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Cinq chefs canadiennes parlent de leur vision de la gastronomie

L'industrie de la restauration est à un point tournant et sera menée par des chefs telles que Fisun Ercan, Dyan Solomon et Andrea Carlson (de gauche à droite). | Photo : Radio-Canada / Alexis Boulianne / Janis Nicolay

Cinq chefs reconnues au Canada nous livrent leur vision d'une industrie appelée à se renouveler. Dans un monde gastronomique encore largement dominé par les hommes, ces chefs façonnent à leur manière l'avenir de la restauration au pays.

Briana Kim, chef propriétaire du restaurant Alice, à Ottawa

La chef Briana Kim pilote le restaurant Alice, à Ottawa.
La chef Briana Kim pilote le restaurant Alice, à Ottawa. | Photo : Gracieuseté : Miv Fournier

Jeune chef passionnée, Briana Kim repousse les limites de la gastronomie, notamment par son utilisation créative et non traditionnelle de la fermentation. Celle qui n’a pourtant pas étudié dans un institut de tourisme et d'hôtellerie travaille à faire vivre une expérience inédite à la clientèle du restaurant Alice depuis 2019.

Une pomme de terre sera par exemple recouverte de moisissure de fromage bleu pour en faire une patate fromagée au goût renversant. Pour beaucoup de gens qui mangent chez nous, c’est la première fois qu’ils goûtent à ces saveurs, explique-t-elle.

Les saisons n’ont plus la même définition, grâce à la conservation que permettent les différentes formes de fermentation. Le maïs qui figure dans le menu d’hiver est transformé dans des bocaux par les longs mois passés depuis sa récolte. On ne voulait pas baser notre menu sur ce qui est disponible en hiver, souligne la chef Kim.

« C’était important pour moi d’aller vers une niche encore inexplorée. »

— Une citation de  Briana Kim, Alice Restaurant

Même si elle a grandi en mangeant les nombreuses préparations fermentées coréennes, la chef ne cherche pas à évoquer la nostalgie ou les souvenirs d’enfance, mais bien à surprendre et à émerveiller les gens en travaillant les produits locaux de manière totalement unique. Je voulais faire quelque chose dont l’industrie avait besoin, mais qui n’était pas fait, conclut Briana Kim.

Dyan Solomon, chef et copropriétaire des restaurants Olive et Gourmando, Foxy et Un Po Di Piu, à Montréal

La chef Dyan Solomon dirige aujourd'hui les restaurants Foxy et Un Po Di Piu, en plus du café Olive et Gourmando, à Montréal.
La chef Dyan Solomon dirige aujourd'hui les restaurants Foxy et Un Po Di Piu, en plus du café Olive et Gourmando, à Montréal. | Photo : Radio-Canada / Alexis Boulianne

Pour Dyan Solomon, la restauration est devant un dilemme : celui qui oppose la qualité des ingrédients, la durabilité de leur production, le salaire décent du personnel… à la capacité de payer de la clientèle.

Devant l’inflation qui ravage les marges de profit, elle n’a d’autres choix que de monter ses prix. Sauf que ces augmentations rendent chaque jour son restaurant gastronomique, le Foxy, encore moins accessible. Les légumes locaux et de saison, les poissons issus de la pêche durable, le personnel bien entraîné et loyal… toutes ces choses coûtent cher, de plus en plus.

Est-ce que je veux dédier le reste de ma vie à faire plaisir aux plus riches de notre société? Je ne veux pas seulement nourrir les Elon Musk de ce monde, dit Dyan Solomon.

Lucide, elle perçoit que la classe moyenne délaisse les salles à manger. Son plan ressemble à celui de nombreuses bonnes tables, qui, au lieu de couper les coins ronds, mettent les bouchées doubles pour éblouir leur clientèle. Créer une expérience totale est une stratégie contre-intuitive, mais c’est ce qui pourrait convaincre les gens de débourser le prix juste.

« Je ne vais jamais faire de compromis sur la qualité. Je vais fermer mon restaurant avant de servir un sandwich au baloney. »

— Une citation de  Dyan Solomon, restauratrice

La restauratrice d’expérience compte aujourd’hui sur la force de sa chef au Foxy, Catherine Couvet Desrosier, pour amener le restaurant, qui se spécialise dans la cuisson sur feu de bois, à la prochaine étape : On fonce, on met le prix qu’on doit mettre, on continue jusqu’à ce que les gens arrêtent de venir manger chez nous.

Fisun Ercan, chef propriétaire de la table champêtre Bika, à Saint-Blaise-sur-Richelieu, en Montérégie

Fisun Ercan est chef propriétaire de la table champêtre Bika.
Fisun Ercan est chef propriétaire de la table champêtre Bika.  | Photo : Radio-Canada / Alexis Boulianne

Des côtes de la Turquie à la campagne québécoise, Fisun Ercan embrase le rythme des saisons pour s’aligner sur sa plus grande responsabilité : nourrir les gens. En fermant les portes de Su, son restaurant montréalais renommé, après 14 ans d’activités, elle a plié bagage pour s'installer en Montérégie et cultiver ses propres aliments en harmonie avec la nature.

« En tant que chef, je ne peux pas cuisiner n’importe quoi. Ça doit être porteur de sens. »

— Une citation de  Fisun Ercan

Son environnement le lui rend bien. La table champêtre Bika offre une cuisine turque basée sur les aliments de son potager et des environs. Ses matins en Turquie étaient occupés par la recherche de produits frais et locaux dans les marchés de son village natal, Seferihisar.

