Jean-Philip Paradis vit un moment inoubliable dans sa jeune carrière d’artisan-distillateur. Son gin Abel a remporté deux médailles à la Canadian Artisan Spirit Competition, dont l’or dans la catégorie « gin contemporain ».
Dans le marché de plus en plus occupé des alcools québécois, ces reconnaissances valent leur pesant d’or pour un produit en vente à la Société des alcools du Québec (SAQ) depuis peu.
« Ça va sûrement nous créer un beau problème », reconnaît Jean-Philip Paradis, joint au téléphone quelques heures après avoir été informé de cette victoire. « Valérie Bissonnette et moi avons mis un an et demi à préciser ce produit. Mais là, on va avoir un joyeux problème », insiste-t-il avec un peu d’inquiétude dans la voix.
« On n’a même pas encore réussi à fournir à la demande de la SAQ. Là, il faut s’assurer qu’on a notre place dans la chaîne de production chaque mois. Le challenge est vraiment là. »
Jean-Philip est un passionné de bière. Membre fondateur de la microbrasserie Noctem dans Saint-Roch, il connaît bien les nombreux défis que comporte la mise en marché d’un breuvage à base d’alcool.
Il a d’abord pensé à ses associés pour la réalisation de son idée, mais après un refus de leur part et quelques remises en question quant à son avenir au sein de l’entreprise, il a fait le choix de quitter Noctem pour réaliser Abel.
« J’avais besoin d’un challenge, et mettre un nouveau produit sur le marché, de A à Z, en était un bon pour moi. Puis, j’ai voulu donner la chance à mon amie Valérie de laisser aller sa créativité dans le branding du produit. » Un risque payant jusqu’à présent.
« C’est difficile de lâcher quelque chose quand tu n’es pas certain. D’avoir une reconnaissance comme celle-ci me donne la confiance d'avancer là-dedans. »
Dans une industrie où la concurrence est féroce, chaque occasion de mettre en valeur la qualité d’un produit auprès du consommateur peut changer la donne.
C’est la raison pour laquelle ils ont inscrit leur gin au concours proposé par l’Artisan Distillers Canada, une organisation axée sur la célébration et la mise en valeur des distilleries artisanales et des spiritueux à travers le Canada.
« C’est mettre notre produit entre les mains de professionnels de l’industrie qui dégustent à l’aveugle », explique-t-il. « C’est difficile d’avoir un résultat aussi parfait dès le départ, parce qu’en plus, ce n’est même pas nous qui le distillons, le produit. »
Distillation à forfait
Le gin Abel est singulier et élaboré comme peu de gins le sont au Québec.
Sa distillation est donnée à forfait chez Oshlag. Cette brasserie et distillerie de Montréal offre ses installations, et l’expertise de son distillateur Jean-François Théorêt, à des artisans comme Jean-Philip et Valérie, qui souhaitent fabriquer un produit issu de la distillation de l’alcool, mais sans se préoccuper des installations, des permis et du savoir-faire.
« Ça rend la chose beaucoup plus facile pour ce qui est de mettre un produit sur le marché », explique Jean-Philippe. « On n’a pas besoin de s’acheter une bâtisse, un alambic, des permis. On est toutefois à la merci de leur capacité de production ainsi que leur horaire de production. On l’a donc développé ensemble, c’est beaucoup plus facile que d’imposer quoi que ce soit. »
Signature aromatique singulière
La signature aromatique du gin Abel fait de lui un produit remarquable. Simplement dit : on est loin du « vieux gin de mononcle »!
Parfumé à la propolis, une matière organique que produisent les abeilles dans le but de protéger la ruche, le gin Abel a une complexité aromatique qui le rend plus doux au palais.
Moins fort en alcool que la majorité des gins québécois, cet élixir plonge son dégustateur dans un champ de fleurs blanches. C’est alors que se faufile doucement une légère chaleur estivale sur fond de sucre doré et mielleux.
La propolis est constituée de résine, de cire, de pollen et d'huiles essentielles recueillies sur les bourgeons et les écorces de certains arbres par les abeilles.
Elle s’accumule sur les parois de la ruche afin de protéger la reine et ses ouvrières de possibles maladies. C’est en fait un antibiotique naturel pour les abeilles.
Celle de la composition aromatique du gin Abel provient de la Ferme apicole Mosaïque de Portneuf.
Ce que les abeilles donnent au gin, Jean-Philip et Valérie le redonnent aux abeilles.
Afin de soutenir la biodiversité et encourager la mise en lumière d’enjeux environnementaux liés au travail de pollinisation des abeilles, Abel a fait installer une ruche sur le toit de la bibliothèque de Charlesbourg en collaboration avec l’entreprise d’apiculture urbaine Alvéole.
« Si l’on peut installer plus de ruches, car le projet avance, tant mieux. On veut se joindre à une force de manifestation pacifique et redonner une partie des profits de notre gin pour ce type d’initiatives là. »
Avenir acéricole?
La prochaine étape, qui semble encore bien loin aux yeux du cocréateur, est de remplacer l’alcool neutre de grain de l’Ontario avec lequel est élaboré le gin Abel par une eau-de-vie d'érable du Québec.
« Si j’étais capable de transformer un sucre neutre comme celui de la sève d’érable, ça ferait beaucoup plus de sens avec ma démarche et ça viendrait rejoindre beaucoup plus notre mission d’entreprise. Pour l’instant, c’est la seule façon de rendre le produit compétitif en ce qui concerne le prix. »
Trois autres distilleries de la grande région de Québec ont aussi remporté des honneurs aux Canadian Artisan Spirit Competition, soit la Distillerie de Québec, la Distillerie Stadaconné et la Distillerie Vice & Vertu.
Le grand gagnant toutes catégories est le Kazuki Gin de la Sheringham Distillery, située sur l’île de Vancouver.