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Bárbara Jiménez Herrero : une vie de passion entre le Québec et l’Argentine

par  Elizabeth Ryan

Bárbara Jiménez Herrero est devenue œnologue avant de quitter l'Argentine pour le Canada. | Photo : Gracieuseté : Bárbara Jiménez Herrero

Bárbara Jiménez Herrero n’a jamais douté de ce qu’elle voulait faire dans la vie. La réponse était simple : être œnologue comme son père. Mais sa famille ne voyait pas les choses ainsi. « Le travail de la terre, c’est trop dur pour une femme », pensait le patriarche. Portrait d’une globe-trotteuse ambitieuse qui a fait à sa tête, en Argentine comme au Québec.

La famille de Bárbara Jiménez Herrero voulait faire d’elle une avocate. Mon grand-père me disait toujours : Bárbara, ne sois pas ridicule, tu peux être avocate comme moi, faire beaucoup d’argent et profiter du prestige de la famille, raconte-t-elle. Ensuite, tu pourras t’amuser avec ton vignoble si tu le veux, comme un passe-temps, ou même engager des professionnels qui vont travailler pour toi.

Dans l’œil de mon père, la vie d’agronome et d’œnologue, c’est fait pour les hommes, se rappelle Bárbara Jiménez Herrero. C’est un travail dans lequel une femme est moins payée qu’un homme. C’est une profession macho, et j’ai constaté plus tard qu’il n’avait pas tout à fait tort et que les femmes avaient du chemin à faire pour faire leur juste place dans ce club sélect d’hommes. Et justement, j’ai toujours voulu participer activement à l’épanouissement des femmes dans le monde du vin et à prouver à tous que j’avais autant qu’un homme à offrir.

La famille Jiménez Herrero a donc tout mis en œuvre pour détruire le rêve de la jeune Bárbara, à commencer par l’inscrire contre son gré dans une école secondaire spécialisée en économie et en comptabilité, un parcours taillé sur mesure pour une future avocate.

En Argentine, les écoles secondaires et les universités sont reliées. On choisit notre école secondaire en fonction de l’université où l’on souhaite aller, explique-t-elle. Naturellement, moi, je voulais aller dans une école avec une concentration en agronomie et en science. Je peux dire que pendant six ans sur les bancs du secondaire, j’ai trouvé ma vie terrible.

Un mouton noir qui tient son bout

Quand Bárbara Jiménez Herrero a une idée en tête, elle ne l’a pas dans les pieds. Pour elle, l’appel des vignes est si fort qu’elle s’inscrit à l’insu de sa famille à l’examen d’entrée pour le cours universitaire en viticulture et œnologie.

J’ai dû mettre les bouchées doubles pour rattraper six ans de retard en science et pour me donner une chance d’être admise à mon université de rêve. La chimie, la biologie, je n’y connaissais vraiment rien. Le pari de Bárbara a porté ses fruits : elle est choisie. Sa nouvelle vie, celle qu’elle a toujours voulue, peut enfin commencer. Sur le coup, ma famille n’a pas très bien réagi et je suis devenue le mouton noir.

« Dans mon cœur, je refusais catégoriquement que mon futur soit programmé par d’autres. La nature, c’est tout pour moi, et je voulais absolument travailler les deux mains dedans. Chaque journée et chaque année sont différentes. On n’a jamais fini de connaître la nature, c’est ce qui la rend fantastique. J’aime aussi le fait que les personnes qui travaillent la terre ont une simplicité, une autre façon de voir les choses. Je me reconnais là-dedans. »

— Une citation de  Bárbara Jiménez Herrero, œnologue

Le grand départ

À la fin de ses études universitaires, les choses ne se passent pas exactement comme Bárbara les a prévues. Son père, Fernando Claudio, en plein dans la force de l’âge, n’a pas besoin de relève au sein du petit vignoble familial. Elle est contrainte d’accepter un emploi pour l’entreprise de vins et de spiritueux Seagram, dont le siège social est à Montréal à l’époque. Rapidement, son employeur lui propose de la transférer de l’Argentine au Canada pour occuper des fonctions plus prestigieuses.

