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La quenouille est un véritable garde-manger sauvage, encore faut-il que son environnement fragile soit protégé. | Photo : iStock / Georgy Golovin

C’est dans l’eau boueuse jusqu’aux genoux à 32 degrés, avec les mouches et la sueur qui me chatouillent le visage, en train d’essayer d’arracher des quenouilles dans un marécage que je me suis demandé pour la première fois si cette idée de récolter des plantes sauvages comestibles en valait vraiment la peine.

Mon obsession a commencé comme plusieurs personnes, à ramasser l’occasionnelle petite fraise, des pousses de sapins baumiers, les bleuets sauvages, me sentant reconnecter avec mon être primitif et autonome, véritable chasseur-cueilleur avec un compte Instagram.

Puis j’ai passé à des plantes qu'on connaît moins, comme les têtes de violon et l’oxalide, qui parfume et décore mes salades de printemps de ses jolies feuilles vert tendre au goût acide. Un pas de plus vers ma quête, voire mon obsession, de nouveaux ingrédients.

Les feuilles de l'oxalide, avec leur belle forme de coeur, ajoute un goût frais et acidulé aux plats.
Les feuilles de l'oxalide, avec leur belle forme de coeur, ajoute un goût frais et acidulé aux plats. | Photo : iStock / a_lis

Il faut dire que le temps est à la découverte de nos richesses locales. On s’abonne aux paniers de légumes, on recherche les produits du Québec, on fait des dizaines de kilomètres pour aller chercher des fraises, des asperges ou du maïs le plus frais possible. Entre ça et aller récolter soi-même des produits alimentaires dans la forêt, il n’y a qu’un pas.

J’ai acheté des livres, cherché de l’information sur Internet, fait mes observations. J’ai trouvé des terrains vagues avec des opportunités de récoltes et des gens qui acceptent de me laisser aller sur leurs terres à bois pour prélever respectueusement ces richesses dont ils ignorent souvent la présence chez eux.

Ce qui m’amène à la quenouille : cette plante de milieux humides, très abondante au Canada, recèle une immense richesse culinaire. Au printemps, ses tendres pousses sont consommées entières, à condition de savoir faire la différence entre la quenouille et l’iris versicolore, toxique (petit truc : la tige de la quenouille est ronde, celle de l’iris est plate). Un peu plus tard dans l’été, on récolte la plante pour en extraire son délicieux centre, semblable aux cœurs de palmier, puis c’est l’épis mâle qu’on peut cueillir pour le manger comme un maïs.

En juin, ce sont les cœurs de la quenouille qui m’ont donc amené dans le marécage, véritables chants de sirènes de la cuisine sauvage. Je rêvais déjà à sa texture croquante, son parfum frais et délicat, qui goûte l’été et qui se mélange si bien dans n’importe quelle salade, avec des tomates, des concombres et des herbes aromatiques (et pourquoi pas des herbes sauvages, comme le gaillet et l’oxalide), dans les tartares de saumon ou haché sur un sauté asiatique.

Mais voilà. J’y suis peut-être allé un peu naïvement : j’avais lu qu’on n’a qu’à tirer sur la base de la plante pour qu’elle lâche son rhizome — sa racine. Mais j’ai réalisé rapidement que ma cueillette s’avèrerait plus difficile que prévu et que la brave quenouille s’accrocherait à son fossé natal de manière tenace. Il faut tirer, mais vraiment tirer, sur la pauvre plante pour qu’elle lâche finalement prise et qu’on ne récolte un tout petit cœur de rien du tout, après l’avoir épluché.

Malgré tout, environ deux heures de travail m’ont donné une quarantaine de cœurs, ce qui est assez pour en ajouter une bonne poignée par portion de salade pour quatre personnes. Mais quel délice! Avec les restes, j’ai fait une fermentation lactique, aromatisée au sapin baumier et au poivre noir, pour conserver mes cœurs de quenouilles jusqu’à cet hiver.

Pourquoi s’entêter? Parce qu’au bout du compte, ces petits bâtonnets blancs sont un des meilleurs légumes qu’on peut trouver, qu'on soit au supermarché ou dans la forêt, tout simplement.

Quenouilles en bordure d'un champ dans le nord de l'Ontario.
Quenouilles en bordure d'un champ dans le nord de l'Ontario. | Photo : Radio-Canada / Miriane Demers-Lemay

La quenouille est un aliment délicat, noble, sauvage, et que de surcroît on a récolté soi-même. Ça, ce n’est pas négligeable, c’est même très important pour la suite des choses. On patauge dans son environnement, fragile, qu’il faut apprendre à respecter et à chérir, parce que pour récolter sans crainte les quenouilles, on se doit d’avoir des milieux humides sains, sans contaminants.

On trouve dans ces endroits une immense biodiversité; les milieux humides sont aussi terriblement vulnérables. Et si on tirait plus souvent sur des quenouilles, peut-être qu’on se rendrait compte de l’importance de conserver son habitat.

La quenouille est un véritable garde-manger sauvage, encore faut-il que son environnement fragile soit protégé. | Photo : iStock / Georgy Golovin