Des jus verts aux puddings de chia, la tendance virale #WhatIEatInADay rassemble les routines alimentaires de milliers de gens sur TikTok. Banale à première vue, elle reste l’une des plus controversées de l’application et inquiète les spécialistes en nutrition, qui y voient un terrain glissant vers une relation trouble avec la nourriture.
Le mot-clic #WhatIEatInADay a accumulé plus de 10 milliards de visionnements sur TikTok. La recette est facile à réaliser : des internautes publient des séquences de leur repas souvent entrecoupées d’images de leur corps puis de leurs activités quotidiennes.
Bien avant l’avènement de TikTok, les vidéos de ce que l’on mange en une journée
ont connu leur heure de gloire sur YouTube. Et qui n’est pas coupable d’avoir publié une photo d’un plat sur Instagram? Une chose est certaine, l’intérêt envers l’assiette des autres ne s’essouffle pas.
La cadette du clan Kardashian, Kylie Jenner, a publié l’une de ces vidéos en août dernier où la première séquence dévoile son corps en vêtements de sport puis différents aliments consommés dans sa journée. Elle cumule 97,3 millions de visionnements depuis sa publication. De la Californie à ici, les vidéos de #WhatIEatInADay ont la cote sur le réseau social et ne cessent de se multiplier, si bien qu’elles sont omniprésentes sur le fil d’actualité de l’application.
Mange comme moi, sois comme moi
La nutritionniste Geneviève O’Gleman se préoccupe de la popularité considérable de la tendance au point où elle devient banale aux yeux des internautes alors qu’elle présente un vrai risque notamment pour les jeunes filles, qui sont très présentes sur l’application et qui peuvent être influencées négativement par ces images de perfectionnisme nutritionnel
.
« Le danger est d’établir une corrélation entre les repas consommés par une personne et un résultat, dans ce cas, un corps. Mange comme moi, sois comme moi. »
L’algorithme de TikTok se base, entre autres, sur les vidéos aimées et écoutées pour en proposer d’autres qui vont plaire au public. Ainsi, plus une personne consomme des contenus associés au mot-clic #WhatIEatInADay, plus c'est ce qu'on lui présentera. TikTok a ajouté un avertissement sur l’application lorsque le mot-clic est recherché. Il faut toutefois dérouler le message pour y avoir accès.
Geneviève O’Gleman remarque que ces vidéos rassemblent souvent le même type de personnes : des femmes minces, athlétiques et blanches, vivant dans de beaux environnements et détenant un capital social et financier significatif.
La nutritionniste s’inquiète qu’en consommant ces vidéos, un individu puisse sombrer facilement dans la comparaison et glisser vers une modification de ses habitudes alimentaires pour accéder à ce mode de vie loin du sien.
« C’est inoffensif à première vue, mais ça fait son chemin dans notre perception de nous-mêmes. Ensuite, on se regarde dans le miroir et on voit bien qu’on ne ressemble pas à cette fille… on ne vit pas dans une belle maison comme elle, on n’est pas habillée comme elle. Ça vient jouer sur l’estime de soi, toute cette comparaison. »
Selon elle, adopter une routine alimentaire basée sur les repas d’une autre personne, c’est faire fausse route. Les signaux internes du corps demeurent les meilleurs baromètres pour déterminer nos besoins et guider nos choix nutritionnels
, ajoute-t-elle. Il demeure périlleux de rompre ce lien précieux avec son corps en ignorant la faim et en résistant à certains aliments au profit des habitudes alimentaires d’autrui. Geneviève O’Gleman prévient que ce changement favorise une hypervigilance envers la qualité des aliments et un contrôle excessif de son alimentation qui tend vers l’orthorexie
.
De la comparaison aux troubles alimentaires
Les organismes venant en aide aux personnes souffrant de troubles alimentaires observent une hausse marquée des demandes de traitement depuis le début de la pandémie au pays, notamment chez les jeunes(Nouvelle fenêtre). En seulement six mois, l’organisme Anorexie et boulimie (ANEB) Québec a reçu 18 % plus de demandes qu’en une année normale(Nouvelle fenêtre).
Émie Therrien est membre de Loricorps, un groupe de recherche transdisciplinaire des troubles du comportement alimentaire de l’Université du Québec à Trois-Rivières. En regardant des vidéos de #WhatIEatInADay sur TikTok, elle observe l’omniprésence de corps minces et d’aliments montrés dans des présentations léchées. Peu importe l’intention derrière, ces séquences amènent vers la comparaison
, défend-elle.
Mme Therrien explique que dans un contexte de trouble alimentaire, la comparaison joue un rôle déterminant dans la maladie, entraînant de la culpabilité et diminuant l’estime de soi. Ces vidéos jouent donc sur une corde très sensible pour les personnes ayant des troubles alimentaires ou étant sujettes à en développer.
« Ces vidéos ne déclencheront pas cette réaction chez tout le monde. Pour les personnes ayant des habitudes alimentaires dysfonctionnelles, l’exposition à ce genre de contenus qui poussent vers la comparaison et la culpabilité peut entraîner un glissement vers des comportements qui tendent vers les troubles alimentaires. »
Le mouvement anti-diète s’est néanmoins approprié la tendance au cours des derniers mois. De plus en plus de créateurs et de créatrices de contenu publient des versions moins léchées que les vidéos originales en misant sur une alimentation plus intuitive que contraignante et sur la diversité corporelle.
D’ailleurs, Émie Therrien encourage les gens à se désabonner des contenus qui déclenchent des sentiments de culpabilité et d’infériorité. Elle suggère de choisir des comptes plutôt gérés par des spécialistes de la santé comme des nutritionnistes ou des psychologues que par des influenceurs et influenceuses lorsqu’il vient le temps de consommer du contenu en lien avec l’alimentation.