Une belle grosse dinde rôtie à la perfection au centre d’une tablée festive : cette image évoque la tradition des Fêtes pour beaucoup de monde en Amérique du Nord. Mais depuis une douzaine d’années, la dinde était est de plus en plus boudée sur les tables de Noël. Jusqu’à ce qu’elle fasse récemment un retour inattendu. Petite histoire d’un gros oiseau – pas si traditionnel que ça – qu’on réapprend à aimer.
On garde ou on jette? La réponse est personnelle, mais cette année, l’équipe de Mordu s’amuse à jouer avec les traditions et à repenser Noël. Nous avons sondé notre communauté sur une question de grande importance : on fait quoi avec la dinde? Sur près de 580 réponses reçues, 76 % des gens veulent la garder!
Même si on la considère aujourd’hui comme un classique de Noël dans certaines régions, la dinde n’est arrivée sur les tables québécoises que dans les années 1950, à peu près en même temps que la télévision entrait dans les foyers.
Selon l’historien Michel Lambert, la dinde pendant le temps des Fêtes est une idée américaine qui a été adoptée par le Québec. Au 19e siècle, les gens de Charlevoix recevaient des touristes américains, qui adoraient la région et pensionnaient dans des résidences locales, raconte-t-il. Les Charlevoisiens ont commencé à élever des animaux comme la dinde pour nourrir ces gens-là.
Les surplus de production de dinde étaient envoyés dans les supermarchés. La plus grosse chaîne à l’époque était Dominion, fondée en 1919 à Toronto. C’est dans ces épiceries que les gens trouvaient les dindes, qui étaient beaucoup moins chères que les oies entières, alors beaucoup plus traditionnelles.
C’était un gros acheteur, donc avec un prix bien inférieur, indique M. Lambert. Petit à petit, la dinde, à cause du prix, a remplacé l’oie.
Guidées par le portefeuille et par les publicités à la télévision, les familles québécoises ont donc commencé à faire rôtir des dindes entières pour nourrir les convives lors du réveillon.
Cette nouvelle habitude s’est transformée en tradition… jusqu’à la fin des années 2010, à peu près. C’est à ce moment que les ventes de dindes entières à rôtir, qu’on appelle « petites dindes » dans l’industrie, se sont mises à chuter.
Pendant 12 ans, on a dû se réinventer, explique Pierre-Luc Leblanc, président de l’Association des éleveurs de volailles du Québec. Le marché de la transformation a pris plus de place, avec des oiseaux plus gros pour s’assurer que les transformateurs puissent faire de la découpe, de la poitrine, de l’escalope. Les familles cuisinaient moins aussi, donc on faisait des produits prêts à manger.
La pandémie et les petites petites
dindes
Depuis la pandémie, les gens se remettent à cuisiner, un phénomène bien documenté qui a eu des effets dans tout le secteur agroalimentaire. Selon M. Leblanc, les ventes de dindes entières reprennent, même si les petites dindes sont devenues des petites, petites dindes
, dit-il en riant. En effet, la taille des oiseaux est passée de 6,5 kg à environ 4 kg, en réponse à la demande des familles qui sont aujourd’hui beaucoup moins nombreuses.
« On voit l’engouement. Ça nous encourage. »
Sauf que ce changement ne s’est pas fait du jour au lendemain. Élever un oiseau de 16 kg ne demande pas les mêmes infrastructures que l’élevage d’une dinde plus petite. Sous gestion de l’offre, la production de volaille au Canada doit prévoir la demande et s’adapter aux changements, parfois rapidement.
Les gens ont pris l’habitude de cuisiner, il faut en tirer bénéfice. Il faut s’assurer qu’on est sur les tablettes et que les gens sont intéressés à les manger
, continue M. Leblanc.
Cette recherche de réconfort et ce retour de ce qui est perçu comme traditionnel n’a rien de surprenant : la nourriture a fait office de refuge durant les temps difficiles que la pandémie nous a fait vivre.
Pénurie de dindes à Noël en 2023?
Quand une pandémie fait fermer les restaurants et les établissements qui achètent de la dinde ou qu’une grève paralyse les deux abattoirs où 96 % des dindes du Québec sont abattues(Nouvelle fenêtre), l’adaptation devient une question de survie.
C’est le constat auquel s’est rendue l’association que représente Pierre-Luc Leblanc : Ça a été tragique, la grève. Les employés ont bien négocié. Mais avec la grève, la COVID-19, on a été confrontés à quelque chose qu’on n’avait pas vu venir. [...] Qu’est-ce qui nous garantit qu’on va être capable de desservir le marché? On ne voudrait pas qu’à Noël 2023, il n’y ait pas de dinde sur les tables.
M. Leblanc affirme que son association entame des réflexions
sur la diversification des abattoirs. Des retards sont encore causés par les perturbations de la dernière année, et d’autres embûches sont encore à venir. Notamment le prix qui, comme tous les aliments, est à la hausse.
Mais Pierre-Luc Leblanc voit l’avenir positivement : Il se développe une tradition à l’Action de grâce, à Noël, à Pâques, de manger de la dinde. On va augmenter notre production.