On s’imagine le parfait contexte pour profiter d’un verre de rosé : la visite vient d’arriver, on sort la bouteille très froide sur le bord d’une piscine hors terre et on boit sans trop y penser. Le sommelier Minh Doan croit toutefois que ce type de vin peut offrir bien plus qu’un simple rafraîchissement estival de qualité douteuse pour enfin occuper la place qu’il mérite dans la haute gastronomie.
Minh me rejoint dans un parc et sort cinq petites bouteilles transparentes de son sac à dos. Numérotées de un à cinq, elles contiennent des vins rosés dont la robe varie d’un rose presque blanc à un rouge pâle et trouble. Déjà, la diversité des couleurs est frappante.
Au fil de la dégustation, je commence à trouver mes repères; il est parfois difficile d’avoir des points de comparaison ou de reconnaître les cépages lorsqu’ils sont travaillés en rosé. La grande différence entre chacun des vins me fait comprendre que les rosés sont des jus à part; on leur accole souvent la mention « fruité », mais ce ne serait pas juste de s’arrêter là.
Un d’entre eux en particulier est étonnant par sa longueur en bouche et sa fine structure tannique. C’est un vin qui peut complimenter un repas très goûteux sans problème. J’apprendrai plus tard avec grand bonheur qu’il s’agit d’un vin québécois à base de frontenac gris, soit le Rosé 2020 de la série de vins nature du vignoble La Bauge.
En fait, Minh m’a proposé trois vins rosés québécois et deux français. Mes préférés ont été ces trois vins nature du Québec, car leur profil complexe, acidulé et digeste me rappelait les vins rouges légers qui attirent le plus mon attention. Les français, plus classiques et aromatiques, n’étaient pas mauvais, mais n’ont pas suscité beaucoup d’émotion chez moi.
« Il y a un parallèle à faire entre les vins québécois et les vins rosés, explique Minh avec un sourire en coin. Pour les deux, il y a du travail à faire afin qu’on les découvre sans préjugés. »
Ce sommelier a notamment participé à l’élaboration de la carte des vins du nouveau restaurant montréalais h3 – bien garnie en vins québécois – et a travaillé au Coureur des bois à Beloeil, dont l’impressionnante cave recèle des trésors insoupçonnés.
Son cours de sommelier à l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec lui a bien sûr donné les bases pour connaître les vins rosés.
Mais c’est lors d’un stage à Georges Blanc, à Vonnas, un restaurant trois étoiles Michelin dans le sud de la Bourgogne, qu’il a compris que les rosés ont leur place parmi les plus grands vins du monde. « Les gens commandaient des vins dont je n’avais jamais entendu parler, des grands rosés, qui sont beaucoup moins populaires au Québec », raconte Minh Doan.
Les appellations Bandol et Côtes de Provence, notamment, s’attiraient les grâces des gastronomes qui visitaient le Georges Blanc.
Aujourd’hui de retour au Québec, le sommelier est d’avis que le public gagnerait à découvrir la polyvalence surprenante des rosés. « En accord avec une viande grillée, même un steak, un rosé apporte de la fraîcheur avec chaque bouchée, affirme-t-il. C’est parfait avec les légumes verts ou avec les fruits de mer comme le homard, avec son côté sucré, presque fruité. »
Tout n’est pas rose
Malgré l’enthousiasme de Minh et d’une poignée d’autres sommeliers et sommelières, le vin rosé fait toujours pâle figure dans les listes de vins des restaurants gastronomiques du Québec. Entre les interminables propositions de rouges, on trouvera parfois un petit nom ou deux dans la colonne « Rosés ». Et pour les rosés de gastronomie, on parle de plusieurs dizaines, voire la centaine de dollars pour une bouteille!
« Si les sommeliers étaient plus audacieux, ils serviraient plus de rosés. Mais c’est risqué pour un client de commander à la bouteille. Tu ne peux pas demander au client de s’engager sur une bouteille de rosé à 100 $ », fait remarquer Minh Doan, qui travaille maintenant dans l’équipe de service du Bouillon Bilk.
L’idéal serait donc de servir plus de rosés au verre dans les accords avec les menus de dégustation à l’aveugle, qui sont assez communs dans les restaurants gastronomiques. Ce contexte permet une plus grande créativité, non seulement au chef, mais aussi à son équipe de sommellerie, qui peut proposer des accords surprenants et non conventionnels.
Minh en rajoute même une couche :
« Je servirais ça aux clients dans un verre noir opaque, pour enlever les préjugés qui viennent avec la couleur du vin. »
Toujours est-il que la démocratisation du vin d’artisan entraîne déjà un renouveau dans le monde de la sommellerie, selon Minh. La clientèle est de mieux en mieux informée et avide de découvertes, de surprises. Les vins rosés deviendront certainement plus communs sur les tables nord-américaines si les gens en demandent et si les équipes de sommellerie savent les vendre.
Les suggestions du sommelier
Minh Doan suggère cinq vins, allant du plus facile d’accès à des bouteilles d’exception.
- Domaine du Vieil Aven Tavel 2020, 19,10 $. « Un rosé plus concentré et de substance, souligne Minh Doan. Dans un profil de vin qui peut aller en accompagnement sur une viande grillée et qui est plus accessible pour les amateurs de rouge. »
- Whispering Angel 2020, Côtes de Provence de la cave d’Esclans (grenache 80 %, cinsault 10 %, syrah 10 %), 26,70 $.
- Château de Pibarnon 2020, dans l’appellation Bandol (mourvèdre 65 %, cinsault 35 %), 42,50 $.
- Domaine Tempier de la famille Peyraud, dans l’appellation Bandol. Offert dans le processus de loterie de la SAQ à 43,25 $. Le millésime 2016 est offert au Coureur des bois. « Il saura convaincre les sceptiques qu’un rosé peut être gastronomique », fait valoir le sommelier.
- Château Simone, dans l’appellation Palette en Provence (grenache 45 %, mourvèdre 30 %, cinsault 5 %, syrah 5 %), environ 65 $ à la SAQ, qui en reçoit des quantités limitées.
Et pour les vins québécois, Minh suggère trois cuvées :
- Rosé 2020 du vignoble Pigeon Hill, environ 25 $.
- Rosé 2020, vignoble La Bauge × Les beaux jus, de 27 à 30 $.
- Farniente 2020, domaine Le Grand Saint-Charles, rosé effervescent, de 30 à 33 $.
Tous ces vins sont élaborés à partir de frontenac gris et sont offerts de manière saisonnière dans les épiceries fines et les marchés spécialisés, ainsi que dans plusieurs restaurants.