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Nouvelle olympique

Voici pourquoi les Jeux de Pékin ne seront pas reportés

Une femme se prend en photo devant le logo des Jeux de Pékin.

Les Jeux de Pékin auront lieu du 4 au 20 février.

Photo : AP / Ng Han Guan

Radio-Canada

Devant l’arrivée du variant Omicron et la montée des cas de COVID-19, plusieurs se demandent pourquoi les Jeux olympiques (JO) de Pékin, qui doivent avoir lieu du 4 au 20 février prochain, ne sont pas reportés.

Le Canada a été l'un des premiers pays en mars 2020 à annoncer qu’il n’enverrait pas d’athlètes à Tokyo si les Jeux avaient lieu la même année. Les JO ont finalement été reportés d’un an.

La situation est complètement différente aujourd’hui. D’ailleurs, le président du Comité olympique canadien (COC), David Shoemaker, admet d’un côté qu'il est inquiet de la situation, mais il ajoute de l'autre que ni le report ni l’annulation ne sont envisagés.

Radio-Canada Sports en a discuté avec le diplomate de profession et ex-ambassadeur du Canada en Chine Guy Saint-Jacques.


Q. À 30 jours des Jeux de Pékin, plusieurs appellent à un report ou même à l’annulation des Jeux. À votre avis, serait-il très peu probable que la Chine décide de son propre chef de reporter les JO?

R. En fait, pour la Chine, il y a des considérations politiques très importantes et des considérations économiques. Il y a beaucoup d'investissements qui ont été faits pour les installations, mais aussi pour garantir qu'il va y avoir un ciel bleu lors des compétitions. Les Chinois ont fermé des industries très polluantes dans le nord du pays. S'il fallait reporter, il faudrait recommencer à zéro, donc ils veulent probablement que ça ait lieu et que ce soit un grand succès.

Sur le plan politique, Xi Jinping [le président de la Chine] a besoin d'un grand succès pour utiliser ça à des fins de propagande, pour montrer que la Chine peut organiser de grands événements et qu’elle est devenue une grande puissance. Les Chinois sont convaincus que les États-Unis sont une puissance en déclin, donc ils veulent continuer de montrer la Chine comme étant un pays moderne. C’est aussi une année politique importante pour Xi Jinping : même s’il a réussi à consolider son pouvoir, il doit obtenir l'aval du parti lors du 20e congrès du parti communiste chinois, qui va avoir lieu à l'automne.

Si jamais les Jeux sont un fiasco, ça remettrait en question la capacité du parti à gérer et à organiser de grands événements, donc ils vont faire le maximum pour que ce soit un succès.

D'autre part, ils ont réussi jusqu'à maintenant à étouffer les scandales possibles qui auraient pu venir remettre en question la tenue des Jeux, par exemple l'affaire de la joueuse de tennis Peng Shuai. Ils ont réussi à avoir la collaboration du Comité international olympique (CIO) pour enterrer l'affaire et forcer la joueuse à revenir sur la déclaration qu'elle avait faite sur Weibo. Probablement qu'ils craignent d'autres cas, donc c'est pour ça aussi que la Chine veut tenir les Jeux le plus rapidement possible, pour être certaine d'avoir le contrôle de l'information.

L'autre grand élément, c’est la situation au Xinjiang. Avec le génocide, les camps de rééducation des Ouïgours et la question du travail forcé, ça aussi, c'est une bombe à retardement, donc ils vont vouloir tenir les Jeux à tout prix.


Q. Vous voulez dire que si l'on reporte ou qu'on annule les Jeux, la Chine aurait l’impression de donner raison à tous ceux qui dénoncent la question des droits de la personne?

R. Oui, parce qu'à ce moment-là, ça devient difficile de dire la raison principale, et ils savent que les gens qui appellent à un boycottage vont estimer que les démarches et les pressions qu'ils ont faites ont eu du succès et que les Jeux sont reportés parce que ça devient difficile.

Mais c'est clair que la COVID pourrait être une raison qui amènerait à un report.

La Chine est peut-être le seul pays qui a une stratégie de zéro cas, et c’est très difficile d'atteindre cela. Ça demande pratiquement la fermeture des frontières.

Il n'y aura pas de spectateurs étrangers qui vont pouvoir assister aux Jeux. La Chine est préoccupée, parce qu'il y a eu de plus en plus d'éclosions dans diverses régions. Il y a un mois, c'était à la frontière avec la Russie; là, c’est la ville de Xi’an et la province du Shanxi, où est située Xi’an. Les journaux chinois rapportaient ce matin [lundi] 92 nouveaux cas; c'est une légère baisse, parce qu'ils avaient eu sept jours consécutifs à plus de 150 cas par jour.

