L’explosion des prix du crabe des neiges prouve non seulement la popularité de ce crustacé dans les marchés mondiaux, mais aussi sa vulnérabilité aux conjonctures politiques et économiques étrangères, selon un rapport publié aujourd’hui.
Depuis la semaine dernière, les poissonneries aux quatre coins du Québec reçoivent leurs premiers arrivages de crabes des neiges de la saison, et le prix en fait sourciller plusieurs. L’an dernier, à Rimouski, les poissonneries ont affiché un prix de 55 $/kg(Nouvelle fenêtre) (24,95 $/lb) pour le crabe des neiges cuit et de 26,34 $/kg (11,95 $/lb) pour le crabe vivant. Ce printemps, le crabe des neiges(Nouvelle fenêtre) cuit se vend de 63,93 $ à 72,75 $/kg (29 $ à 33 $/lb) et le crabe vivant coûte 30,86 $/kg (14 $/lb) dans les établissements de Rimouski.
L’Institut de recherche en économie contemporaine (IREC) publie aujourd’hui un rapport de recherche(Nouvelle fenêtre) sur les mécanismes et les enjeux économiques responsables des prix du crabe des neiges. En partenariat avec le collectif Manger notre Saint-Laurent, l'IREC y explore les fluctuations subies par l’industrie de sa création, en 1968, à aujourd’hui.
Son coauteur, le chercheur de l’IREC Gabriel Bourgault-Faucher, a accepté de répondre à nos questions.
Qu’est-ce qui explique la hausse des prix cette année?
Il faut se tourner vers les marchés internationaux pour comprendre cette augmentation. En 2015, les débarquements mondiaux de crabes du genre Chionoecetes, aussi appelés crabes des neiges, ont atteint un sommet à 253 346 tonnes. Depuis, l’offre globale diminue d’année en année.
De 2010 à 2021, le prix au débarquement a plus que quadruplé, passant de 3,97 $/kg à 16,30 $/kg (de 1,8 $/lb à 7,39 $/lb) en suivant un taux de croissance annuel moyen de 14 %. Il s’agit du montant demandé par les pêcheurs.
L’effondrement des pêcheries en Alaska explique en partie cette hausse des prix. De 2010 à 2020, les débarquements provenant de l’État américain ont représenté environ 10 % du volume mondial. La surpêche et le réchauffement climatique ont eu toutefois raison de ce marché, si bien que le quota a été réduit de 88 % en 2022 par le gouvernement américain.
Donc, 10 % de l’offre globale est coupée. Cette absence de crabes de l’Alaska a pour effet d’engendrer une hausse des prix aux États-Unis et, par conséquent, d'augmenter les prix demandés par les pêcheurs et pêcheuses du Québec.
En raison du conflit en Ukraine, le président américain Joe Biden a interdit les importations de fruits de mer russes dans le contexte des sanctions économiques contre la Russie. Cette dernière détient de 17 à 18 % des débarquements mondiaux de crabes. Ces produits deviennent indisponibles au marché.
Au total, à peu près 30 % de l’offre globale n’atteindra pas les marchés par rapport à l’an dernier. Cela crée un énorme vide alors que la demande reste forte et relativement stable. Les États-Unis et le Japon demeurent les deux principaux importateurs en la matière.
Pourquoi les crabes des neiges pêchés au Québec se vendent-ils d’abord et surtout à l’étranger?
Le modèle de développement est essentiellement resté le même depuis que les premiers pêcheurs commerciaux sont venus d’Europe pour exploiter les bancs de morues. Les pêcheries québécoises et canadiennes ont toujours évolué comme ceci : On extrait, on emballe et on exporte.
Ailleurs dans l’économie canadienne, ce modèle persiste. On peut penser au blé, au bois ou encore au pétrole. Peu importe la ressource, l’approche reste la même. Les conditions d’extraction des espèces ont toutefois évolué de façon plus préventive, notamment en réponse à l’effondrement des stocks de poissons de fond, comme la morue. Le modèle demeure typiquement canadien.
Les conditions du succès ou de l’échec sont déterminées par des conjonctures économiques et politiques étrangères. En ce moment, on peut prendre l’exemple de la loi américaine qui menace les pêcheries québécoises. Une législation extérieure a des effets sur les conditions d’activités ici. La Marine Mammal Protection Act (MMPA) impose à l’industrie de la pêche des États-Unis ou d’ailleurs de mettre en place des mesures pour la protection des mammifères marins. Le gouvernement américain demande aux pêcheries canadiennes, notamment de crabes, d'appliquer ses règlements pour accéder au marché américain. Son entrée en vigueur est prévue pour 2023(Nouvelle fenêtre).
Quels sont les enjeux à long terme pour les pêcheurs et transformateurs?
D’abord, il y a la viabilité écologique. Combien de temps peut-on encore compter sur la pêche au crabe des neiges ? Cet élément de surprise demeure un impondérable majeur qui plombe l’industrie.
L’exemple à ne pas suivre est certainement celui de l’Alaska. Aux croisements de la surpêche et du réchauffement des eaux, on en vient à se demander où est passé le crabe. Ce qui se produit est dramatique. On est témoin d’une industrie qui s’est presque complètement effondrée. Ce scénario n’est pas improbable ailleurs.
Ces enjeux climatiques restent à l’avant-plan en Atlantique. En 2019, le rapport du Comité permanent des pêches et des océans(Nouvelle fenêtre) dévoile les risques associés à la dépendance de l’industrie à deux principales ressources, soit le crabe et le homard. Les pêches monospécifiques ne sont pas la voie à emprunter pour assurer la pérennité du secteur. Les changements climatiques menacent ces espèces et peuvent influencer leur répartition géographique.
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Cette industrie contribue-t-elle à l’autonomie alimentaire d’ici?
Le modèle économique demeure basé sur l’exportation et est donc très peu nourricier pour les populations québécoises. D’un point de vue alimentaire, les ressources sont très peu accessibles sur les territoires exploités. Du côté économique, les retombées souhaitables pour les communautés régionales restent minimes.
Cette approche sectorielle mise seulement sur le développement de ce secteur économique, et non sur le développement régional et territorial. C’est l’industrialisation des pêches.
On veut générer de la croissance pour les acteurs de ce secteur à l’aide du cadre réglementaire en place, qui favorise l’exportation. En parallèle, on observe que des communautés se dévitalisent.
Comment s’assurer que les populations d’ici aient davantage accès à ces produits québécois?
On constate que les consommateurs et consommatrices demandent ces aliments. La promotion des produits n’est donc pas l'approche la plus importante à privilégier. Il faut plutôt rendre ces produits accessibles.
Les politiques publiques et les réglementations incitent les pêcheries québécoises à exporter leurs débarquements. Il demeure essentiel de mettre en place un modèle axé sur l’autonomie alimentaire. C’est vraiment un projet de société. L’intervention de l’État est à l’ordre du jour en ce moment.
Dans l’étude, on propose la mise sur pied d’un fonds de diversification des pêches(Nouvelle fenêtre) destiné à doter le secteur du levier financier nécessaire pour faire face aux aléas économiques et écologiques qui surviendront.
Puis, on se penche sur la création d’un dispositif intégré d’allocation de la ressource et de stabilisation des prix pour le marché québécois. Il s’agirait d’adopter un ou des mécanismes intégrés permettant de réserver et d’affecter une part des captures aux marchés québécois, ainsi que de stabiliser le prix du crabe des neiges commercialisé au Québec.
Certaines réponses ont été éditées par souci de clarté.