En décembre 1999, âgée d’à peine 27 ans, Bárbara Jiménez Herrero fait le grand saut à Montréal afin de chapeauter le service de contrôle de la qualité pour les spiritueux produits par Seagram partout en Amérique latine. Des responsabilités immenses pour une jeune femme qui n’a pas froid aux yeux et qui se met à voyager frénétiquement.

Je suis devenue une experte des distillats de l’Amérique latine. Entre la Jamaïque, le Venezuela, le Chili, le Brésil ou le Mexique, il y a des méthodes de fabrication et une culture uniques , dit-elle, visiblement encore émerveillée par cette aventure professionnelle.

Entre deux avions, Bárbara Jiménez Herrero a le coup de foudre pour un Québécois, qu’elle épouse en 2004. L’année suivante, elle donne naissance à son fils, Francisco. En arrivant au Québec seule et en plein hiver, je n’avais qu’une idée en tête : rentrer en Argentine aussitôt que possible, se rappelle-t-elle. Mais c’est sûr que fonder ici une famille m’a donné le goût de m’y établir.

L’émerveillement pour le vin québécois

En 2002, Seagram est vendue à des intérêts étrangers et Bárbara Jiménez Herrero saisit cette occasion pour exercer sa passion sous de nouveaux angles. Notamment au sein de la Société des alcools du Québec (SAQ) où elle travaille près de six ans comme œnologue. Elle devient en 2008 la première femme à occuper le poste de présidente de l’Association canadienne des œnologues.

En 2011, on lui offre la direction générale du plus ancien vignoble québécois, le Domaine Côtes d’Ardoise, fondé à Dunham en 1980. Une expérience marquante pour Bárbara.

« Faire du vin au Québec, c’est un défi colossal. Ironiquement ici, on cherche à désacidifier nos vins, tandis qu’en Argentine où il fait très chaud, on doit ajouter de l’acidité! Il m’a aussi fallu apprendre le travail avec les cépages hybrides, notamment comment amener la plante à son plein potentiel de manière à pouvoir en vinifier les fruits correctement. Quand j’ai commencé en 2011, il y avait encore tant à faire pour améliorer le vin au Québec. »

— Une citation de  Bárbara Jiménez Herrero, œnologue

Un AVC qui change la trajectoire

Si le défi du vin québécois s’avère à la hauteur de la riche expérience de Bárbara Jiménez Herrero, cela ne l’empêche pas de s’épuiser à la tâche. En 2017, en pleine saison des vendanges, Bárbara est victime d’un grave accident vasculaire cérébral (AVC). Frôler ainsi la mort à seulement 45 ans la plonge dans une réflexion profonde sur la suite de sa vie.

J’ai tout remis en question, à commencer par mon mariage, et j’ai pris conscience que je souhaitais retourner en Argentine , raconte-t-elle.

Cinq ans de thérapie et un divorce plus tard, Bárbara écoute son cœur en février 2022 et après 22 ans au Québec, elle prend un aller simple pour l’Argentine. Mon fils de 16 ans, Francisco, est resté derrière. Je veux le meilleur pour lui et il n’a pas envie de vivre en Argentine. C’est crève-cœur pour moi et ça me garde attachée à tout jamais au Québec , dit Bárbara, la voix étranglée par les sanglots.

Un avenir en Argentine à son image

En attendant impatiemment les retrouvailles avec Francisco en juin prochain, Bárbara n’a pas le temps de chômer depuis son retour à la maison. Elle constate qu’il y a beaucoup à faire dans le vignoble familial et que son père vieillissant démontre enfin de l’ouverture à une implication plus grande de la part de sa fille.

Or, Bárbara demeure fidèle à sa réputation de mouton noir en faisant encore à sa tête. Moi, je n’appartiens à personne et je ne veux travailler que pour moi-même , dit-elle avec détermination.

Elle prévoit s’associer prochainement avec deux amies de longue date qui travaillent également dans le domaine du vin en Argentine afin de lancer une entreprise de consultation vitivinicole entièrement féminine. De quoi prouver à son père que les femmes ont tout ce qu’il faut pour prendre leur juste place au soleil dans le monde du vin.

Bárbara Jiménez Herrero est devenue œnologue avant de quitter l'Argentine pour le Canada. | Photo : Gracieuseté : Bárbara Jiménez Herrero