D’ailleurs, deux fonctionnaires municipaux ont été démis de leurs fonctions parce que le pouvoir central estimait qu'ils n'avaient pas fait tout ce qu'il fallait pour enrayer l'épidémie. Les gens à Xi’an sont confinés à la maison depuis le 23 décembre et soumis à des tests réguliers. Les gens se plaignent qu'il commence à y avoir des pénuries de nourriture, et malgré ça, les cas se sont multipliés.

Dans le cas des Jeux, ils vont tenter d'avoir une bulle où tous les travailleurs chinois vont être isolés, tout comme les étrangers. Et, bien sûr, les étrangers qui vont être déclarés positifs vont devoir être en quarantaine pendant cinq semaines. C'est une des raisons pour laquelle la Ligue nationale de hockey (LNH) a décidé de ne pas participer aux JO. [L'organisation de Beijing 2022 prévoit un isolement de 21 jours à la suite d'un test positif]

Quand on met tout ensemble, il vaut mieux tenir les Jeux. Et je pense que les Chinois, s'ils avaient le choix, ils commenceraient avant le 4 février, avec l'espoir qu'une fois que ce sera démarré, ils pourront tout contrôler.

Je m'attends aussi à ce qu'il y ait de la censure qui soit exercée, parce que si des cas de COVID sont détectés durant les Jeux, probablement qu’ils vont essayer de les taire pour, à nouveau, essayer de garantir que la Chine a réussi à organiser des Jeux extraordinaires, malgré toutes les embûches possibles.


Q. La Chine a des consignes très strictes concernant la COVID-19 : des villages entiers confinés, des humiliations publiques... Avez-vous d'autres exemples de mesures que le pays applique à l'heure actuelle pour s'assurer qu'il n'y a pas de cas de COVID avant les Jeux?

R. Dans le cas de Xi’an, c'est un grand village de 13 millions d'habitants. C'est un confinement sérieux. Ici, les gens se rebellent parce qu'il y a un couvre-feu de 22 h à 5 h du matin. Là-bas, les gens sont confinés chez eux; une seule personne par ménage peut sortir tous les deux jours pour aller chercher des provisions. En fait, ce qui est encouragé, c'est que les gens commandent de la nourriture.

Ils avaient une stratégie semblable dans le nord de la Chine. À Pékin, il y a eu aussi quelques cas la semaine passée, et ce qui survient quand il y a des cas, c’est que tous les gens qui habitent – disons dans un immeuble où un cas a été détecté –, tout le quartier est mis en confinement immédiatement, avec des mesures très sévères, et surveillé par des policiers. On sait que durant la première phase de la COVID en 2020, il y a même des gens qui ont vu leur porte être soudée pour les empêcher de sortir de chez eux. C'est pour ça, aussi, que la Chine prétend qu'il y a eu seulement 4500 morts durant la COVID, ce qui est sous-estimé gravement. En fait, dans des villes comme Wuhan – d'après le nombre d'urnes funéraires commandées, d'après des observateurs et des spécialistes et des études faites par Hong Kong –, il y aurait eu au moins 40 000 morts.


Q. Au Japon, il y avait eu un mouvement de pays inquiets qui disaient qu’ils n'enverraient pas d'athlètes aux JO. Nous ne sommes pas dans cette situation à l'heure actuelle : le Comité olympique canadien, comme celui d’autres pays, se prépare à envoyer ses athlètes à Pékin. Est-ce une bonne idée, selon vous?

R. Je pense que le Comité canadien est un peu pris dans tout ça. C'est un peu comme si l’on était pris dans un train où il n'y a plus personne qui contrôle la locomotive, et il est trop tard pour essayer de descendre du train. On essaie de composer en espérant que tout va bien aller, mais on ne sait pas si, au bout, le pont a été détruit et si on va tomber dans le précipice.

Aussi, il y a tellement de choses en jeu... Le COC est conscient de toute la controverse que suscite la tenue des Jeux à Pékin, et il espère lui aussi passer au travers le plus tôt possible, avec le minimum de dommages, parce que c'est embarrassant. C'est gênant d'envoyer des athlètes dans un pays comme la Chine, où c'est documenté qu'un génocide est en cours; quand on voit comment ils ont brimé la liberté d'expression et le système démocratique de Hong Kong; comment leur politique étrangère est devenue beaucoup plus agressive; ou comment ils ont traité les Canadiens en les détenant en otage pendant près de trois ans.

