Un manifeste publié lundi appelle à transformer notre modèle agricole et à favoriser davantage les fermes de proximité. Sous la plume de l’ex-restauratrice Elisabeth Cardin, le texte interpelle le gouvernement pour qu’il facilite cette « importante révolution » : accès aux terres, subventions, révisions réglementaires et autres actions concrètes sont demandées.
La conjoncture, c’est que la maison brûle. C’est l’heure d’avoir le courage politique pour faire les changements nécessaires
, lance Émilie Viau-Drouin au téléphone, les deux pieds sur la terre des Jardins de la grelinette. Celle qui est cogestionnaire de cette petite exploitation agricole de Saint-Armand occupe également le poste de présidente de la Coopérative pour l'agriculture de proximité écologique (CAPE).
Au cœur du Manifeste pour la résilience(Nouvelle fenêtre), l’ex-restauratrice et autrice Elisabeth Cardin formule la demande suivante : Il est grand temps de confier aux artisans de l’agriculture écologique, collective et durable la responsabilité de préserver notre territoire et de nous nourrir.
Pour ce faire, il faudra contourner de nombreux obstacles, notamment gouvernementaux, selon Mme Viau-Drouin. Dans notre quotidien, on réalise à quel point on traverse tous les murs en parlant directement aux gens, mais notre voix ne traverse pas certains murs : ceux de l’État.
Les demandes du manifeste s’inscrivent dans un contexte large : celui de la lutte contre les changements climatiques, mais aussi de la progression vers l’autonomie alimentaire. Les fermes, celles qu’on dit de proximité ou diversifiées, devraient donc être encouragées davantage, et les obstacles à leur développement, réduits, selon elle.
La façon dont on fait l’agriculture, ça fait partie de la solution, pour la santé, pour l’éducation, pour la protection du territoire, pour des emplois valorisants…
, énumère la présidente de la CAPE.
Des changements demandés
Les demandes du manifeste envers le gouvernement comprennent un meilleur accès à la terre(Nouvelle fenêtre), un financement sensé
des entreprises agricoles, la révision des normes sanitaires et des lois sur les quotas, et un soutien à la distribution des aliments en circuit court.
Ces points sont soulevés depuis des années par les partisans de l’agriculture de petite surface biologique, qui, malgré sa popularité(Nouvelle fenêtre), peine à vraiment voir leurs produits se retrouver dans les assiettes de la population et vivent parfois de grandes difficultés(Nouvelle fenêtre).
Le ministre de l’Agriculture, André Lamontagne, soulevait récemment dans le journal La Presse que l’activité des petites fermes écologiques ne représente que 2,5 % de l’ensemble des exploitations agricoles du Québec.
Il y a une vision de l’État qui supporte un type d’agriculture plus qu’un autre, soulève Émilie Viau-Drouin. Certaines exploitations sont hyper assurées et soutenues; la production de porc, les grandes cultures… À côté, on a toute cette autre agriculture qu’on pourrait encourager, si on décidait que c’était ça, notre vision.
Et avec une inflation record, le prix élevé des produits frais ne fait que limiter l’accès aux fruits et légumes biologiques(Nouvelle fenêtre) aux classes les plus aisées. Ce problème s’entretient lui-même, car le gouvernement s’en remet aux forces du libre marché, ce que déplore Mme Viau-Drouin.
« Le ministre dit que les producteurs bio ont déjà leur plus-value, que le marché va se régulariser. Pendant combien de temps on va faire confiance au capitalisme? C’est se mettre la tête dans le sable. »
Étant employée dans une exploitation agricole, elle souligne que des subventions salariales créeraient des emplois sur les fermes déjà existantes, au lieu qu’on ait à démarrer de nouvelles fermes pour avoir une vie décente. On ne peut pas juste être des entrepreneurs
, dit-elle.
Le rôle de la clientèle
Même si le manifeste s’adresse tout d’abord aux autorités, un paragraphe du texte accorde une certaine responsabilité à la population. Chaque citoyen ou citoyenne peut soutenir et exiger la transformation de l’industrie agroalimentaire [...] Chaque geste, aussi petit soit-il, alimente un mouvement plus grand que lui
, écrit-on.
Si tu as les moyens, utilise-les, résume Mme Viau-Drouin. L’écart de richesse est rendu tellement grand que certaines personnes ne réalisent pas à quel point elles ont du pouvoir.
« Nous, on se bat contre des pays où il n’y a aucune réglementation. Les accords internationaux font en sorte que oui, au Maxi ça va être moins cher. »
Du même souffle, l’agricultrice affirme que ça suffit de taper sur la tête du monde parce qu’ils n’achètent pas bio
. Selon elle, la solution passe plutôt par l’éducation et, surtout, par une plus grande accessibilité aux jardins, aux marchés publics et aux produits locaux en général, ainsi que par une éducation et une valorisation des métiers agricoles.