Le Québec a perdu la moitié de ses fermes laitières en 20 ans. Si ce fait en lui seul est inquiétant, ce sont les visages derrière cet effondrement de l’industrie qui ont hanté Justin Laramée depuis cinq ans. L’auteur et comédien a plongé aveuglément dans ce qui allait être « le plus gros projet de sa vie » : Run de lait, une pièce documentaire portant sur la détresse des producteurs et des productrices de lait.
Mise en scène avec Olivier Normand, la pièce Run de lait(Nouvelle fenêtre) est présentée au Trident jusqu’au 26 mars prochain, avant de partir en tournée partout dans la province.
À l’automne 2016, Justin Laramée est appelé à s’intéresser à la détresse psychologique vécue en milieu agricole. L’auteur collabore avec Ginette Lafleur, alors doctorante en psychologie communautaire, à l’occasion d’un festival d’arts vivants, l’OFFTA. Cette rencontre lui ouvre les portes des étables, où les défis de l’industrie pèsent tellement lourd sur les épaules des producteurs et des productrices que ces personnes décident parfois d’en finir. Ces destins funestes laissent une onde de choc sur un milieu trop souvent frappé par ces tragédies.
Des portes de l’UPA aux planches du Trident
Le point de bascule se produit le 23 mai 2018(Nouvelle fenêtre), lorsqu'une manifestation éclate devant les bureaux de l’Union des producteurs agricoles (UPA). Le comédien s’y rend avec son enregistreuse pour récolter des témoignages. À ce moment-là, le système de la gestion de l’offre semble être sur le point de s'effondrer en pleine négociation du nouvel Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM). Les manifestants et manifestantes dénoncent la faiblesse des prix qui leur sont payés par les entreprises de transformation.
Justin Laramée sort de ce rassemblement en quête de réponses. D’une personne à l’autre, il démystifie cette industrie complexe, à la croisée des chemins. Cette suite de rencontres devient sa run de lait. Il présente enfin le fruit de son travail acharné au public du Trident, à Québec, depuis le début du mois de mars avec son complice Benoît Côté. Des personnes qui ont croisé sa route l’attendent pour lui faire part de leurs impressions à la fermeture des rideaux. Parler de l’industrie laitière et de sa complexité reste un terrain glissant; il l’admet lui-même.
« C’est un milieu très conservateur et hermétique. On a toutefois réussi à ne pas polariser le débat. Les plus beaux commentaires viennent des producteurs eux-mêmes. »
Des nuits blanches à tenter de comprendre le bras de fer entre l’industrie laitière et le gouvernement fédéral sur le lait diafiltré importé des États-Unis se sont multipliées jusqu’à en faire l’un des éléments centraux de la pièce.
À lui seul, le lait diafiltré incarne tous les enjeux. On s’est doté de systèmes, et ceux qui veulent faire de l’argent utilisent ces mêmes systèmes pour en faire davantage. Par conséquent, ils fragilisent ceux qui sont à la base de ce système-là et que l’on voulait protéger
, fait remarquer Justin Laramée.
L’inéluctable destin des fermes laitières
La quête du comédien ne tire pas à sa fin. À peine la ligne d’arrivée franchie, il voit apparaître d’autres interrogations dans son esprit, notamment la présence du mot inéluctable
dans le discours des décideurs qu’il a rencontrés.
« Tous les acteurs en poste de direction dans cette industrie-là disent que la consolidation des fermes au Québec est inéluctable. »
Si les petites fermes sont destinées à disparaître au profit de grandes fermes partout au Québec, que restera-t-il de la plus grande industrie agricole de la province et, ultimement, du modèle coopératif québécois?
Ses questions restent en suspens. Au-delà du destin des fermes, ce sont les enjeux territoriaux, climatiques et humains qui se tiennent à la croisée des chemins de l’industrie. Ce casse-tête complexe reste irrésolu. Après ses représentations à Québec, le comédien Justin Laramée se lancera dans une tournée partout dans la province.