Le Comité olympique canadien ne veut pas pénaliser les athlètes, surtout que le Canada fait généralement très bien aux Jeux olympiques d'hiver. Je pense que le comité doit aussi faire confiance aux autorités chinoises concernant l’efficacité de la bulle. Ils ont vu comment ça a été géré au Japon et que ça a pu fonctionner. Dans le cas des Chinois, les mesures seront beaucoup plus draconiennes, alors pour ce qui est de la santé – sachant aussi que les athlètes, je pense, auront tous été vaccinés et que peut-être plusieurs auront eu leur troisième dose –, on se présente là avec les doigts croisés, en espérant que ça va avoir lieu et que ce sera fini le plus tôt possible.


Q. Vous êtes un expert des relations internationales; pensez-vous qu'avec tout ce qui s'est passé depuis que la Chine a obtenu les Jeux de 2022, le CIO pourrait avoir eu sa leçon en ce qui concerne les pays autoritaires?

R. Je pense que le CIO est une organisation qui a perdu sa neutralité et son objectivité parce qu’elle aurait dû apprendre de l'expérience des Jeux olympiques d'été qui avaient été attribués à Pékin en 2001 et qui ont eu lieu en 2008. La Chine avait promis d'améliorer sa performance sur le plan des droits de la personne; or, on sait très bien depuis 2008 que, en fait, la situation s'est dégradée.

Cette dégradation s'est accélérée depuis que Xi Jinping a pris le pouvoir, en novembre 2012. En fait, je pense que le Comité international olympique était pris au dépourvu, parce qu'il n’y avait que deux candidats seulement [l’autre étant la ville d’Almaty, au Kazakhstan]. C'était de deux maux choisir le moindre, ou de choisir la ville ou le pays le mieux organisé, et l’on sait que la Chine est capable d'organiser.

Mais je pense que ce qui va faire réfléchir le CIO, c'est si de grands commanditaires comme Coca-Cola – et on voit qu'il y a un boycottage mené par un lord anglais –, si les compagnies estiment que leur image de marque va être entachée en commanditant les Jeux olympiques et qu'ils retirent leurs commandites, ça va forcer le CIO à changer d'approche.

Ce que j'espère – et il ne faut pas laisser ça uniquement au CIO –, c'est que les pays occidentaux mettent en place des critères pour éviter la tenue des Jeux dans des pays autoritaires. Peut-être que le temps est venu de dire : bon, on est tous d'accord pour avoir des Jeux, mais peut-être qu’ils pourraient avoir toujours lieu au même endroit? Surtout pour les Jeux d'hiver; ça devient de plus en plus difficile à organiser à cause des changements climatiques.

Je pense qu'il faut repenser le modèle des Jeux olympiques, et sachant que des gouvernements autoritaires vont utiliser ça à des fins de propagande et à des fins politiques – et je pense que ça s'imbrique dans le grand jeu géopolitique dans lequel on est pris, maintenant, et où l’on voit des régimes comme la Chine ou la Russie, des régimes autoritaires, d'essayer de faire valoir leurs valeurs, leurs modèles, qui vont à l'encontre des modèles occidentaux.


Q. L’argument du CIO, c'est de dire que les Jeux offrent une ouverture sur le monde. Vous l'avez dit à Pékin en 2008 : ça ne s'est pas avéré. Pourrait-il y avoir des éléments positifs à ces Jeux de Pékin en 2022? On pense aux industries polluantes fermées ou au fait d’avoir attiré encore plus l'attention sur le génocide des Ouïgours.

R. Du côté sportif, on va voir comment ça va se dérouler, mais d’une autre part, le fait que, malgré tout, les Jeux vont avoir lieu, ça va avoir attiré beaucoup plus l'attention internationale sur les problèmes qui nous préoccupent en Chine, comme les droits de la personne, la liberté d'expression et les dangers de faire affaire avec un régime autoritaire. Il va falloir aussi surveiller comment les cas de COVID seront traités par la Chine, tout comme les athlètes qui désirent protester contre la situation en Chine.

Si un athlète pose un geste politique pour appuyer la cause des Ouïgours, par exemple, il sera probablement déporté. Si la Chine décidait de l’arrêter et de le mettre en prison, je crois qu'il y aurait un tollé international. Si les dirigeants chinois sont conscients, ils doivent reconnaître que leur image est très ternie, et c'est une autre raison pour laquelle Xi Jinping espère que ces Jeux-là seront complétés le plus tôt possible, avec le minimum de dommages possible.

Mais, bien sûr, sur le plan international, l'image de la Chine ne sera pas rehaussée. Les Chinois vont quand même s'en servir à des fins domestiques pour montrer à la population qu'ils ont pu organiser tout ça, surtout s'ils réussissent à limiter la propagation du nouveau virus Omicron.

(D'après une entrevue menée par Josie-Anne Taillon)