Ann Sperling est tombée dans le vin comme Obélix dans la potion magique. Toutefois, même si sa voie semblait tracée d’avance, elle a appris le métier de vigneronne à la dure, multipliant les emplois et les projets entre la Colombie-Britannique et l’Ontario. Portrait d’un vrai bourreau de travail reconnu comme une pionnière canadienne de la vinification biologique.
D’apprentie à leader : des débuts fulgurants
Ann Sperling est née sur une terre viticole de Kelowna, en Colombie-Britannique. Les principaux sujets de conversation à la table familiale ont toujours tourné autour du raisin et de sa culture. J’ai été exposée à la possibilité d’avoir un avenir dans le vin dès mon plus jeune âge
, dit-elle.
Elle a beau avoir grandi en étant entourée de vignes, le métier de vigneronne est loin de lui être arrivé tout cuit dans le bec. Mes parents étaient des producteurs de raisins, c’est-à-dire qu’ils vendaient toute leur récolte à des vignerons locaux, souligne-t-elle. Pour faire du vin, il m’a donc fallu aller travailler ailleurs et gravir les échelons un à un.
Après des études en agriculture à l’Université de Colombie-Britannique dans les années 1980, Ann Sperling a commencé en bas de l’échelle au Andres Wines, un vignoble près de Vancouver, où la jeune apprentie a eu la chance de gagner beaucoup d’expérience en peu de temps : Même si j’ai une vision plus artisanale de la production du vin, le fait de travailler dans un vignoble de taille industrielle m’a permis de comprendre mon industrie plus en profondeur.
Au début des années 1990, Ann Sperling a poursuivi sa carrière au vignoble CedarCreek, où elle a été nommée viticultrice en chef à seulement 28 ans. Elle avoue d'ailleurs avoir souffert du syndrome de l’imposteur au cours de ses premiers mois dans ce poste de meneuse.
Heureusement, elle a réussi à se débarrasser définitivement de ce sentiment handicapant : lorsque l’une de ses cuvées a reçu les grands honneurs en 1992, la jeune vigneronne s'est sentie en pleine possession de ses moyens.
« Notre merlot a été reconnu dans chaque concours auquel il a participé. C’est à partir de ce millésime 1992 et du succès qu’on a connu que le merlot s’est imposé comme un cépage-phare de l'Okanagan. Ce n’est pas rien! Ça a été une époque foisonnante pour moi. »
Le grand départ pour le Niagara
C’est par un heureux concours de circonstances que la jeune vigneronne s’est envolée pour le Niagara, en Ontario, au début des années 1990. Mon mari travaillait dans le vin au Niagara. Je l'ai suivi, raconte-t-elle. Je n’avais rien de précis devant moi.
À cette époque, le Niagara était une région viticole en pleine émergence et plusieurs vignobles avaient besoin d’un grand coup de main pour se développer. Ann Sperling était au bon endroit au bon moment. Grâce à sa riche expérience à la fois dans les champs et dans le chai, elle a multiplié les contrats et les collaborations.
Elle a fait notamment sa marque au sein de Malivoire, un tout nouveau vignoble fondé en 1995, où elle a piloté jusqu’en 2004 une transition vers l’agriculture biologique. Elle a ensuite été nommée directrice de la vinification et de la viticulture de Southbrook en 2005.
On lui a confié la mission de transformer le vignoble en chef de file canadien de la culture biologique et biodynamique. Ce qu’on a réussi à faire au sein de Southbrook, ça a fait des petits. Depuis cinq ans, il y a une montée formidable pour les vignobles biologiques partout au Canada!
se réjouit-elle.
« Je n’ai pas de préférence entre le terroir de la vallée de l'Okanagan et celui du Niagara. D’abord, on a des périodes de gel assez similaires des deux côtés. Par contre, tandis que le Niagara est assez pluvieux, on doit irriguer la vigne dans l’Okanagan à défaut de quoi on ne pourrait même pas y produire de raisins! Il y a nettement plus d’humidité en Ontario, ce qui vient avec son lot de maladies de la vigne. Bref, chaque région a ses avantages et désavantages, mais une chose est certaine : toutes deux ont de très beaux sols pour cultiver la vigne! »
Le retour au bercail
Malgré son grand succès en Ontario, Ann Sperling n’a jamais oublié d’où elle vient. Quand ses parents ont pris leur retraite, il y a une douzaine d’années, elle a fait équipe avec sa sœur et sa nièce pour changer la vocation de la terre familiale. Depuis, les raisins ne sont plus vendus aux vignobles de la région, mais ils sont transformés en vin sur place par la famille Sperling! Sperling Vineyards a ainsi été fondé en 2008.
« Nos vins certifiés bio sont remplis d’émotions et d’histoire. Nous préconisons les petits lots et nous travaillons de façon très naturelle. J’adore notre riesling, avec ses vignes plantées en 1978 qui sont étonnamment très vigoureuses et qui produisent un vin avec une excellente acidité et qui vieillit très bien. Je suis tout aussi fière de nos effervescents, qu’ils soient faits selon la méthode traditionnelle ou qu'ils aient un pétillant naturel. »
Partageant aujourd’hui sa vie entre l’Ontario, où elle a sa résidence principale, et la Colombie-Britannique, qu’elle visite plusieurs fois par année, Ann Sperling semble aimer son métier comme au premier jour.
J’aime penser que le vin est partie intégrante d’une vie saine, accompagné d’ingrédients locaux et biologiques, à partager avec les amis et la famille. Le vin nous rappelle de profiter des petits moments de bonheur
, fait-elle savoir. Malgré son sens de l’émerveillement qui semble à toute épreuve, la vétérane vigneronne croit qu’il y a encore des progrès à faire au Canada.
Si nos gouvernements fédéral et provinciaux s'entendaient une fois pour toutes pour nous permettre de vendre nos vins en ligne et de les livrer partout au Canada, et si nos médias nationaux considéraient enfin notre industrie comme fondamentale pour notre culture, pour l’économie et le tourisme, ce serait de grands pas en avant!
lance Ann Sperling. Le message est lancé.
Feux de forêt en Colombie-Britannique : inquiétude pour les raisins
Les feux de forêt qui font rage en Colombie-Britannique ont de quoi inquiéter les vignerons et vigneronnes de la région, qui espèrent que leurs vignes seront épargnées. Selon Ann Sperling, on ne rapporte toujours aucun dommage pour les vignes dans la région immédiate de Kelowna, où se trouve son vignoble familial.
Pour l’instant, la fumée des incendies ne cause que de la brume et ne laisse pas tomber de cendres, ce qui est la grande préoccupation pour éviter à tout prix l'odeur de fumée dans le vin
, explique-t-elle. Cette situation est à surveiller de très près, car si les incendies s'aggravent ou se rapprochent de Kelowna, évidemment, l'inquiétude des vignerons augmentera
.