Si la cuisine végétarienne fait parfois peur aux néophytes, notamment parce qu’on craint que le goût ne soit pas au rendez-vous, les cuisines du monde sont souvent épicées ou fortement aromatiques et bien équilibrées, parfaites pour un repas sans viande. Mais pourquoi y en a-t-il encore si peu et quels défis affrontent les chefs qui font le pari audacieux de servir la nourriture du Japon, des Caraïbes, ou du Moyen-Orient en oubliant les produits d’origine animale, qui sont souvent au centre des repas?
C’est vrai que, par habitude, à cause de notre éducation, la façon de donner du goût c’est souvent en utilisant la viande
, explique Cédric Charron, chef du Umami Ramen, un des seuls restaurants de type izakaya japonaise dont le menu est uniquement végétalien.
On lui donne beaucoup d’attention, à la viande. Ça goûte bon, mais M. Charron clame qu’un zucchini sur le barbecue qui a reçu la même attention qu’une pièce de viande, qu’on marine et qu’on prépare à l’avance, peut facilement remplacer cette dernière en terme de saveurs, par exemple. La différence, c’est le temps qu’on lui porte
, dit-il.
Le restaurant de Cédric Charron porte le nom de ce Saint-Graal du goût qu’on tente d’atteindre en cuisine : l’umami, la cinquième saveur, celle qui enrobe les autres, qui fait saliver. Umami, c’est le mot qui décrit une molécule particulière, le glutamate, qu’on retrouve dans toutes sortes d’aliment, dont la viande grillée et certains poissons fermentés (comme les anchois et les katsuobushi japonais), mais aussi dans les tomates rôtis, les algues et les champignons.
Le goût du bouillon du ramen, justement, est normalement tiré d’une pièce de viande ou de poisson. Mais le chef du Umami Ramen, qui a fait ses classes au Japon, ne jure désormais que par le pouvoir aromatique des végétaux. Sans dire qu’on va recréer la viande, on met la même attention sur un bouillon végétal, qu’on prépare en plusieurs étapes, comme le bouillon traditionnel
, souligne-t-il.
Un griot sans viande
Solange Pati décrit la cuisine de son restaurant, le Maquis Yasolo, comme étant afro-québécoise
. Son menu, rassemblant des plats haïtiens, jamaïcains et africains, comporte beaucoup d’options véganes, fait rare pour ce type de cuisine. Mais pour Mme Pati, le végé, ça va de soi
.
Les mets végétariens représentent 50% de toutes nos commandes
, affirme celle qui est née au Québec et qui veut rendre hommage à son héritage mixte à travers sa nourriture. Son jerk et son griot sans viande peuvent surprendre les puristes, mais la chef jure que le goût et la texture sont les mêmes que dans la version carnée.
Sans se cantonner au végétarisme, la restauratrice est fière de la diversité de son menu. On a vraiment le portefeuille, si t’aimes pas les pois chiches, prend autre chose, recommande-t-elle en riant. On fait tout nous-mêmes : le but, c’est d’amener nos jeunes à bien manger.
Un kebab… végane
On s’est aperçus que nos options véganes n’étaient pas très fournies, à part le falafel et les salades, il n’y a rien de végane sur notre menu
, souligne Georges Alexandar, directeur du marketing pour les restaurants Boustan, un incontournable de la cuisine rapide libanaise à Montréal.
La chaîne a annoncé cet été une viande
kebab à base de plantes, faite de champignons shiitakes et de fibres de soja. Depuis huit mois, on a essayé une trentaine de produits différents avant de trouver le bon
, affirme M. Alexandar.
Sur le banc d’essai se trouvait, entre autres, le PVT, ou protéine végétale texturée, qui vient souvent sous forme de pépites faites de farine de soja. C’est bon le TVP, mais c’est pas ça qu’on cherchait
, explique Georges Alexandar.
Une fois la viande
choisie, la marinade classique pour kebab, composée de menthe, de romarin et d’un mélange d'herbes et d’épices que Boustan garde jalousement secret, est ajoutée.
Le but ultime pour Boustan était de réussir à émuler le goût grillé et, donc, la saveur umami, mais aussi d’arriver à une texture fibreuse et tendre de la viande. Le résultat est manifestement en demande : le restaurant avait prévu un stock de deux mois de fausse viande kebab, mais a vu son inventaire s’envoler en moins de trois semaines.
George Alexander affirme que l’offre végane au Boustan, au départ prévue comme temporaire, est désormais là pour rester.
L’environnement comme thème
Je représente les jeunes Noirs, ceux qui ont grandi ici. Ils sont mixtes, ils mangent de tout, pour eux, la bouffe c’est la bouffe
, explique Solange Pati.
Cette jeunesse, elle est interpellée par la menace des changements climatiques, une nouvelle sensibilisation qui se reflète dans ses choix alimentaires. Beaucoup sont végés pour des raisons environnementales, ça allait de soi de proposer quelque chose qu’ils aiment
, affirme Mme Pati.
Cette considération pour la lutte aux changements climatiques, Cédric Charron la cite lui aussi comme raison de sa transition au véganisme, il y a plusieurs années. Je ne pouvais pas rester les bras croisés, mais moi, descendre dans la rue avec des pancartes ou s'enchaîner à des arbres, ça ne correspond pas à qui je suis
, raconte-t-il.
« Pour changer les choses, oui ça prend des chocs, mais il faut aussi proposer des solutions. »
Le restaurateur admet que le véganisme rime trop souvent avec l’importation de produits qui proviennent de l’autre côté de la planète, mais il blâme plutôt le système agricole en place, qui monopolise les terres canadiennes pour la production de nourriture destinée aux animaux.Je ne trouve pas de soya de façon stable. Ça pousse au Québec, mais je n’en trouve pas!
, illustre-t-il.
L’autre préoccupation de Cédric Charron, c’est le prix de ses plats. À 100$ par personne, ça serait très simple d’être 100% local. Mais je veux que les gens puissent venir souper deux fois par semaine sans péter leur budget
, explique-t-il.
C’est donc à travers la nourriture que le restaurateur espère faire changer les habitudes. Si on trouve que tout ce qu’on mange est ordinaire, on va revenir à ce que nos parents cuisinaient, qui contient beaucoup de viande et qu’on trouvait bon
, souligne M. Charron.