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Véronique Dalle : sommelière de l’année

par  Elizabeth Ryan

Véronique Dalle a gagné le laurier 2021 de la sommelière de l’année | Photo : Dominique Lafond

« Véronique Dalle, c’est la grande dame de la sommellerie au Québec. Elle a formé toute une génération de sommeliers. Et elle est reconnue pour sa grande humilité. » C’est avec ces mots fort élogieux que Véronique Rivest, la présidente du jury des Lauriers de la gastronomie québécoise, a présenté la lauréate 2021 dans la catégorie de la sommelière de l’année.

Ce qui est remarquable chez cette sommelière de 20 ans de carrière, c’est qu’elle est amoureuse de son métier comme au premier jour. J’ai trouvé mon match émotif et intellectuel dans le monde du vin. La sommellerie répond à tout ce que j’ai besoin de combler comme être humain : un besoin d’échange, de partage, de rencontre. C’est encore à ce jour aussi stimulant [qu’à mes débuts] de travailler dans ce milieu-là.

Retour sur la carrière foisonnante de celle que ses pairs surnomment affectueusement « la sommelière des sommeliers ».

La musique mène à tout, même au vin

À part un père restaurateur et une grand-mère hôtelière, rien ne destinait Véronique Dalle à cette brillante carrière dans le monde du vin. Au début des années 2000, la hautboïste de formation universitaire rêve d’une vie de musicienne. Comme le font nombre de jeunes artistes, elle arrondit ses fins de mois avec un emploi de serveuse dans les restaurants.

« Tant qu’à être obligée de travailler en restauration pour gagner ma croûte, aussi bien le faire de façon stimulante et créative! Le vin pour moi, c’est la stimulation des sens qui rejoint beaucoup mon côté artistique. »

— Une citation de  Véronique Dalle, sommelière

Parallèlement à ses activités de musicienne pigiste, Véronique Dalle s’inscrit à un cours de sommellerie à l’Institut de tourisme et d'hôtellerie du Québec. Tout déboule. Dans le vin, toutes les portes se sont ouvertes naturellement pour moi. À un moment donné, j’ai été forcée de choisir entre la musique et le vin. J’ai choisi la sommellerie. On connaît la suite.

Les années Pullman

C’est au Pullman, un bar à vin mythique de Montréal, que la carrière de Véronique Dalle prend véritablement son envol. Mes patrons de l’époque, Catherine Bélanger et Bruno Braën, ont eu de l’audace d’engager une jeune sommelière fraîchement sortie de l’école avec pratiquement aucune expérience. Ils m’ont donné non seulement carte blanche, mais aussi un budget incroyable pour bâtir ma carte des vins de rêve.

Le Pullman est rapidement devenu un point d’ancrage à Montréal pour la visite de plein de personnalités internationales de passage. On a reçu énormément de vignerons. Je suis reconnaissante pour ces années stimulantes qui ont porté ma carrière.

Particulièrement fidèle, Véronique Dalle dirige l’équipe de sommellerie du Pullman une bonne douzaine d’années. De loin mon expérience professionnelle la plus marquante, dit-elle. C’est grâce au Pullman que je me suis fait un nom dans le monde du vin.

En 2016, Véronique se sent mûre pour de nouvelles aventures. Elle s’associe au duo fondateur du Pullman pour ouvrir le restaurant Moleskine, une pizzéria réinventée qui connaît un beau succès. Or, Véronique Dalle ne se sent pas à sa place comme entrepreneure et elle quitte le bateau.

« Mon passage en entrepreneuriat m’a fait réaliser que je suis vraiment une sommelière, que la salle à manger et le service en profondeur me manquaient terriblement. Ce que je veux, c’est transmettre ma passion pour le vin, que ce soit aux clients ou à mes étudiants. »

— Une citation de  Véronique Dalle

Depuis, Véronique Dalle est retournée à ses premières amours en devenant sommelière et directrice du restaurant montréalais Foxy. Elle a également fait un retour à l’enseignement, comme professeure en sommellerie à l’École hôtelière de Laval.

