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Les vins d’ici assument pleinement leur nordicité

par  Elizabeth Ryan

Même sous la neige, les vignes de Sara Gaston restent au chaud. | Photo : Radio-Canada / Arianne Béland

Le succès n’a pas été instantané pour les vins québécois, mais il semble être au rendez-vous pour de bon. La clientèle se montre friande et insatiable de ces vins, qui semblent en parfaite harmonie avec leur identité nordique. Derrière cette réussite, il y a la contribution des sommeliers et sommelières du Québec, qui célèbrent plus que jamais l’authenticité et la créativité de ces délices bien de chez nous. 

Comme le dit si bien l'adage, Rome ne s’est pas faite en un jour. Pour arriver à produire de grands vins dans un climat qui, a priori, semble trop rigoureux pour la vigne, il aura fallu une bonne quarantaine d’années de dur labeur. À coup d’essais et d’erreurs ainsi que d’expérimentations pas toujours heureuses, les vignerons et vigneronnes du Québec ont réussi l’exploit de fabriquer des vins aujourd’hui prisés.

« Quand j’ai commencé, il y a 25 ans, je n’avais aucune expérience de la vigne et tout un coffre à outils à bâtir. Il m’est arrivé dans les débuts de suivre des conseils moins avertis venant de gens qui en savaient long sur le vin, mais qui ignoraient tout du vignoble québécois. Je tiens à souligner l’apport d’un pionnier comme Charles-Henri de Coussergues, du Vignoble de l’Orpailleur, qui a donné tout un coup de main à ses jeunes collègues et qui a fait considérablement progresser notre industrie. »

— Une citation de  Daniel Lalande, vigneron-propriétaire des vignobles Rivière du Chêne et La Cantina

L’éveil des sommeliers et des sommelières

Avec deux décennies sur le plancher de restaurants montréalais de renom, la sommelière et importatrice de vin Vanya Filipovic est une témoin privilégiée de l’essor formidable des vins d’ici. Pour elle, le tournant pour les vins québécois, c’est le moment où ses collègues sommeliers et sommelières ont changé leur fusil d’épaule pour accueillir à bras ouverts les nectars nordiques.

Au début des années 2000, il arrivait qu’un client nous demande une dégustation de vins du Québec, mais on n’en avait pas à lui offrir. Ce n’était pas quelque chose qu’on célébrait, comme professionnel du métier, raconte-t-elle. On pouvait avoir chaque année sur la carte une ou deux étiquettes québécoises qui nous avaient fait bonne impression, mais sans plus.

Pour Vanya, c’est l’accueil et l’enthousiasme des sommeliers et sommelières pour les vins d’ici qui a changé la donne et qui a fait en sorte que le public a finalement embarqué.

« Aujourd'hui, quand je parle d’un vin québécois avec des étoiles dans les yeux et que je le sers avec la bonne chose à table, la magie opère et ça crée un effet d’entraînement. »

— Une citation de  Vanya Filipovic, sommelière et importatrice de vin

Travailler avec le climat

Il faut donner le mérite aux vigneronnes et vignerons d’ici, qui sont arrivés en un temps record à apprivoiser le climat du Québec pour permettre à la vigne de s’y épanouir.

L’esprit de collaboration entre producteurs et productrices a permis d’identifier et de choisir les cépages qui arrivent à maturité rapidement dans une moins longue saison végétative, raconte Carl Villeneuve Lepage, ex-sommelier au restaurant Toqué! et Meilleur sommelier du Canada 2018. On pense notamment aux cépages hybrides, avec lesquels on a développé une expertise et des vins vraiment intéressants.

Cette coopération entre vignerons et vigneronnes a aussi permis le développement rapide de techniques efficaces et uniques au monde pour protéger la vigne contre les rigueurs de l’hiver.