Des années plus tard, sa quête de fraîcheur pour les aliments qu'elle cuisine reste intacte. Les ingrédients forment les piliers de sa cuisine et guident ses choix.

Après avoir passé 14 ans à chercher la fraîcheur des aliments de sa jeunesse turque, Fisun Ercan a décidé de fermer son restaurant montréalais Su.
Après avoir passé 14 ans à chercher la fraîcheur des aliments de sa jeunesse turque, Fisun Ercan a décidé de fermer son restaurant montréalais Su. | Photo : Collaboration spéciale / Daphne Caron

Ses terres cultivées à quelques pas de son restaurant la lient aux producteurs et productrices de la région. Ces relations sont précieuses et révèlent toute l’importance de l’échange, selon elle. La cuisine, pour Fisun Ercan, c’est avant tout ce respect de la nature et de l’être humain, ainsi que ce lien si fort qui les unit. 

Les activités de Bika reprennent à la mi-avril ou au début du mois de mai. 

Meeru Dhalwala, chef et copropriétaire du restaurant Vij’s, à Vancouver

Meeru Dhalwala est chef au restaurant Vij's de Vancouver.
Meeru Dhalwala est chef au restaurant Vij's de Vancouver. | Photo : Gracieuseté : Steven Taylor

Les effluves de la cuisine des parents de la chef Meeru Dhalwala l’ont transporté vers Delhi toute sa jeunesse. Sa famille a quitté l’Inde vers les États-Unis en 1969. Mais le cœur de sa mère y est resté à jamais. Ce vent de mélancolie souffle maintenant sur le travail célébré de la copropriétaire du restaurant Vij’s, à Vancouver, qui s’était pourtant juré de ne jamais cuisiner les plats de son enfance.

Meeru Dhalwala crédite sa mère pour son style culinaire. Autrefois musicienne à Delhi, cette dernière a dû abandonner le chant et la guitare classique une fois arrivée en Amérique. Elle s’est alors réfugiée dans sa cuisine pour fuir la solitude et le mécontentement d’une vie changée à jamais.

« Sa cuisine représentait des sentiments que je ne comprenais pas pendant ma jeunesse. Je voulais m’en éloigner à tout prix. Et c’est ce que j’ai fait pendant de nombreuses années. »

— Une citation de  Meeru Dhalwala

En 1994, Meeru Dhalwala accepte de prendre les rênes des cuisines du nouveau restaurant Vij’s aux côtés de Vikram Vij. Du haut de ses 30 ans, elle recrée la beauté de son enfance. La splendeur de ma mère a été teintée de tristesse. Je veux que la mienne rayonne, ajoute la chef.

Un plat de paratha aux pousses de pois chiches est servi au restaurant Vij's à Vancouver.
Un plat de paratha aux pousses de pois chiches est servi au restaurant Vij's à Vancouver.  | Photo : Gracieuseté : Vij’s

Depuis plus de 25 ans, son éclat brille au-delà des frontières de la Colombie-Britannique. La table de Vij’s célèbre la culture indienne grâce aux instincts de Meeru Dhalwala. Celle qui a voulu s’éloigner de ses racines y a trouvé sa vocation. Véritable figure de proue de l’industrie à Vancouver, elle mentore plusieurs femmes qui se lancent dans l’aventure de la restauration. Autrice et femme d’affaires, Mme Dhalwala a également lancé en janvier sa gamme d’aliments biologiques pour bébé, My Bambiri(Nouvelle fenêtre).

Andrea Carlson, chef et copropriétaire de Burdock & Co, à Vancouver

Andrea Carlson est chef et copropriétaire du restaurant Burdock & Co, de Vancouver.
Andrea Carlson est chef et copropriétaire du restaurant Burdock & Co, de Vancouver. | Photo : Gracieuseté : Janis Nicolay

Pour Andrea Carlson, l’acte de cuisiner repose sur une danse calculée entre les sens et les idées. Des odeurs aux textures, la chef s’est laissé séduire par la cuisine à l’adolescence. Cette passion la guide dans son restaurant de Vancouver, Burdock & Co, où elle célèbre le pouvoir sensoriel de la nourriture et sa portée sociale.

Andrea Carlson mise tout sur les producteurs et productrices de sa région. Ces relations étroites caractérisent les saveurs de la table de Burdock & Co et les valeurs de la chef depuis l'ouverture du restaurant, en 2013. Ses plats goûtent la côte pacifique canadienne, ajoute-t-elle. Les plus grands ingrédients sont là, à son avis.

« Notre restaurant contribue directement à assurer la sécurité alimentaire de notre région à travers le travail des petites fermes biologiques avec lesquelles nous travaillons. »

— Une citation de  Andrea Carlson

La chef offre maintenant un menu prédéterminé. Ce virage a permis à son équipe de redoubler de créativité tout en séduisant encore plus la clientèle. Elle note que depuis ce changement, les clients et clientes viennent davantage pour vivre une aventure qui les éloigne de leur quotidien.

L'industrie de la restauration est à un point tournant et sera menée par des chefs telles que Fisun Ercan, Dyan Solomon et Andrea Carlson (de gauche à droite). | Photo : Radio-Canada / Alexis Boulianne / Janis Nicolay