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Les trésors oubliés du fleuve Saint-Laurent

par  Alexis Boulianne

L'assiette d'esturgeon jaune du Saint-Laurent et oursin du Kamouraska du Laurie Raphaël.  | Photo : Radio-Canada / Allison Van Rassel

Si on vous disait qu’au cœur du majestueux Saint-Laurent se trouvent des richesses inexploitées et mystérieuses, et que vous n’avez qu’à tendre la main pour profiter de cette manne sans pareille? On ne parle pas d’or ou de pétrole, mais bien de fruits de mer et de poissons inconnus de bien des Canadiens et des Canadiennes, qui sont pourtant recherchés de par le monde.

À l’heure où l’intérêt pour les produit locaux est en pleine croissance, les produits du Saint-Laurent sont souvent négligés, la demande est faible et les poissonneries n’offrent pas certaines prises par peur de perdre des stocks. 

Peut-être pourrions-nous profiter un peu plus de ce que le fleuve a à offrir? Voici quelques pistes de solution.

L’esturgeon

L'esturgeon fumé peut être mangé seul, en hors-d'oeuvre, ou incorporé dans un plat principal.
L'esturgeon fumé peut être mangé seul, en hors-d'oeuvre, ou incorporé dans un plat principal.  | Photo : iStock / Максим Крысанов

Ce poisson à l’allure préhistorique rôde dans le fleuve depuis des temps immémoriaux. C’est principalement de l’esturgeon jaune qu’on retrouve dans les eaux du Québec, même si on ne le consomme que très rarement à l’extérieur du Bas-Saint-Laurent, où on le mange principalement fumé. C’est un produit tendre et raffiné, parfait pour des hors-d’œuvre.

Ce qui est intéressant c’est que les esturgeons sont en bon état présentement, affirme Bernard Lauzier, propriétaire de la poissonnerie Lauzier, à Kamouraska. Les biologistes ont bien géré la ressource.

Le chef cuisinier François-Emmanuel Nicol, du restaurant La Tanière, à Québec, utilise l’esturgeon fumé pour donner une puissante infusion de saveurs à un bouillon. Disons qu’on a utilisé un filet d’esturgeon en entrée et qu’il reste la peau, la queue, par exemple, on le sèche au four à la plus basse température, conseille-t-il. Ça le rend très savoureux, intense, parfait dans un bouillon avec des carottes, du céleri et des oignons.

On peut aussi profiter de sa chair, ferme et savoureuse, fraîche ou grillée. Bernard Lauzier adore le faire cuire sur le barbecue, entre autres. Si tu parles aux vieux chefs dans la région, ils vont dire que l’esturgeon c’est pas du poisson, c’est de la viande! Donc on a fait du creton d’esturgeon, des souvlakis et des tourtières, c’est vraiment bon.

De plus, le produit de la mer le plus luxueux, le caviar, est fait des œufs d’esturgeons. On trouve un caviar québécois, tiré des esturgeons pêchés dans le lac Saint-Pierre, ainsi qu’un caviar du Nouveau-Brunswick. À près de 2000 $ le kilo, c’est, toutefois, véritablement un produit d'exception.

L’anguille

L'anguille fumée est une autre spécialité de plusieurs poissonneries du Bas-Saint-Laurent
L'anguille fumée est une autre spécialité de plusieurs poissonneries du Bas-Saint-Laurent | Photo : iStock / dirkr

Ce long poisson visqueux peut être intimidant pour les personnes qui ne savent pas le préparer. C’est d’ailleurs une constante dans cette liste puisque la plupart d’entre nous n’ont jamais appris à apprêter et à cuisiner les produits du Saint-Laurent. 

Si je propose de l’anguille fumée à 100 personnes dans la boutique, au moins 50 vont avoir un mouvement de recul, déplore Bernard Lauzier. Il faut que ça devienne une partie de la culture.

Ça c’est de la job, prévient François-Emmanuel. L’anguille fraîche n’est effectivement pas très accessible. Son corps gluant rend sa manipulation difficile, elle est pleine d’arêtes et doit être cuite de façon à éliminer du gras. On conseille donc de la trouver déjà apprêtée ou de la déguster dans des restaurants qui la cuisinent pour nous.

C’est peu ragoûtant, mais on se délecte de cette vidéo d’archives de la restauratrice et animatrice française Maïté(Nouvelle fenêtre) qui assomme des anguilles (son truc du chiffon semble bien fonctionner, quand même!).

Comme beaucoup de produits de la mer moins connus, l’anguille est popularisée par les restaurants qui la proposent sur les bonnes tables. 