Si plusieurs choisissent aujourd’hui de couvrir leurs vignes de couvertures géotextiles, de foin ou de neige, d’autres optent pour des technologies dernier cri, comme la géothermie, qui permet de prolonger la saison végétative si bien qu’on peut aujourd’hui cultiver ici des cépages européens, comme le pinot noir ou le chardonnay, qui n’auraient jamais survécu avant l’avènement de ces solutions créatives(Nouvelle fenêtre).

Résultat : plus que jamais, la qualité des raisins québécois est au rendez-vous et, par extension, celle des vins l’est également.

Évolution des palais au bénéfice des vins

Carl Villeneuve Lepage a remarqué au fil des années que les premières personnes à avoir des préjugés sur les vins québécois ont longtemps été les gens du Québec eux-mêmes. Cette tendance a beaucoup changé au cours des dernières années.

Dans les années 1990 et au début des années 2000, tout le monde buvait du gros rouge qui tache et qui goûte, alors qu’aujourd’hui, on cherche la fluidité et la fraîcheur, explique-t-il. Nos vins québécois sont taillés sur mesure pour ces palais qui ont envie de vins croquants, axés sur le fruit.

« Ce n’est pas juste notre palais qui a évolué dans le bon sens, c’est surtout le vin québécois qui a évolué dans le bon sens. À partir du moment où le vin québécois a accepté son identité propre et les limites de son climat, plutôt que de vouloir imiter Bordeaux et la Bourgogne, c’est là que nos vins ont été mieux compris, célébrés, et que le résultat final s’est avéré franchement excitant. »

— Une citation de  Vanya Filipovic, sommelière et importatrice de vin

Plus authentiques que jamais?

Qu’est-ce que c’est, être authentique? Comment bâtit-on quelque chose en fonction de son identité véritable quand on n’a aucun point de repère? se demande Vanya Filipovic. On est partis de rien au Québec. Ça a vraiment été une grande aventure, des chemins assez laborieux, et on est encore dans les apprentissages!

Pour la sommelière, cette authenticité s’incarne bien dans une philosophie de travail moins interventionniste dans le champ et dans le chai. Quand un vin est le reflet le plus honnête possible de notre terroir, que les vignerons et vigneronnes réussissent à préconiser des solutions naturelles en tout temps, cela fait assurément qu’on peut mieux comprendre et apprécier les vins nordiques, explique-t-elle.

À cette quête d’authenticité du vignoble québécois s’ajoute une créativité pratiquement sans borne qui permet aux vignerons et vigneronnes de repousser constamment les limites de notre terroir. Le Québec est un terrain de jeu complètement vierge, sans les restrictions d’appellations comme on voit en Europe, souligne Vanya Filipovic. Dans l’avenir, il faut encore miser sur cette liberté totale. Chaque vignoble d’ici a un parcours unique et on n’a pas fini d’être étonné!

« Je retrouve cette même énergie dans d’autres pays nordiques, comme la Suède, où il y a une culture de vins qui s'installe très doucement. Toute la place est laissée à la créativité! On voit des fermentations de toutes sortes de fruits sauvages, on incorpore le sureau ou les baies dans le vin. Je ressens ce même genre de dynamisme ici, cette soif d’exploration. J’aimerais beaucoup un jour qu’on puisse rejoindre tous ces pays du Nord et qu’on fasse ensemble une grande fête de la nordicité. »

— Une citation de  Vanya Filipovic, sommelière et importatrice de vin

En 2022, la jeune histoire du vignoble québécois continue de s’écrire en temps réel. Si les acquis des dernières décennies sont indéniables, les défis, eux, demeurent nombreux. Je crois profondément en mon industrie, mais ça ne veut pas dire que je n’ai pas d'inquiétudes, souligne le vigneron Daniel Lalonde. L’année 2021 a été exceptionnelle grâce à de superbes rendements, et on se croise les doigts pour que 2022 soit une année aussi idéale.

Parions que, quels que soient les aléas de la nordicité, les vignerons et vigneronnes du Québec réussiront cette année encore le tour de force de capturer de grandes émotions en bouteille.

Même sous la neige, les vignes de Sara Gaston restent au chaud. | Photo : Radio-Canada / Arianne Béland