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Québec a annoncé mardi que les terrasses des restaurants pourront rouvrir à l’échelle de la province dès le 28 mai. | Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Entre inquiétude et excitation, les chefs et les propriétaires de restaurants disent ressentir la pression qui vient avec la grande réouverture de leurs établissements, le 28 mai, annoncée par le premier ministre mardi dernier. Pour plusieurs, ce sera bientôt le moment de tester les leçons apprises à la dure au cours des 14 derniers mois.

J’essaie de voir le côté positif, mais honnêtement, je trouve ça plus stressant qu’autre chose, mentionne Cédric Charron, chef du restaurant Umami Ramen, à Montréal. 

En plein dans la préparation de sa terrasse, rue Saint-Zotique à l’angle de Clark, et de sa cour arrière, le chef anticipe l’été qui arrive et la clientèle qui reviendra certainement s’asseoir pour manger ses ramens végétaliens. Je ne sais pas s’il va y avoir tant de monde indulgent, il va falloir être vraiment tight, dit-il. Les clients vont être sévères, c’est comme si on ouvrait un nouveau restaurant.

La main-d'œuvre saisonnière, notamment au service, a pâti de la pandémie. Plusieurs personnes qui travaillaient à l’avant du restaurant ont d’ailleurs quitté le domaine. M. Charron signale qu’il n’a pas eu de difficulté à recruter, mais que la formation nécessaire à la connaissance de sa carte de sakés, qui contient pas moins d’une cinquantaine de bouteilles, va être longue.

Cédric Charron souligne que de recruter une personne et de devoir ensuite la renvoyer chez elle s’il pleut et que la clientèle boude la terrasse, par exemple, le dérange. C’est plate pour les employés à temps partiel, qui sont, pour la majorité, des emplois pendant l’été, juge-t-il. C’est encore eux qui vont écoper.

Au restaurant gastronomique La Tanière3, à Québec, le chef François-Emmanuel Nicol paraît encore marqué par l’ouverture bâclée du mois de mars dernier. Il avait alors passé trois semaines à élaborer son menu à la hâte avant d’être obligé de fermer... la veille de son ouverture prévue, devant la hausse des cas dans sa région.

Le chef souligne aussi que son équipe en cuisine est composée de beaucoup de nouveaux visages. Ce n’est pas du monde que j’ai pris à reculons, mais sur mon équipe de 12, il y en a 5 qui ont réellement vécu la Tanière ouverte, dit-il.

C’est notamment la raison pour laquelle il a choisi de faire les choses progressivement. De rouvrir sans couvre-feu, ça va nous permettre d’étaler les réservations, de bien faire les choses. On va avoir de 2 à 3 clients par employé, explique-t-il. Cet été, on va amener le resto encore plus loin, avec un service plus poussé, des présentations plus complexes. Cet automne, tout va prendre son sens.

« Ce qui nous fait mal, c’est l’avance-recul, avance-recul. Mais cette fois-ci, ça devrait être la bonne. »

— Une citation de  François-Emmanuel Nicol, chef

C’est sûr qu’on parle d’un milieu qui est pas mal dernière minute », souligne avec humour Antonio Park, chef propriétaire du Park Restaurant, à Montréal. « Si tu rentres chez nous et que tu me demandes un filet mignon, je peux aller direct dans ma cuisine t’en faire un. Mais une terrasse, ça ne se fait pas à la dernière minute!

On ne sait même pas si les [matériaux] sont là dans les magasins de construction, fait-il remarquer. C’est comme pour le Plexiglas, tout le monde l’a fait en même temps!

Malgré le sentiment d’incertitude qui habite plusieurs personnes, Antonio Park est optimiste. Moi, j’encourage tout le monde à bouger, à faire le plus vite possible, dit-il.

« Ce n’est pas le temps de rester à la maison. Allez-y, il faut y aller. »

— Une citation de  Antonio Park, chef

Le chef du Park a réussi à garder une bonne partie de son personnel, même au pire de la pandémie, en créant son propre service de livraison. Par contre, beaucoup de monde a changé de carrière, souligne-t-il. Je les comprends. Absolument. Est-ce qu’ils vont revenir? Je ne pense pas. Mais pour ceux qui reviennent, la porte est ouverte.