On peut voir le long du fleuve, surtout sur la rive sud, les filets de pêche à l’anguille, une technique appelée pêche à fascines. C’est une tradition malheureusement en voie de disparition.(Nouvelle fenêtre)

L’oursin

Les gonades des oursins, vant d'être triées et emballées.
Les gonades des oursins, vant d'être triées et emballées. | Photo : Radio-Canada / Patrick Butler

Ce trésor du Saint-Laurent est exporté presqu’à 100% dès sa sortie de l’eau. On s’en délecte en Asie alors qu’il est ici très peu connu. Certains restaurants gastronomiques le servent, mais le grand public le boude. 

On le sert surtout frais, après l’avoir ouvert avec des ciseaux. Ce qu’on mange de l’oursin, ce sont en fait les organes reproducteurs, les gonades, qui ont un goût délicat, iodé et raffiné, et une texture crémeuse. Manger de l’oursin, c’est profiter d’un des meilleurs produits tirés de notre territoire, une véritable bouffée d’air marin qui nous transporte au large. 

Difficiles à trouver, les oursins peuvent se commander dans une petite poignée de poissonneries spécialisées et doivent être très frais. On a essayé d’en tenir dans la poissonnerie, mais on finit toujours par en perdre la majorité, souligne Bernard Lauzier. C’est dommage mais il n’y pas assez de demande ici.

Pour préparer les oursins, François-Emmanuel Nicol conseille d’identifier le côté plat et le côté bombé. Il faut ouvrir par le côté plat, où on trouve une petit bouche. C’est là qu’on insère les ciseaux en restant le plus près possible de la carapace pour ne pas briser l’intérieur et qu'on coupe de manière circulaire pour décalotter l’oursin, découvrant ainsi l’étoile de gonades. Au travers, il y a les organes, et on n’a qu’à retourner les oursins à l’envers pour vider leur contenu sur la table.

On prépare ensuite trois bassins d’une saumure à 3% de sel. On plonge délicatement les gonades dans la première eau, qui sera alors pleine d’impuretés. Délicatement, avec les doigts, on enlève les gonades, on répète la même opération dans le deuxième, puis le troisième bassin.

On les sert normalement frais, mais le chef de La Tanière aime aussi faire un beurre d’oursins, à raison de deux tiers d’oursins pour un tiers de beurre, qui sera ensuite utilisé dans un risotto aux fruits de mer. Miam!

Le bourgot

La chair de couleur blanc crème du buccin commun est naturellement tachetée de noir.
La chair de couleur blanc crème du buccin commun est naturellement tachetée de noir. | Photo : Radio-Canada / Allison Van Rassel

Aussi connu sous le nom de buccin ou de bigorneau, ce mollusque est omniprésent dans les poissonneries de la Côte-Nord et de la Gaspésie. On le trouve surtout en saumure, et il peut être apprêté dans cet état très facilement. Sa chair est ferme et savoureuse, et c’est un mollusque très satisfaisant à manger. Le bourgot, c’est un de nos meilleurs vendeurs, dit M. Lauzier. C’est le produit qui sent et goûte le plus la mer.

François-Emmanuel Nicol conseille de le couper en deux, de le faire revenir rapidement dans la poêle côté chair, puis d’ajouter des échalotes et du persil en fin de cuisson, pour servir avec un fromage à pâte dure râpé, par exemple sur une salade.

Le concombre de mer

L'intérieur du « Viagra des mers », le concombre de mer du Golfe du Saint-Laurent.
L'intérieur du « Viagra des mers », le concombre de mer du Golfe du Saint-Laurent.  | Photo : Radio-Canada / Allison Van Rassel

La vue de ce drôle de fruit de mer aux airs d’extraterrestre suscite de vives réactions, souvent amusées et parfois dégoûtées. Mais à l'intérieur, sa chair orange vif, sa texture intéressante (moins ferme que le calmar), et sa saveur douce le rendent plutôt polyvalent. 

On le trouve séché, et, plus rarement, congelé. Il faut donc le faire tremper de 3 à 5 jours puis le cuisiner. Sa texture s’apparente aux champignons cuits, et il peut être servi cuits, en lanières, par exemple dans les sautés asiatiques, ou encore en ceviches. 

C’est encore assez difficile à trouver, affirme François-Emmanuel Nicol. Au restaurant, on est encore en train de faire des tests pour trouver la meilleure manière de le cuisinier, parce que ce n’est pas évident.

L'assiette d'esturgeon jaune du Saint-Laurent et oursin du Kamouraska du Laurie Raphaël.  | Photo : Radio-Canada / Allison Van Rassel