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Les étiquettes de vin d’ici et d’ailleurs rivalisent de plus en plus de beauté et d’originalité. | Photo : Radio-Canada / Illustration Ariane Pelletier

Des illustrations à main levée à l’art abstrait, en passant par les jeux de textures et de couleurs éclatantes, les étiquettes de vin d’ici et d’ailleurs rivalisent de plus en plus de beauté et d’originalité. Si dans l’univers de la bière on fait appel à des artistes pour signer ses produits depuis deux bonnes décennies, la tendance gagne aussi le marché du vin depuis quelques années.

Le vignoble qui nous vient spontanément en tête, c’est Pinard & Filles avec ses étiquettes signées par l’artiste de renommée internationale Marc Séguin. On peut également penser à la Maison agricole Joy Hill, dont les bouteilles aux couleurs flamboyantes, fruit du travail de l’artiste-peintre Josiane Lanthier, ont été saluées pour leur beauté.

Mais il n’y a pas que les domaines viticoles québécois qui ont décidé de transformer leurs étiquettes en œuvres d’art. C’est le cas du Domaine Bulliat, dans le Beaujolais, qui s’est associé avec l’artiste québécois Simon Roy pour repenser son image de marque au Québec. Résultat : les recettes du domaine français ont aussitôt caracolé dans la Belle Province. Signe que l’art est un outil puissant pour gagner le cœur du public.

La signature visuelle des cuvées de Joy Hill est l'œuvre de l'artiste Josiane Lanthier.
La signature visuelle des cuvées de Joy Hill est l'œuvre de l'artiste Josiane Lanthier. | Photo : Courtoisie / Joy Hill

D’un point de vue marketing, la tendance aux étiquettes artistiques correspond à la volonté d’exprimer le côté artisanal de la production du vin. L’art renvoie aux codes de l’authenticité, du fait à la main avec passion et d’une production en petits lots, raconte Marc-André Fafard, vice-président, Design, à l’agence lg2.

Et ça tombe pile-poil avec ce que les consommateurs et consommatrices recherchent : des produits moins industriels, moins mainstream, ajoute-t-il. Dans la tête des gens, authenticité rime avec qualité.

Parmi les vignerons et vigneronnes qui ont embarqué à pieds joints dans ce courant artistique, on compte nombre d’adeptes de vins naturels, dont la fabrication préconise une vinification sans intervention humaine ni intrants chimiques et des pratiques certifiées biologiques tant au champ que dans le chai.

Les vins naturels sont très en demande, et on y associe des étiquettes éclatantes, des illustrations minimalistes, voire enfantines, qui attirent l’attention et qui donnent soif, explique Camille Bourgault, spécialiste produits et sommelière à l’agence d’importation montréalaise Boires. Pour Simon Roy, associé et directeur artistique au studio créatif Polygraphe, qui a collaboré avec de nombreux producteurs et productrices de vin naturel au cours des dernières années, une étiquette peut en révéler beaucoup sur le contenant de la bouteille.

Une étiquette artistique reflète une volonté de présenter un produit unique et fait avec amour. C’est un souci d’exprimer une démarche, une réflexion et une voix propres, indique M. Roy. Pour moi, ça correspond aussi à un désir de s’éloigner des codes du marketing.

La mode gagne du terrain cependant. On voit de plus en plus de producteurs et de productrices de vins plus industriels emprunter les codes artistiques du vin naturel en pensant que c’est un raccourci pour vendre plus. Des gens qui ont compris que l’habit vend le moine. Et ça, c’est franchement inquiétant, dit Mme Bourgault.

« Un pur artisan qui travaille les deux pieds dans ses vignes et qui fait du vin dans un vignoble à échelle humaine n’a pas forcément les moyens de se payer de grands artistes pour faire de grandes étiquettes. Il se cache bien des trésors à déterrer dans des bouteilles pas nécessairement au goût du jour du point de vue de l’image de marque. »

— Une citation de  Camille Bourgault, spécialiste produits et sommelière, agence Boires

Une belle étiquette réalisée par un ou une artiste, ce n’est pas non plus une recette miracle pour avoir du succès.

« Attention quand l’art est trop générique ou quand le style artistique est déconnecté de la stratégie globale de la marque. En alcool, il faut raconter une bonne histoire et générer des émotions. Souvent, l’erreur que l’on voit, c’est que les marques vont penser à un seul produit à la fois plutôt qu’à l’ensemble du portfolio. Si on veut se démarquer et connecter profondément avec nos clients, ça prend une ligne directrice artistique forte pour toute la gamme de produits.  »

— Une citation de  Marc-André Fafard, vice-président, Design, lg2

L’habit ne fait pas (toujours) le moine

Avec le coronavirus, on achète plus que jamais avec ses yeux, car non seulement la pandémie de COVID-19 a fait diminuer le temps et le nombre des interactions dans les boutiques de vin, mais elle a également fait bondir les heures consacrées au magasinage en ligne.

Dans ce contexte, c’est toujours la plus belle bouteille qui part en premier, constate Camille Bourgault. Mais ce n’est pas le pire. Au cours des derniers mois, les prix des vins ont explosé, car les vignerons doivent payer une fortune pour se payer ces étiquettes et ces artistes-là, dit-elle. Si bien que désormais, il faut pratiquement toujours se demander avant d’acheter si la qualité du vin équivaut vraiment à celle de son étiquette.

Pour Alexandre Larochelle, un critique de vin dans les médias sociaux connu sous le pseudonyme @alexanderthegrape(Nouvelle fenêtre), c’est le moins qu’on puisse dire qu’on vit dans un monde d’image et que l’industrie du vin n’y échappe pas. On est à l’ère des médias sociaux et ce qu’on voit sur la bouteille fait partie intégrante de l’expérience multisensorielle que permet le vin, explique-t-il.

Est-ce que cela lui est déjà arrivé de ne pas acheter un vin car l’étiquette ne correspondait pas à ses standards de beauté? Non, mais je peux dire que beaucoup de bonnes bouteilles ont probablement passé sous mon radar lors de mes séances de magasinage virtuel, raconte celui qui se considère comme un consommateur averti. C’est mon œil qui est attiré en premier vers un vin. Ensuite, je fais des recherches plus approfondies sur le produit et son élaboration avant de l’acheter.

L'artiste Nicole Young signe l'étiquette de la cuvée Hyperdrive du domaine britanno-colombien Rigour and Whimsy.
L'artiste Nicole Young signe l'étiquette de la cuvée Hyperdrive du domaine britanno-colombien Rigour and Whimsy.  | Photo : Gracieuseté : Boires

Camille Bourgault, de l’agence Boires, souhaite lancer une invitation sans équivoque aux consommateurs et consommatrices : [Pour éviter de vous faire berner], informez-vous toujours avant d’acheter. Allez au-delà de la première impression que donne une étiquette. Posez des questions à des spécialistes. Lisez le texte sur l’étiquette ou consultez le site internet des vignobles. Bref, faites-vous une bonne tête pour faire de bons choix!

Le mot de la fin revient à l’artiste et amateur de bon vin Simon Roy. Ce ne sera jamais le design qui va déterminer le succès ou l’échec d’un vignoble. C’est toujours la qualité du produit qui va avoir le dernier mot. Le combat est plus dans le verre que sur l’étiquette, point final.

Les étiquettes de vin d’ici et d’ailleurs rivalisent de plus en plus de beauté et d’originalité. | Photo : Radio-Canada / Illustration Ariane Pelletier