Depuis l’arrivée du printemps, Lucette Lulu Turgeon a cueilli des têtes de violon, du tussilage, des pissenlits, des boutons de marguerite, des fleurs de mélèze, ainsi que des fleurs de thé du Labrador. Elle nettoie, équeute, déshydrate et cuisine chaque herbe, feuille et fleur afin de créer les savoureux petits pots de Lulu.
Vendredi dernier, je suis allée ramasser des fleurs de thé du Labrador dans une tourbière située sur la Rive-Sud de Québec avec Lulu, un petit bout de femme vaillante et énergique qui cueille et transforme des aromates issus de la forêt depuis sa jeunesse.
Si je t’amène dans mon spot, il faut qu’il reste caché
, me signale Lulu à notre arrivée. Pas question de dévoiler le lieu où nous sommes, car ce secret est le nerf de la guerre dans son secteur de production. C'est une tourbière publique dans Chaudière-Appalaches.
Née dans le Témiscamingue, dans le modeste village de Rollet, Lulu a passé son enfance dans la forêt. Elle se sent ici comme dans un terrain de jeu. Quand j’étais enfant, probablement comme tous les enfants de ma génération, j’allais cueillir des petits fruits dans la forêt
, raconte-t-elle, alors que nous marchons sur de la tourbe spongieuse à la recherche des pompons
de fleurs blanches. Le plaisir de la forêt m’a toujours été étampé au cœur.
Forêt tinctoriale
Tisserande de métier, elle s’est longuement intéressée à la teinture végétale qui l’a amenée de nouveau vers la forêt, afin de mettre la main sur des racines, des baies, des feuilles et des bois de plantes tinctoriales dans le but de colorer de façon naturelle les fils de coton de son métier à tisser.
Celle qui a participé au développement et à la fondation du quartier Petit Champlain et qui a été la présidente fondatrice du salon des artisans Plein Art en 1981 a tout appris de la cueillette des produits forestiers comestibles grâce aux livres de Gisèle Lamoureux. Cette dernière est une botaniste réputée pour ses ouvrages qui font référence dans la connaissance et l’identification des plantes sauvages du Québec.
À ce moment-là, Internet n’existait pas
, souligne l’artisane. Je devais lire beaucoup pour bien m’informer afin de bien faire l’identification. Ses livres m’étaient très précieux et je les traînais partout, car je cherchais à l’époque la matière tinctoriale des plantes
, poursuit celle qui a aussi enseigné la teinture végétale. C’est là que je me suis aperçue que [les plantes, les fleurs et les herbes] étaient souvent toutes bonnes à manger.
« Je ne suis pas commerciale, je ne suis pas industrialisée, je suis encore dans ma cuisine à petite échelle. C’est exactement comme ma mère faisait dans sa cuisine. »
Pendant plus de 20 ans, Lulu a fait des confitures et des gelés à partir de ses trouvailles forestières pour sa consommation personnelle. Puis, elle en a offert à des amis en cadeaux d’hôtesse. Ce sont eux qui ont suggéré de vendre ses créations dans les marchés publics.
Quelque peu incrédule face au potentiel commercial de ses créations, l’aventurière touche-à-tout a tenu kiosque pour la première fois à Val-Bélair en juin 2012. Elle plongeait une minuscule cuillère de plastique dans ses petits pots de vitre et faisait déguster ses créations à qui le voulait bien.
Quand j’ai vu la satisfaction des gens lorsqu’ils goûtaient et qu’ils découvraient des aliments de la forêt qu’ils ne connaissaient pas, je n’en revenais pas. Et à la fin de cette première expérience, j’ai pu me payer un voyage avec mes cueillettes, alors j’ai continué
, poursuit Lulu, qui s’est offert un voyage à Paris avec le fruit de ses ventes.
« J’en ai scrapé des créations, mais il n’y a rien de sorcier là-dedans. C’est complexe et il y a des éléments qui doivent se mélanger ensemble pendant un temps donné pour une quantité donnée et tu ne peux pas déroger de ça. Ensuite, c’est une question de laisser la forêt s’exprimer et ça, ça me fait vraiment plaisir. »
Sans le savoir, Lulu devenait alors une précurseure dans la transformation des produits comestibles de la forêt du Québec. C’est à ce moment-là qu’on s’est rencontré pour la première fois. C’est avec ses gelées de sapin et de cassis, une production de baie très marginale à l’époque et un ingrédient inconnu dans l’assiette, que j’ai fait mes premières chroniques à la télévision. Elle ne s’attendait pas du tout au succès qui allait s’en suivre.
Une retraite occupée
Lulu est une retraitée qui aime les gens. En plus de tenir kiosque dans les marchés saisonniers de la capitale nationale environ 70 jours par année, celle qui souffle 75 chandelles travaille aussi à temps partiel comme placière au Palais Montcalm.
Je veux me garder occupée tout en rendant accessible la forêt. Je n’en vivrais pas si je devais uniquement faire ça, mais c’est le bonheur total pour moi. Mais, il n’y a pas personne qui va m’obliger à le faire non plus
, souligne-t-elle avec aplomb et un rire fort attachant.
Malgré les nombreuses demandes pour offrir ses produits en épicerie, la femme d’affaires refuse de vendre ailleurs que dans de petits commerces locaux. Ça permet un meilleur contrôle de la qualité et un meilleur service à la clientèle
, souligne l’entrepreneure, qui fut propriétaire de la boutique Les Tissages Coteline, une boutique qui a eu pignon sur rue dans le Petit Champlain jusqu’en 1987.
Lulu collabore aussi avec d’autres artisanes de la région de Québec comme Catherine Dionne-Foster de la brasserie artisanale La Korrigane. L’été dernier, La Melaina, une triple belge au miel, fut élaborée avec les fleurs de sureaux cueillies à la main par Mme Turgeon.
Si c’est dans les petits pots que se trouvent les meilleurs onguents, on retrouve dans les petits pots de Mme Lulu une importante dose de plaisir dont regorgent nos forêts. Les produits qu’elle cueille de ses mains de façon respectueuse pour la ressource font rayonner la richesse d'un des plus importants et encore trop méconnu garde-manger du Québec.
Finalement, on retrouve beaucoup de notre identité culinaire dans les créations de Mme Lulu, aussi petites soient-elles.
Les petits pots de Lulu
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