Avant-gardiste du vin nature

Véronique Dalle a découvert les vins naturels au début des années 2000 lors d’un stage à Gaillac, en France, réalisé en marge de ses études en sommellerie. À l’époque, ce type de vin sans artifice était loin de faire courir les foules comme c’est le cas aujourd’hui. Pour Véronique et son palais, c’est un point de non-retour.

De retour à Montréal, elle devient l’une des premières sommelières sinon la première à bâtir une carte mettant en valeur ces vins audacieux. Mon approche axée sur les vins nature, c’était plutôt nouveau à l’époque du Pullman. Les gens achetaient le vin qu’on leur conseillait dans un guide du vin ou ils achetaient une étiquette réputée. Aujourd’hui, ça a beaucoup changé.

Un vin nature, quand il est bien fait, est éclatant, il a plus de lumière, quelque chose de vibrant et plus près de l’humain. C’est un polaroid beaucoup plus exact qui révèle le lieu dont il provient. J’aime son côté plus digeste, la grande buvabilité et la fraîcheur.

Véronique Dalle est toujours aussi passionnée par son métier
Véronique Dalle est toujours aussi passionnée par son métier  | Photo : Dominique Lafond

Un vin doit-il être naturel à tout prix pour mériter l’attention de la sommelière Véronique Dalle? C’est une grande question. Je reconnais que des vins qui ne sont pas naturels peuvent aussi être excellents. Le secret, c’est qu’il faut goûter avant de se faire une tête, et savoir reconnaître les défauts dans un vin. Par exemple, le goût de souris ou de volatile de certains vins naturels n’est pas normal. Il faut faire attention aux modes et à ce qu’on voit sur Instagram.

Une sommelière engagée pour la relance de son industrie

La pandémie a offert à Véronique Dalle une pause salutaire qui lui a permis de prendre du recul sur son métier et d’amorcer une réflexion sur l’avenir.

J’ai plus envie que jamais d’être sommelière, c’est comme si je recommençais à zéro, et j’ai hâte de voir mes clients, dit-elle. Par contre, à 47 ans, le temps est venu de commencer à me demander à quel moment il faudra me retirer du plancher, faire une transition sereine vers autre chose. J’ai le goût d’explorer davantage les différentes facettes de ma carrière : l’enseignement, la consultation, et peut-être travailler plus près des vignerons. Mais on va devoir m’enlever du plancher avec une grue, c’est sûr!

Heureusement, Véronique Dalle peut compter sur l’appui indéfectible de ses actuels patron et patronne, Éric Girard et Dyan Solomon. Celle-ci qui a par ailleurs remporté le prestigieux Laurier 2021 dans la catégorie de la chef de l’année. Mon employeur actuel et moi, on partage les mêmes grandes valeurs. Dyan est une femme visionnaire et humaine qui apporte quelque chose de très positif dans notre industrie.

Véronique Dalle est bien consciente que le secteur de la restauration, une « communauté d’artistes et d’artisans » qu’elle chérit tant, fait face à d’immenses défis.

On est chanceux d’évoluer au Québec avec une grande ouverture pour les femmes sommelières. Mais avoir des enfants, ce n’est pas évident en restauration. Moi, je n’en ai pas eu, mais plusieurs de mes employées en ont eu, et c’est un enjeu qui me préoccupe, dit-elle. Il y a aussi l’équité salariale. Pourquoi le serveur peut-il se payer un voyage en Europe quand le cuisinier a de la misère à aller en camping?

Forte de sa riche expérience au sein d’établissements montréalais réputés, la lauréate du Laurier de la sommelière de l’année est déterminée à faire partie de la solution et à s’engager pour être reconnue comme une actrice de changement dans le milieu de la restauration. Je continue mon chemin, plus énergisée que jamais! Ne reste plus qu’à lui souhaiter un bon vent, et du bon vin!

Véronique Dalle a gagné le laurier 2021 de la sommelière de l’année | Photo : Dominique Lafond