Une place pour le français devant les tribunaux manitobains
Même s'il est toujours minoritaire dans les halls des palais de justice, le français s'y est taillé une place au cours des dernières années. Il n'est toutefois toujours pas possible pour un avocat en pratique privée de travailler entièrement dans cette langue, malgré une pénurie d'avocats francophones dans les domaines du droit de la famille et du droit criminel.
Un texte de Rémi Authier
Certains, comme l'avocat Bradley King, en ont toutefois fait une part notable de leur carrière. C'est l'un des seuls avocats criminalistes capables d'offrir ses services à des clients en français et de défendre leurs droits dans leur langue. Des clients comme les chauffeurs de camion originaires du Québec qui sillonnent le pays et qui ont affaire à la justice loin de chez eux.
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Né dans une famille anglophone, Bradley King a appris le français à l'âge adulte. Une décision motivée par le contexte de l'époque marquée, entre autres, par les tensions linguistiques dans la province de Louis Riel.
Dans les années 1980, il y avait beaucoup de choses qui se passaient ici au Manitoba en ce qui concerne la langue. Comme anglophone, j'ai vu que les choses n'allaient pas bien dans ce domaine. Il fallait que les anglophones en fassent plus.

L'avocat bilingue est fier de pouvoir offrir ses services dans les deux langues officielles et est d'ailleurs avocat de service pour les tribunaux bilingues de Saint-Boniface et de Saint-Pierre-Jolys. Il estime que c'est surtout depuis la publication du rapport du juge Richard Chartier, Avant toute chose, le bon sens, en 1998, que la présence du français et l'offre de services dans cette langue se sont améliorées.
Le nombre de juges qui peuvent entendre une cause a augmenté sensiblement, mais la traduction de certains documents juridiques prend encore parfois du temps et peut allonger la durée des procédures pour certaines personnes, selon Me King. Il croit qu'il faut surtout sensibiliser la population au fait qu'elle a le droit de demander des services en français.

Le défi de la formation

L'absence de faculté francophone de droit dans l'Ouest canadien constitue toutefois un obstacle. Les jeunes Franco-Manitobains qui veulent devenir à leur tour avocats doivent, soit quitter la province pour étudier dans leur langue à Ottawa, à Moncton ou au Québec, soit se résigner à apprendre les rudiments du droit en anglais.
L'Université d'Ottawa, c'est loin. L'Université de Moncton, c'est encore plus loin. [...] Ça serait toujours avantageux [s'il y avait] une université francophone qui [pourrait] offrir des études en français pour l'Alberta, la Saskatchewan ou le Manitoba.

Il est par contre possible d'entendre à l'occasion la langue de Gabrielle Roy dans les couloirs de la Faculté de droit de l'Université du Manitoba. Depuis 2010, des cours de méthode juridique, de rédaction juridique et de droit linguistique sont offerts en français par une poignée de professeurs passionnés.
C'est une initiative qui a particulièrement pris son envol en 2011 lorsque le gouvernement fédéral lui a accordé du financement. Depuis, une vingtaine d'élèves, pour la plupart francophiles et issus de l'immersion, assistent chaque année à ces cours afin d'ajouter une corde à leur arc.
Le bilinguisme, c'est un atout. On recherche cette qualité non seulement dans les firmes privées, mais aussi au ministère de la Justice au niveau provincial et fédéral qui ont des obligations [auxquelles ils doivent répondre] en matière de droits linguistiques.
L'offre de services en français est d'ailleurs particulièrement importante en raison de l'arrivée, depuis quelques années, d'immigrants souvent unilingues francophones, souligne le coordonnateur du programme d’études juridiques à l'Université du Manitoba, Guillaume Dragon. En offrant ces cours, il espère que des services en français de qualité équivalente seront offerts dans les tribunaux, ce qui encouragera la population à y recourir.