Peut-on cuisiner un repas de Noël selon les principes du locavorisme? L’équipe de Mordu a lancé le défi au chef Tim Moroney, du restaurant Alentours, de concevoir une table des Fêtes 100 % québécoise.
Le chef était excité de participer à cet exercice, car le locavorisme et l'écoresponsabilité sont les valeurs premières de son restaurant situé dans le quartier Saint-Sauveur à Québec. Tous les ingrédients proviennent de lieux à l’intérieur d’un rayon de 150 km du resto, excepté le sel, la levure et le lait.
Se limiter autant oblige la créativité. Au lieu de substituer un aliment à un autre, il faut trouver des saveurs similaires dans un produit d’ici. Par exemple, pour remplacer un agrume, on veut aller chercher une acidité et même une petite amertume
, souligne-t-il.
Tout au long du mois de décembre, l'équipe de Mordu passe à la table à dessin pour repenser les classiques, tout en s'assurant de garder ce qui nous fait du bien. Consultez notre dossier spécial On joue avec les traditions.
L’Américain qui est établi à Québec depuis une dizaine d'années ne sert pas d’aliments inconnus aux yeux de sa clientèle. C’est plutôt dans la manière d’apprêter les ingrédients, qui est assez élaborée, qu’il met sa touche personnelle. Tout est préparé sur place, excepté le fromage. Il transforme même les viandes. Le restaurant fait également son compost, ce qui confirme une fois de plus son approche responsable.
Entrée : l’umami à souhait
Pour entamer la soirée locavore, le chef Tim Moroney propose une pâte feuilletée cuite seule, puis garnie d’oignons, de champignons, de bacon et de fromage. Cuite ainsi, la pâte va rester croustillante et ne va pas absorber toute l’humidité des aliments.
Vous pouvez vous amuser avec des oignons caramélisés (personnellement, j’y ajoute un peu de sirop d’érable en fin de cuisson, ça change tout!) pour apporter un côté sucré. La poêlée de champignons embarque ensuite avec son côté umami. Il y a tellement de bons fromages québécois qu'il vous laisse choisir votre préféré, tant que ce dernier fond bien! On est en temps de fête; c’est bon, le sucre, le bacon, le fromage...
, lance-t-il.
Le chef a un coup de cœur pour la Fromagerie des Grondines, qui est exemplaire en matière d’écoresponsabilité. Tous ses fromages sont biologiques, et les vaches sont nourries à l’herbe.
Pour faire changement du goût sucré des légumes racines, Tim et ses complices adorent travailler le champignon pour son aspect très umami. Le chef collabore avec l’entreprise Coupe Champignon, qui produit des champignons à l’intérieur, à l’année.
Comme corps gras, l’huile de tournesol est reine au restaurant Alentours. C’est la seule huile utilisée pour la cuisson. Elle provient de la Ferme Pré Rieur, à Saint-Jean-Port-Joli. Celui qui a ouvert son resto à la fin août 2021 se sert aussi de l’huile de chanvre, mais dans les recettes qui ne demandent pas de cuisson. L’huile de tournesol a un goût assez prononcé, alors pour les oignons caramélisés et la poêlée de champignons, vous pourriez ajouter un peu de beurre pour balancer.
Plat principal : simplicité et viande mijotée
Pour le repas, Tim propose un cari au poulet fait d'oignon, d'ail, de tomate rôtie, de graines de coriandre, de gingembre et de curcuma. Vous devrez évidemment utiliser des racines de gingembre et de curcuma québécoises.
Le yogourt est ajouté à la fin pour créer la sauce et apporter un côté acidulé. On peut aussi s’amuser avec des épices issues de la cueillette sauvage, comme des pousses d’épinette ou de sapin, pour donner un côté résineux, vert et légèrement acidulé.
Le chef indique qu’un plat mijoté est parfait pour Noël, car il n’y a pas beaucoup de vaisselle à laver et que c’est facile à servir. Une poignée de pommes de terre, une louche de cari, une cuillère de yogourt et le tour est joué. Vous aurez alors plus de temps pour profiter de la soirée.
