Vous naviguez sur le site Mordu

Les vaches qui doivent se faire livrer de l’eau

par  Alexis Boulianne

Les vaches laitières doivent boire une grande quantité d'eau chaque jour, pas seulement pour vivre mais pour produire du lait. | Photo : Radio-Canada / Simon Turcotte

Une vache doit boire plus de 100 litres d’eau par jour pour faire son lait. L’industrie laitière, pilier économique de bien des villages du Bas-Saint-Laurent, demande une eau de qualité, en grande quantité. Mais devant son puits où l'eau fait parfois défaut, Jean-François Rioux n’a d’autres choix que de transporter de l’eau en camion pour abreuver ses bêtes, une situation qui se reproduit année après année au creux de l’été.

Le lait, c’est 85-90 % d’eau, explique l’agriculteur de Saint-Simon-de-Rimouski. Chaque jour, il y a un camion qui part de chez nous avec 700 litres de lait, et ça, c’est à part tout le reste de notre utilisation d’eau.

Vers la fin de l’été, la nappe phréatique sur laquelle la ferme Rioukioux est située ne permet pas d’étancher la soif des vaches en lactation qui y sont élevées. Ainsi, durant cette période, 1000 litres d’eau sont acheminés chaque jour vers sa ferme pour garantir le bien-être et la productivité des animaux.

« Les gens qui ont l'habitude d’ouvrir le robinet et d’avoir de l’eau ne réalisent pas la chance qu’ils ont. »

— Une citation de  Jean-François Rioux, éleveur de vaches laitières

Où est l’eau?

C’est l’injustice de la malchance. Une ferme peut se trouver sur une source d’eau abondante, et son voisin, avoir de la difficulté à s’approvisionner. Mais toutes les fermes de la région, et du Québec agricole, devront composer avec les effets combinés de la chaleur, qui accélère l’évaporation, et d’une faible augmentation des précipitations. 

L’étude AgriClimat, qui s’est intéressée aux effets des changements climatiques sur la production de nourriture au Québec, affirme en effet qu’au Bas-Saint-Laurent, les températures [estivales] seront en moyenne plus élevées de 2,5 °C à l’horizon 2050 par rapport à ce que nous avons connu pour la période 1981-2010.

Une bonne partie des producteurs, sans avoir vu les données, ont intuitivement adapté beaucoup de choses, explique la coordonnatrice du programme AgriClimat, Sarah Delisle. Mais parfois, ce qui est manquant, c’est un soutien plus structuré pour les accompagner dans les adaptations. Beaucoup d’agronomes sont très compétents, mais pour le volet réduction [à la ferme], ça, c’est plus embryonnaire.

« C’est nouveau qu’on quantifie l’utilisation d’eau en milieu agricole, même le gouvernement ne sait pas ce qu’on consomme. »

— Une citation de  Sarah Delisle, coordonnatrice d’AgriClimat

Mais même quand il y a de l’eau, il n’est pas garanti qu’elle sera appropriée pour les animaux. Le dernier puits qu’on a installé, l’eau était trop ferreuse, c’est presque 15 000 $ qu’on a dû dépenser pour la traiter, déplore Jean-François Rioux.

Les normes strictes sur l’eau que boivent les vaches nécessitent des investissements majeurs pour les productions laitières qui n’ont pas accès à une bonne eau. De l’argent qui sort directement de la poche des entreprises.

Les conséquences silencieuses de la sécheresse dans la chaîne alimentaire se font déjà sentir au Québec. Mordu vous présente un grand dossier sur l'importance de l'eau dans votre assiette.

Le prix du lait, régi par la gestion de l’offre, est basé sur une moyenne des coûts de production de toutes les entreprises laitières. Ainsi, une ferme qui doit s’adapter à la sécheresse, mais dont le problème est localisé, ne verra pas le prix payé par litre de lait être ajusté pour couvrir ses frais. Avant que le prix ne tienne compte de ces influences-là, il y a toujours une marge de manœuvre énorme, souligne M. Rioux.

L’adaptation

Jean-François Rioux est solide dans sa conviction : sa ferme est là pour de bon. Depuis plusieurs années, il produit plus de foin que ce dont il a besoin et vend ses surplus à une clientèle bien développée. On va gérer des surplus, plutôt que gérer des manques, dit-il.

Il explique que l’agriculture est en constante évolution. Pas une journée ne passe sans que l’expérience ne s’accumule et que la connaissance ne se raffine. On essaie de mieux faire les choses de façon plus durable pour être capable de rester en production, résume Jean-François. La diversification des sources de fourrage, les cultures de couverture et la meilleure gestion des sols sont parmi les techniques qu’il emploie.

Une amélioration qui l’aiderait grandement, ce serait de pouvoir être branché à un réseau d’aqueduc municipal, ce qui n’est pas une réalité pour le moment.

Il finit toujours par mouiller à un moment donné, lance-t-il, confiant. Si on veut que ça reste acceptable, il faut gérer les risques, se faire assez de réserves pour gérer les mauvaises années. On prend ça au jour le jour.

Les vaches laitières doivent boire une grande quantité d'eau chaque jour, pas seulement pour vivre mais pour produire du lait. | Photo : Radio-Canada / Simon Turcotte