C’est la saison de la pêche du flétan de l’Atlantique, mon poisson préféré pêché dans l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent. Issu d’une pêche durable et respectueuse de l’environnement, ce poisson de fond à la chair floconneuse d’un blanc immaculé s’adapte à toutes sortes de cuissons. Aujourd’hui, le chef copropriétaire du bistro boréal Chez Boulay, à Québec, Arnaud Marchand, m’accueille en cuisine afin d’explorer le potentiel gastronomique de ce trésor de notre garde-manger sauvage.
Rue Saint-Jean, à Québec, le chef Arnaud Marchand exploite, dans un bistro contemporain, le potentiel gastronomique du Québec.
Sa cuisine est hyperlocale et entièrement élaborée à partir d’ingrédients issus du vaste territoire comestible du Québec et dont la transformation est contrôlée de A à Z en cuisine.
Voilà quelques minutes à peine, un flétan de l’Atlantique de 70 livres a fait son apparition en cuisine. Rapidement déposé sur sa table de travail, sa fraîcheur est vérifiée par le chef Marchand, qui observe la couleur des ouïes et la fermeté de la chair.
« Quand on sait d’où ça vient, ça, c’est l’avantage », dit-il. « Je sais quand il a été pêché, celui-ci, car on a un contact direct avec nos fournisseurs. On y va aussi au gré des pêcheurs. On ne peut pas passer une commande et dire je veux tel poisson. On s’adapte à la pêche qui est prise. »
« J’aime vraiment travailler le poisson autant cru que cuit. C’est le jeu qu’on a avec le poisson lorsqu’on le reçoit frais. On récupère les parties les moins nobles et on s’amuse avec. »
Le flétan est un poisson plat, un des plus grands au monde. Son nom scientifique impose d’ailleurs le respect : Hippoglossus hippoglossus. Malgré son poids, c’est un poisson facile à apprêter.
Une ligne naturelle longe la peau en plein milieu du corps, de la tête à la queue. C’est le point de repère du cuisinier pour diriger son couteau et ainsi lever quatre filets.
Avec les parties plus filandreuses du poisson situées plus près de la queue, la brigade en cuisine prépare notamment des rillettes de flétan.
Un peu plus haut vers la partie centrale du filet, le chef coupe une pièce destinée à la préparation d’un ceviche, une spécialité sud-américaine élaborée à partir de poisson cru mariné. Au lieu d’utiliser des agrumes comme le veut la tradition, Arnaud misera sur l’acidité du jus de canneberge afin de « cuire » ses tranches de flétan et ainsi ajouter de la personnalité à son doux parfum naturel.
Du bon stock
Depuis quelques années, le Saint-Laurent regorge de flétan. On retrouve l’espèce près de Terre-Neuve, du Groenland, ainsi que plus au sud, vers la Nouvelle-Écosse.
Le biologiste et professeur à l’Institut des sciences de la mer de Rimouski Dominique Robert observe l’évolution de l’espèce dans les eaux de l’estuaire du golfe du Saint-Laurent depuis près d’une décennie. Pour lui, le flétan est une espèce fascinante, qui impose le respect.
Ce titulaire de la Chaire de recherche en écologie halieutique, qui vise à valoriser les pêcheries maritimes par l’étude de l’écologie des espèces à l’aide de technologies de pointe, m’explique que la population est en très bonne santé dans les eaux canadiennes et que selon lui, la dynamique des stocks est tout aussi belle.
« C’est un des poissons qui a très bien profité du réchauffement des eaux de la zone atlantique », explique M. Robert au bout du fil. « Il est passé de très faible abondance dans les années 1990 à une très bonne condition. Le quota ne cesse d’augmenter chaque année, car la dynamique des stocks est très bonne. »
C’est un poisson équipé pour nager fort et nager vite, ce que les données scientifiques du chercheur démontrent facilement. Selon M. Robert, il y a du flétan dans l’ensemble du golfe : du sud de Rimouski jusqu’à l’île du Prince-Édouard.
« Le flétan a pris le monde des pêches par surprise, parce que c’était une espèce qui a été surexploitée jusque dans les années 50. Les stocks se sont effondrés. Depuis les années 2000, il revient en force et les pêcheurs font facilement leur quota. »
Une surveillance efficace de l'espèce est en cours et permettra de présenter un portrait beaucoup plus juste de la population du flétan de l’Atlantique d’ici 2021. Cette veille permettra notamment une meilleure gestion de l'espèce basée sur son abondance réelle plutôt que sur les tendances associées à la pêche commerciale.
À l’aide de palangres attachées à une longue corde le long de laquelle sont liés des fils munis d'hameçons, le flétan de l’Atlantique est aussi pêché dans les bas-fonds des eaux du Saint-Laurent. Cette méthode est considérée par le milieu scientifique comme une technique de pêche durable et respectueuse de l’environnement.
Le potentiel gastronomique et économique du flétan de l’Atlantique est donc phénoménal. Comme il est issu d’une pêche propre qui fait vibrer l’économie maritime du Québec, on a tout à gagner à le mettre dans notre assiette!