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Nouvelle olympique

Chronique

L’entraîneuse de Kamila Valieva obtient des résultats, mais à quel prix?

Elle regarde sur la patinoire.

La patineuse Kamila Valieva, entraînée par Eteri Tutberizde, a connu un programme long difficile.

Photo : Getty Images / David Ramos

Elle est peu connue du grand public, mais dans l’univers du patinage artistique, on s’accorde pour dire que c’est une faiseuse de champions. Mais à quel prix? Peu de témoignages filtrent dans cette Russie où l’omerta est érigée en institution. J’ai donc dû faire appel à mes confrères de la presse internationale qui ont réussi l’impossible pour me dévoiler qui est l’entraîneuse Eteri Tutberizde.

Attardons-nous un instant sur ses méthodes d’entraînement. Eteri Tutberidze est souvent comparée dans le milieu comme un général d’armée en mission et sa devise est : Qu’importe les moyens employés, c’est la victoire qui compte.

Certains observateurs parlent même d’un régime militaire sur glace. D’ailleurs, on n’appelle pas son centre une école de patinage, mais le camp Sambo 70, situé en banlieue de Moscou.

Les maigres témoignages recueillis font état d’humiliation permanente, de punitions. Pour vous donner un ordre d’idée, elle disait : Il n’y a pas de "je suis fatiguée, je n’en peux plus". Si vous êtes fatiguée ou blessée, vous restez sur la glace et vous travaillez. Même si vous avez deux orteils cassés, vous y retournez et vous refaites la même chose 100 fois. C’est ce qu’a avoué Polina Shuboderova, une de ses anciennes élèves, sur Instagram.

Un constat a aussi été fait devant l’incroyable relève permanente, qui n’est pas seulement attribuable au poids démographique de la Russie, mais à celui des patineuses. On constate qu’il n’y a pas beaucoup d’athlètes qui dépassent l’adolescence, car il y a aussi un passage obligé sur le pèse-personne à l’école de Tutberidze.

Tutberizde discute avec la patineuse. Un homme l'accompagne.

L’anorexie est un problème dans le patinage. Et les plus grandes championnes n’y ont pas échappé. D’après la presse internationale, on apprend que ses anciennes protégées ont toutes pris une retraite pour le moins prématurée pour cette raison.

Evgenia Medvedeva, vice-championne olympique en 2018 et double championne du monde en 2016 et 2017, Alina Zagitova, championne olympique en 2018 et championne du monde en 2019, Yulia Lipnitskaya, championne d’Europe et vice-championne du monde en 2014. Elles ont toutes pris leur retraite avant l’âge de 20 ans, victimes de problèmes de santé ou d’anorexie.

La célèbre patineuse Yulia Lipinskaya, qui avait remporté l’or par équipe à Sotchi à 15 ans et qui a été vice-championne du monde en solo, en est un bon exemple. Elle a pris sa retraite à 19 ans en expliquant que lorsqu’elle patinait, elle avait l’impression de grossir juste en respirant de l’air.

L’exemple d’Evgenia Medvedeva est également troublant. Elle aurait attendu d’avoir 22 ans pour déclarer avoir passé une partie de sa vie à moitié affamée à contrôler tout ce qu’elle mangeait.

Elle fait une figure dans une compétition.

La patineuse russe Evgenia Mevedeva, en 2019. Elle est une ancienne protégée de l'entraîneuse Eteri Tutberizde.

Photo : AFP / YURI KADOBNOV

L’Agence France-Presse rapporte qu’en 2019, Anastasia Shabotova avait ainsi lâché une petite bombe lors d'une publication en direct sur Instagram. Il faut prendre beaucoup de produits dopants et vous allez performer avec régularité, avait lancé la jeune championne alors âgée de 13 ans.

Tous les témoignages ne pointent pas dans la même direction. Alena Kostornaïa, la championne d’Europe de 2020, a déclaré : Tout ce que j’ai vécu à l’entraînement, la douleur, l’humiliation, en valait la peine. Une affirmation qu’elle a faite le soir où elle a été couronnée.

Si j’ai pris la peine de colliger tous ces articles de la presse internationale, c’est qu’il est difficile de savoir ce qui se passe vraiment dans ce camp où les championnes et champions poussent comme des champignons.

Par contre, pourquoi la Fédération internationale de patinage (ISU) n’a-t-elle pas fait le même exercice? Pire, on peut raisonnablement se questionner sur la politique aveugle de cette fédération. En 2020, elle a décerné à Eteri Tutberizde la prestigieuse distinction de meilleur entraîneur lors du gala des Skating Awards.

La Fédération internationale de patinage déclarait, à ce moment, sur Twitter : Eteri Tutberidze est élue meilleure entraîneuse! Elle a donné tant de force et de dévouement à ses athlètes cette saison. Il est maintenant temps pour cette entraîneuse talentueuse d’être sur le devant de la scène. Félicitations Eteri!

La même Fédération internationale de patinage qui s’est jointe à l’appel du Comité international olympique (CIO) et de l’Agence mondiale antidopage (AMA) pour condamner la jeune patineuse de 15 ans Kamila Valieva.

Dans Le Cid, le poète et dramaturge français Pierre Corneille, écrivait : À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. Cela n’a jamais été aussi vrai pour celle qui croit avoir façonné de nombreux champions et championnes.

Cet exploit est surtout le résultat de l’incroyable force de caractère et de résilience de ces jeunes athlètes qui aspirent à une vie meilleure. Le poète russe Fiodor Dostoïevski a écrit : Vivre sans espoir, c’est cesser de vivre.

Il faut maintenant espérer que la glace qui représente le blanc immaculé reprenne vraiment sa couleur.

Une finale olympique dramatique

Kamila Valieva pleure après sa performance.

« Humainement, c’est insoutenable ce qu’on lui a fait faire » - Alain Goldberg

Photo : Getty Images / Catherine Ivill

Littéralement fusillée par son entourage. C’est de cette manière que l’analyste Alain Goldberg a résumé la prestation de Kamila Valieva dans le programme libre, jeudi.

La jeune patineuse a craqué et a raté des sauts qu’elle réussissait chaque jour à la perfection. La pression des derniers jours aura eu raison d’elle et l'athlète a pris le 4e rang au classement final.

Le Comité international olympique peut souffler : il pourra remettre ses médailles. Pendant ce temps, son entraîneuse Eteri Tutberidze repartira de Pékin fière des résultats obtenus, car deux de ses protégées ont remporté les médailles d'or et d'argent.

Encore une mission accomplie pour l’entraîneuse adulée dans son pays. Et qu’importe si, en chemin, elle laisse sur la voie une jeune fille dont les rêves ont été possiblement brisés à jamais. The show must go on : les parents russes et leurs enfants continueront de se bousculer aux portes de son camp.