Les tomates et les poivrons peuvent pousser sur les toits : le nombre de fermes urbaines, en constante augmentation à Montréal, prouve que le modèle peut prendre racine. Mais qu’en est-il des fruits comme la pêche, le kiwi, ou même le moins connu pawpaw, un fruit ancestral? C’est ce que tente de savoir le Laboratoire d’agriculture urbaine (AU/LAB) en faisant pousser des arbres fruitiers bien loin du sol.
C’est certain qu’un pêcher au sol va produire davantage que sur un toit
, admet Éric Duchemin à propos de la douzaine de pêchers qui poussent en pots dans la ferme sur toit expérimentale du AU/LAB, située sur le toit du Palais des congrès.
La maigre récolte de cette année – à peine une pêche par arbre – n’inquiète aucunement le directeur scientifique du laboratoire. Le jeune âge des pêchers explique qu’ils ne produisent pas encore, mais la productivité n’est de toute façon pas l’objectif de l'expérience.
La première question, c’était de savoir si c’était possible, si les arbres allaient survivre, souligne M. Duchemin. La grande surprise, c’est que tout fonctionne! Je ne m'attendais pas à ce qu'ils passent aussi bien l'hiver.
Toute une section du toit reçoit non seulement des pêchers, des vignes de kiwi, des groseilliers et des vignes à vin(Nouvelle fenêtre), mais aussi des pawpaws, dont le nom officiel est asiminiers trilobés.
Cet arbre de petite taille, endémique de l’est de l’Amérique du Nord, attire le regard avec ses feuilles qui ressemblent à celles d’un avocatier. Ses fruits, appelés asimines, sont semblables à des mangues et ont une chair jaune crémeuse et sucrée aux saveurs de fruits tropicaux.
À l’état naturel, l’asiminier trilobé se trouve surtout au sud des Grands Lacs. Aujourd’hui, les asimines ne se rencontrent guère plus que dans quelques marchés spécialisés de leur région d’origine. Le AU/LAB tente toutefois de les faire pousser au Québec. On cherche des fruits qui ont une valeur ajoutée, par exemple en restauration. On ne voulait pas des pommiers!
s’exclame Éric Duchemin.
Le nerf de la guerre en agriculture urbaine, c’est le ratio entre temps de travail et production. Des fruits comme le pawpaw ou la pêche, impossibles à trouver de production locale, pourraient valoir leur pesant d’or, bien plus que des aubergines ou des laitues, surtout en été, alors que l’abondance règne.
Du toit, il y a en, souligne le directeur scientifique. Maintenant, on veut savoir comment ça peut être viable, comment créer des emplois.
Quand y goûte-t-on?
Les gens qui, comme nous, attendent avec impatience de croquer dans un pawpaw bien juteux venant directement du toit devront prendre leur mal en patience. En plus de devoir attendre la maturité des arbres, il faut patienter, puisque le toit du Palais des congrès sera refait l’année prochaine et les arbres devront être déménagés.
Cela dit, ce fruit incongru intéressera sûrement les restaurants, toujours à la recherche de nouveaux ingrédients à travailler, d'autant plus si son origine est locale, croit M. Duchemin.
Mais le AU/LAB a des projets en branle : l’Esplanade tranquille, au cœur du Quartier des spectacles, accueillera une ferme urbaine l’année prochaine, puis le toit du Palais des congrès redeviendra vert en 2023. Une occasion pour Éric Duchemin de moderniser les installations afin d’atteindre la culture 4.0
. Équiper les systèmes d’irrigation de capteurs permettra une meilleure gestion de l’eau, notamment.
Des aliments, mais encore
L’agriculture urbaine aura besoin d’une bonne poussée pour pouvoir décoller convenablement. On entend souvent dire qu’on a besoin de subventions, donc que le modèle n’est pas viable. Mais d’autres secteurs agricoles sont aussi subventionnés, comme le lait, les œufs, le porc
, souligne M. Duchemin, qui croit que l’apport d’une ferme urbaine sur les toits de la ville ne se limite pas à sa production alimentaire.
L’agriculture urbaine n’a pas de raison d’être si elle n’apporte pas une valeur ajoutée pour la communauté
, fait valoir le chercheur. Les arbres fruitiers pourraient, par exemple, servir de brise-vent pour protéger les autres plantes d’un toit vert, participer au développement de la biodiversité et aider à réduire les îlots de chaleur.
L’agriculture urbaine aura certainement besoin d’investissements, mais on l’a fait pour les terres agricoles quand elles ont été défrichées [il y a deux siècles], alors pourquoi ne pas le faire pour les toits? demande Éric Duchemin. C'est un actif pour la société.