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L'immense défi de cuisiner 40 000 portions avec de la bouffe donnée

par  Alexis Boulianne

Le projet des Cuisines Solidaires, qui a pris naissance durant le premier confinement, au mois de mars 2020, a été pensé pour répondre à trois problèmes majeurs qui ont frappé le domaine de l’alimentation au Canada. - Radio-Canada / Alexis Boulianne
Le projet des Cuisines Solidaires, qui a pris naissance durant le premier confinement, au mois de mars 2020, a été pensé pour répondre à trois problèmes majeurs qui ont frappé le domaine de l’alimentation au Canada.  | Photo : Radio-Canada / Alexis Boulianne

Des chefs et des bénévoles se réunissent depuis plusieurs semaines à l’école de cuisine de La Tablée des Chefs, à Longueuil. Leur but? Cuisiner des dizaines de milliers de portions pour les banques alimentaires, qui ont plus que jamais besoin d’aide.

L’espace de La Tablée des Chefs à Longueuil, qui accueille normalement des cours de cuisine, bourdonne d'activité en ce vendredi matin. L’ambiance est enjouée. Parmi les bénévoles, on se lance des blagues en effectuant le travail répétitif de remplissage des plats. 

Sur les longs comptoirs de bois et les cuisinières domestiques, des bacs remplis de poulet et de légumes et une quantité impressionnante d’œufs s’entassent avant que les aliments, une fois cuits, soient transférés dans des plats d’aluminium. Les chefs, de leur côté, surveillent d’un œil attentif le riz qui est en train de cuire à gros bouillon comme des pâtes.

Laurence Lavoie-Tremblay, chef de La Tablée des Chefs à Montréal et à Longueuil, saisit la balle au bond. Puisque les équipements de cuisine domestique dont dispose La Tablée à Longueuil ne permettent pas de faire certaines opérations qui sont possibles dans des cuisines institutionnelles, l’adaptation est le mot d’ordre. 

Il a fallu se réinventer pour trouver des manières de cuire le riz. Ça a pris une bonne semaine ou deux pour arriver au résultat optimal, parce qu’on met beaucoup d’amour dans ce qu’on fait , dit la chef.

« On a des petits fours domestiques, des petites casseroles, et on produit quand même de 4000 à 5000 portions par semaine. Mais on est vraiment au maximum de notre capacité! »

— Une citation de  Laurence Lavoie-Tremblay, chef de la Tablée

Le projet des Cuisines Solidaires, qui a pris naissance durant le premier confinement, au mois de mars 2020, a été pensé pour répondre à trois problèmes majeurs qui ont frappé le domaine de l’alimentation au Canada. 

Le personnel des restaurants fermés était sans emploi, les systèmes alimentaires étaient chamboulés et généraient une quantité ingérable de surplus, et les banques alimentaires étaient submergées par les demandes. 

Les entreprises qui produisent des légumes, de la viande, des œufs, du lait et d’autres denrées comme des sauces et des épices se sont alors tournées vers La Tablée des Chefs pour écouler leurs stocks en surplus. On a ensuite recruté les chefs et leurs brigades en plus de réquisitionner leurs cuisines pour transformer ces aliments bruts en plats prêts à manger, qui sont ensuite envoyés aux banques alimentaires.

Les banques alimentaires comme celles de l’organisme des Moissons nous servent de transmetteurs et vont redistribuer les repas aux plus petits organismes , explique Laurence Lavoie-Tremblay. 

On avait déjà des liens avec ceux et celles qui distribuent et qui produisent la nourriture, avec toute la chaîne alimentaire en fait, raconte Florence Roy-Allard, directrice du volet Nourrir à La Tablée des Chefs. L’objectif des Cuisines Solidaires, c’est de rassembler tout ce beau monde-là pour aider la communauté, qui vit des moments difficiles.

Le chef Philippe Diomar se dit pour sa part enchanté de faire partie des Cuisines Solidaires. Ça se passe vraiment bien entre les chefs et les bénévoles, affirme-t-il. Quand je vois le nombre de plats que nous sortons par jour, c’est exactement le but que je voulais me fixer. Je faisais déjà personnellement ma part, mais j’ai trouvé le moyen de multiplier, voire de tripler mon objectif.

Le chef Philippe Diomar vient travailler deux jours par semaine durant les Cuisines solidaires.
Le chef Philippe Diomar vient travailler deux jours par semaine durant les Cuisines solidaires. | Photo : Radio-Canada / Alexis Boulianne

« Dans nos communautés, il y a des personnes qui mangent mal et d’autres qui gaspillent. Ce que j’espère, c’est que la demande [pour l’aide alimentaire] diminue, mais nous voyons bien que ça augmente. »

— Une citation de  Philippe Diomar, chef

En effet, Statistique Canada estimait cet été qu’une personne sur sept a souffert d’insécurité alimentaire au pays. Les banques alimentaires, comme celles des Moissons, rapportaient cet automne une augmentation marquée des demandes(Nouvelle fenêtre).

En parallèle, le phénomène du gaspillage alimentaire attire de plus en plus l’attention depuis quelques années. On sait aujourd’hui que chaque personne au Canada jette 79 kg de nourriture par année(Nouvelle fenêtre), loin devant les États-Unis. Une étude estimait en 2019 que 11,2 millions des 35,5 millions de tonnes métriques de nourriture gaspillées chaque année au Canada pourraient être récupérées.(Nouvelle fenêtre)

Le temps d’agir

En cette deuxième année d’existence des Cuisines Solidaires, le contexte de l’industrie de la restauration a changé : de nombreux restaurants ont rouvert leurs cuisines durant l’été pour relancer la préparation de repas pour la livraison ou pour emporter, et beaucoup de membres des brigades ont regagné leur emploi. Qui plus est, les systèmes alimentaires se sont réorganisés et certains partenaires ont cessé d’approvisionner les Cuisines Solidaires en denrées.

Beaucoup de restaurants qui ont participé aux Cuisines Solidaires la première année ont donc repris leurs activités habituelles. Leur absence n’a pourtant pas nui à l’opération de préparation de repas. Évidemment, on a moins de cuisines qui y participent, mais le Centre Bell et des hôtels comme le Fairmont sont là, explique Laurence Lavoie-Tremblay. Eux, ils ont des centres de conférence immenses avec des tables; eux, ils produisent 10 000, 20 000 portions par semaine.

Philippe Diomar, lui, offre deux jours de sa semaine aux Cuisines Solidaires. En tant que chef, il est payé pour ses services, ce qui lui permet de se donner au maximum. À l’instar d’autres chefs qui ont senti l’appel du devoir, M. Diomar se sent utile à sa communauté. Il est temps d’agir plus que de parler , souligne-t-il en retournant travailler.

Le projet des Cuisines Solidaires, qui a pris naissance durant le premier confinement, au mois de mars 2020, a été pensé pour répondre à trois problèmes majeurs qui ont frappé le domaine de l’alimentation au Canada.  | Photo : Radio-Canada / Alexis Boulianne