Dessert : brûler la bûche
Pour satisfaire l’envie sucrée, Tim va dans une direction complètement opposée à la bûche traditionnelle, qui contient généralement du chocolat et du sucre, des ingrédients qui ne sont pas produits sur notre territoire. Une croustade à la courge Butternut et aux pommes va vous emplir la panse.
Les morceaux de courge sont cuits en premier, car ce fruit est plus long à cuire que le reste. Les dés se retrouvent dans le fond du plat, collés par du sirop d’érable et aromatisés d’herbes fraîches que vous avez sous la main, comme du romarin, du thym ou de la sauge. Sur le dessus, rien de plus simple que la recette de votre biscuit préféré (sans sucre), avec ajout d’avoine, que vous émiettez. Vous enfournez le tout et c’est prêt.
Boissons : jouer avec les saveurs
Côté boisson, le chef recommande un vin rouge chauffé avec du sirop d’érable et des aromates québécois, par exemple le myrique baumier, le poivre des dunes, le mélilot et des pousses d’épinette. Tim Moroney suggère aussi d’y ajouter un whiskey ou un gin québécois. Le gin apporte déjà beaucoup d’épices à la boisson, comme le gin Menaud, qui a un profil très forestier.
Pour un cocktail sans alcool, sa brigade et lui jonglent beaucoup avec les purées de fruits et le kombucha. Mais attention, le kombucha contient en principe du sucre de canne. Il suffit de le remplacer par du miel, un ingrédient local, et on obtient plutôt du jun. Le jun peut apporter de l’acidité dans un cocktail. En raison de [la présence] du miel, l’acidité est encore plus prenante dans ce kombucha
, explique le chef.
Longue vie à la pensée à long terme
L’été peut sembler un moment plus simple pour mettre en œuvre le principe du locavorisme, car on profite d’une abondance de fruits et légumes locaux. La période froide est-elle autant propice à l’alimentation de proximité?
C’est sûr que si on pense à nos repas à court terme, les recettes seront moins variées. Ça peut être aussi bon, mais moins varié
, répond Tim avec une proposition en tête.
Pour servir les saveurs de l'été en hiver à son restaurant, il s’est préparé durant la saison des récoltes et a congelé plusieurs aliments. Dans le congélateur d’Alentours sont empilés 80 kg de fraises, 40 kg de framboises, 40 kg de bleuets, de la purée de tomates et du maïs égrainé, entre autres.
C’est une expérience très plaisante de prendre le temps de faire ça, en famille
, souligne-t-il. En restauration et en alimentation, ça vaut la peine que la façon de penser soit plus à long terme.
Il suggère de s’abonner aux paniers de légumes biologiques d’hiver pour s’approvisionner de façon variée.
En plus d’investir dans l’économie locale, Tim tient compte des intérêts des producteurs et productrices envers certains aliments. Il vise à mettre les produits les plus courants de notre alimentation en vedette, comme le porc. Le Québec est la province canadienne qui produit le plus de porc d'abattage, avec 7,1 millions de bêtes en 2019.
« On produit énormément de porc, alors c’est la viande qui représente le mieux l’agriculture québécoise. C’est pour ça que j’aime mettre ce produit de l’avant, car il y a un intérêt pour les producteurs à l’année. »
Un autre aliment courant qu’il affectionne est la roquette. Ça peut sembler banal, mais la roquette est un de mes aliments préférés parce qu'elle a une rentabilité intéressante pour le fermier. C’est une feuille qui prend seulement de trois à quatre semaines à pousser et on la cultive même en serre en hiver
, relate le chef.
Le menu que Tim nous a proposé est simple à réaliser et peut se concocter à l’avance. On n’a qu'à le réchauffer au moment de servir. Pour le chef, il est plus important de passer du temps avec ses proches à Noël que de gérer trois casseroles en même temps sur le feu. Même moi en tant que chef cuisinier, quand les gens viennent manger chez nous, je n’ai pas envie de jouer au serveur de restaurant
, avoue-t-il.
À l’exemple d’Alentours, le locavorisme est une voie que plusieurs pourraient adopter, même à Noël! C’est la prévoyance et le choix des produits qui nous amènent à la variété et au plaisir gourmand.