est-à-dire avec des interventions humaines réduites au minimum. »

— Une citation de  Guillaume Laliberté, cofondateur, Lieux Communs

L’avenir est piquette

Les pionniers et pionnières de la piquette québécoise s’entendent tous et toutes sur ce point : la grande force de la piquette, c’est son côté rafraîchissant, qu’on doit à son faible pourcentage d’alcool. C’est une solution de rechange formidable aux seltzers, qui sont bourrés de saveurs artificielles et d’intrants de toute sorte, explique Guillaume Laliberté de Lieux Communs, dont les piquettes ne dépassent pas la barre des 4 % d’alcool.

Or pour assurer la pérennité de la piquette sur le marché québécois au-delà de l’attrait de la nouveauté, il faudra, selon Steve Beauséjour de La parcelle de La Bauge, que son prix demeure tout aussi léger que son contenu. Il ne faut pas oublier, dit-il, que c’est de l’alcool dilué, un produit sans prétention qui valorise autrement le travail de nos vignobles.

La piquette est une boisson faible en alcool issue de la refermentation des marcs de raisin. | Photo : iStock / Irina Shpiller