Les leçons

Depuis deux mois, Antonio Park se prépare à une réouverture et à l’éventualité d'enfin ouvrir une terrasse. C’est une des plus grandes leçons, dit-il, qu’il a apprises durant la pandémie. L’affaire la plus importante, c’est de penser en avance, d’organiser en avance, raconte-t-il.

Il y voit aussi une bonne occasion pour les gens qui voudraient démarrer une carrière en restauration. C’est le temps de faire votre demande, vous pouvez même choisir votre restaurant, explique M. Park. C’est le monde à l’envers!

Véronique Rivest, du Soif Bar à vin, à Gatineau, se permet aujourd’hui de tirer des apprentissages de sa dernière année mouvementée. Ça nous a permis d'avoir du recul, de repenser la façon de travailler, dit-elle. Des choses qu’on a instaurées dans le service, auxquelles on n’aurait même pas pensé avant.

Au-delà de la réorganisation de son bar à vin, elle a dû se battre pour changer le type de permis qui régissait son établissement, afin de devenir un restaurant et de pouvoir rester ouvert malgré les mesures sanitaires.

La sommelière primée à l’international ne mâche pas ses mots envers les associations de représentation politique de l’industrie de la restauration. Il y a tellement de nouveaux comités qui se sont mis sur pied dans la dernière année, ça montre qu’on n’était pas bien représentés, dit-elle, citant en exemple la Nouvelle association des bars du Québec, née durant la pandémie.

On a réalisé plein de choses, entre autres en ce qui concerne les associations professionnelles qui nous représentent, continue Mme Rivest. 

J’étais verte de colère à l’ouverture, au mois de mars 2021, raconte-t-elle. Je n’avais pas le choix d’ouvrir, si je ne les prenais pas, mes employés allaient partir. Mais on aurait dû ouvrir un mois plus tard, et que ça soit pour de bon.

« Quand l’Association Restauration Québec a commencé à faire des demandes au gouvernement pour l’ouverture des restaurants au mois de mars, je me suis dit : "Vous représentez qui, vous? Les Saint-Hubert du Québec?" »

— Une citation de  Véronique Rivest, sommelière et propriétaire du Soif bar à vin, à Gatineau

Les lois encadrant la vente d’alcool et les permis de bars sont également dans sa ligne de mire. On nous prend pour des criminels, dès qu’on prend un permis de bar, la GRC débarque chez nous. D’où la logique qui faisait qu’on n’avait le droit à aucune mesure d’aide! On n’est plus dans les années 20; Al Capone, c’est fini là!

Mme Rivest attend donc avec impatience la révision des lois sur l’alcool au Québec. Si on pouvait avoir 20 ou 30 % de réduction sur le prix qu’on paie à la SAQ, puisque nous sommes des revendeurs et qu’on achète en gros… on a les mains liées à cause de la mauvaise profitabilité.

Elle souhaite aussi que la clientèle soit prête à payer davantage pour le vin et la nourriture. Ça me brise le cœur quand les gens critiquent le prix, fait savoir Véronique Rivest. Si on était cher, on ferait du profit.

Le retour

Malgré les défis, beaucoup de chefs sont enthousiastes à l’idée de présenter les nouveautés qui se sont glissées dans les menus en prévision de la réouverture des terrasses. 

Cédric Charron, d'Umami Ramen, veut introduire un jaune d’œuf végane, une création dont il est bien fier, dans ses ramens, ainsi qu’un nouveau menu de dégustation.

François-Emmanuel Nicol, lui, explique avec enthousiasme que son nouveau menu de bouchées sera fait de divers éléments tirés des arbres du Québec. Son restaurant éphémère de barbecue, situé place de Paris, à Québec, sera en marche tout l’été.

Antonio Park veut pour sa part continuer à mettre en valeur les produits de la mer du Québec. Le crabe à carapace molle, le crabe des neiges, le homard, énumère-t-il. Ce sont des produits québécois qu’on a besoin de soutenir, de donner la chance au monde de connaître.

C’est le temps d’aider, dit M. Park. Tout le monde a besoin d’un coup de main, on a une chance de s’aider entre nous.

Parions que l’été 2021 sera un été culinaire!

Québec a annoncé mardi que les terrasses des restaurants pourront rouvrir à l’échelle de la province dès le 28 mai. | Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers