Le ski de bosses canadien à la dérive

Mikaël Kingsbury, le roi incontesté des bosses.
Photo : Twitter/@FISfreestyle
Vous vous souvenez d'une époque pas si lointaine quand le Canada balayait les podiums en Coupe du monde de ski de bosses? Cette époque où les gens levaient le nez en disant que ce sport n’était pas très légitime, car seuls les Canadiens devaient le pratiquer tellement on le dominait?
Bien, laissez-moi vous dire que, depuis quelques années, nous sommes passés de dominants à dominés. Il ne faut pas se laisser duper par la domination de Mikaël Kingsbury qui met un certain voile sur les déboires du reste de l’équipe.
J’ai toujours eu un malaise à critiquer le sport dans lequel j’ai évolué. Je ne l’ai jamais fait publiquement d’ailleurs, ne voulant pas être accusé d’un biais, mais là, rien ne va plus. Depuis les derniers Olympiques en 2018, nous constatons le déclin du Canada en ski de bosses. Il est normal dans un sport en santé et compétitif qu’il y ait une certaine rotation des nations au sommet.
À ceux qui dénigraient les résultats canadiens lorsque nous étions régulièrement trois ou quatre skieurs, hommes et femmes, dans le top 10, je répondais toujours en disant que c’est parce que nous avons de meilleurs programmes et entraîneurs que le reste du monde. Plusieurs entraîneurs canadiens ont d’ailleurs déjà été convoités pour travailler avec d’autres pays tels le Japon, la Russie, la Suède, la Chine, la France et les États-Unis.
Alors pourquoi, soudainement, j’ose parler et poser des questions? Parce que présentement, c’est l’hécatombe chez nos bosseurs canadiens. Après trois épreuves de Coupe du monde, mis à part Mikaël Kingsbury, le Canada n’a eu qu’un seul top 10 [dans la discipline olympique] : celui de la Britanno-Colombienne Sofiane Gagnon, avec une 9e place.
À l’approche des Jeux olympiques, cette situation est plus qu’inquiétante. Il est trop tard pour changer quoi que ce soit dans l’organisation, mais même si on gagnait plus d’une médaille à Pékin, il faut absolument revoir le système au complet. Au-delà des entraîneurs, il faut aussi évaluer ce qui se passe dans les clubs et les provinces. Même si nous avions les meilleurs entraîneurs au monde responsables de l’équipe nationale, si le développement du talent ne se fait pas en province, on n’arrivera à rien.
Je le dis depuis longtemps, l'entraîneur le plus important n’est pas celui en haut de la piste aux Jeux olympiques, c’est celui en bas de la montagne qui se fait geler les pieds à regarder toute la journée des jeunes skieurs de 10 ou 12 ans. C’est lui ou elle qui est responsable de partager sa passion pour le sport, pas la technique. La passion, l’amour pour un sport, c’est ça qui compte à cet âge. Si ce travail est bien fait, la base de la pyramide sera solide.
Nous devons mieux reconnaître ces entraîneurs de club et de province. Ils devraient faire partie des discussions. Mais malheureusement, ici, on aime prétendre que ces entraîneurs ne connaissent rien et que lorsque les athlètes arrivent à l’équipe nationale, tout est à refaire.
À l’inverse, on entend aussi des entraîneurs provinciaux ou de club dire que l’équipe nationale détruira le potentiel de « leurs » athlètes. Ceci n’est pas une réalité exclusive au ski de bosses. On l’entend dans plusieurs sports, tout le monde se blâme, surtout lorsque les choses vont mal.
Selon moi, c’est le devoir de l’équipe nationale de bien uniformiser et aligner ses échelons de développement du bas vers le haut, pas juste du haut vers le bas. Peut-on bâtir un château de cartes en commençant par le toit? Les équipes nationales ne peuvent pas gérer de leur tour d’ivoire; elles doivent aller sur le terrain et collaborer avec les clubs et les provinces. On devrait même distribuer un peu le pouvoir et mettre en valeur la contribution de chacun plutôt que de faire des guerres de clochers.
Pour résoudre ce problème, je proposerais de copier un peu ce qui se fait au football américain. Lorsqu’on y présente un joueur, ils vont très souvent nous dire par quel programme ce joueur a évolué pour se rendre à la NFL. Ce serait beaucoup plus motivant pour un entraîneur de club ou de province de savoir que si son Mikaël Kingsbury
se rend aux Jeux olympiques, son travail sera aussi reconnu.
Avec la présente dérive de notre équipe de bosses, la pression sera très forte sur l’équipe canadienne à Mont-Tremblant, où il y aura deux épreuves comptant pour la sélection olympique, les 7 et 8 janvier. C’est aussi une opportunité pour renverser la vapeur, car avec deux courses en deux jours à la maison, on peut espérer que ce sera le réveil de nos troupes.
Je voudrais voir une grande foule pour leur donner de l’énergie positive, mais je crains bien que, mis à part les familles, il n’y ait pas de foule permise au bas de la piste. Si jamais il n’y a encore que Kingsbury qui monte sur le podium à Tremblant, ou même qui atteigne la finale, il faudra être réaliste avec nos prédictions pour Pékin et engager un architecte pour rebâtir un nouveau château de cartes.
Heureusement pour le ski de bosses canadien, les choses peuvent changer très rapidement, comme on le constate avec le patinage de vitesse longue piste. Cette équipe était à la dérive depuis Sotchi 2014. À l’aube des Jeux de Pékin, on peut assurément prédire sa meilleure récolte de médailles depuis Vancouver 2010. Que s’est-il passé? Pourtant la directrice générale, Susan Auch, ne s’est pas fait beaucoup d’amis avec son approche des plus rigides. Force est de constater qu’elle a sûrement fait de bonnes choses. Une bonne équipe d'entraîneurs et, surtout, une approche un peu plus flexible de ceux-ci, centrée sur l’individu, y sont pour beaucoup dans les succès actuels de l'équipe.
À Québec, par exemple, avec l'entraîneur Gregor Jelonek et son équipe d’intervenants, l’humain derrière l’athlète est toujours priorisé. On comprend maintenant qu’un athlète bien dans sa peau, qui aime ce qu’il fait, performera inévitablement de façon supérieure, et ce, sur une plus longue période.
On apprenait aussi dernièrement, dans un article du Globe and Mail, que Christine Nesbitt se faisait imposer un régime dangereux où l'entraîneur voulait une perte de poids à tout prix. De ses propres mots, elle dit qu’elle n’aurait jamais gagné les Jeux olympiques si elle n’avait pas dérogé au programme prescrit par ses entraîneurs.
Ces cultures d’oppression, où l’on pense que pour former un athlète il faut être dur avec lui ou elle, ne fonctionnent plus. Pardon, ça n’a jamais fonctionné. C’est juste qu’à l’époque, on n’osait pas les remettre en question.
Je sais, j’ai vraiment divagué de mon sujet d’origine, mais mon point est que lorsque les succès ou les échecs perdurent et que rien ne va plus, il faut tout revoir. Ne faisons pas l’autruche : en ski de bosses, au Canada, rien ne va plus.
Je n’aurais jamais pensé écrire ces mots un jour.