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Le jardinier qui n’arrose jamais ses plantes

par  Alexis Boulianne

Éric Lessard voulait éviter d'utiliser l'eau de la rivière. | Photo : Radio-Canada / Alexis Boulianne

La rivière qui traverse la terre familiale d’Éric Lessard, près de Saint-Alexis-des-Monts, s’assèche. Devant ce constat, Éric s’est mis à cultiver un jardin pas comme les autres : y poussent des tomates, des haricots, des courges… qu’il n’arrose tout simplement jamais. Pour s’amuser, pour prouver un fait, et pour préparer l'avenir.

Je la vois baisser d’année en année cette rivière-là. Quand j’étais jeune, j’en avais par-dessus la tête; aujourd’hui, j’en ai jusqu’aux genoux, raconte Éric Lessard en montrant du doigt la rivière du Loup, dont l’eau sombre serpente entre les collines de la région pour aboutir dans le lac Saint-Pierre.

Sur les rives, près de la maison familiale, l’arrière-grand-mère d’Éric allait jeter les restes de table. Aujourd’hui, l’odeur de la menthe et des fines herbes embaume l’air lorsqu’on y passe le coupe-bordures. C’est un peu ça l’idée, le fait de respecter cette place-là, indique-t-il.

« C’est peut-être ça qui m’a sensibilisé. Je ne voulais pas utiliser l’eau de la rivière. Je ne trouvais pas ça correct. »

— Une citation de  Éric Lessard, membre de la quatrième génération à travailler ce lopin de terre

En s’occupant de son jardin, il y a quelques années, celui qui travaille aujourd’hui en mécanique s’est mis à s’intéresser davantage aux semences ancestrales, puis aux techniques d’agriculture durable, à mi-chemin entre la tradition et l’avenir. Mon père, il ne s’occupait pas de son jardin, pis ça marchait, alors que moi, je passais un temps fou à essayer d’avoir des légumes, raconte-t-il en riant.

Si la nécessité est la mère de toutes les inventions, Éric admet en souriant que c’est plutôt la paresse qui a quelque chose à voir avec l’idée de ne pas arroser son jardin.

C’est un projet un peu fou, celui de ne pas irriguer ses plantes potagères; nous ne sommes quand même pas en Arizona! L’eau, au Québec, nous semble gratuite et abondante. Mais cet apprenti maraîcher n’a pas tort : notre dossier(Nouvelle fenêtre) démontre toutes les vulnérabilités de l’eau qui minent la chaîne alimentaire dans la province, malgré la fausse impression que nous ne pourrons jamais en manquer.

Le jardin d’Éric consiste en une dizaine de rangs de plantes diverses, toutes chargées de fruits et qui ne s’abreuvent que de la pluie. Une surprenante abondance caractérise son potager, même en ce mois de juillet 2021 plombé par la chaleur et la sécheresse, lors de notre visite.

Les tomates poussent même sans eau lorsqu'on les cultive correctement.
Les tomates poussent même sans eau lorsqu'on les cultive correctement. | Photo : Radio-Canada / Alexis Boulianne

Juste par des gestes simples, on peut limiter l’utilisation d’eau dans le jardin, explique-t-il. Tout d’abord, les semis sont repiqués en allant chercher la terre humide qui se situe plus profond dans le sol. L’humidité est alors suffisante pour ne pas avoir à arroser les jeunes plantes. Puis, Éric recouvre le plan de sable sec ou de terre sèche et applique une bonne couche de paille sur le tout.

L’humidité du sol, alors conservée, et les mécanismes biologiques de la plante permettent à la vie de jouer son rôle. Si plusieurs plantes sont mortes la première année, les récoltes ont été bonnes les années suivantes. Car en choisissant les semences des plantes qui ont survécu, ce sont les spécimens les plus résistants à la sécheresse qui continuent d’être cultivés.

Les courges, notamment, ont donné un rendement d’une livre par pied de rang. Ce sont plus de 100 kg de courges, des dizaines de tomates, des carottes, des fèves et d’autres légumes qu’Éric a ainsi fait pousser sans dérouler le boyau d’arrosage.

Les conséquences silencieuses de la sécheresse dans la chaîne alimentaire se font déjà sentir au Québec. Mordu vous présente un grand dossier sur l'importance de l'eau dans votre assiette(Nouvelle fenêtre).

Les écueils

L’idée d’Éric Lessard consistait, au départ, à démarrer une production commerciale. Mais des problèmes personnels l’ont empêché de mener son projet jusqu’où il le souhaitait.

Il aimerait quand même transmettre ses connaissances aux gens et montrer que ce type de potager, à échelle humaine, n’a pas besoin d’être irrigué pour être productif. J’ai le goût de dire au monde : venez voir. C’est sûr que ça va sauver de l’eau quelque part, s’émerveille-t-il. Tu pars avec une bonne semence, tu prends des techniques, tu devrais avoir des résultats quand même.

Pour Éric Lessard, ce jardin, parti d’une idée que certaines personnes pourraient considérer comme loufoque, est surtout l’occasion de démarrer une discussion sur les changements climatiques, la responsabilité envers la terre et l’autonomie alimentaire. Et comme point de départ, il y a l’eau, celle qui coule dans la rivière à quelques mètres de sa maison familiale.

Éric Lessard voulait éviter d'utiliser l'eau de la rivière. | Photo : Radio-Canada / Alexis Boulianne